Mercredi 27 juin, Rue89 révélait une affaire dans laquelle Le Figaro menaçait d’attaquer en justice une blogueuse. L’institutrice en question possédait un blog nommé «La classe de Mme Figaro» et le service juridique du magazine du même nom a estimé que celui-ci était une contrefaçon de marque.
Depuis que l’affaire a été médiatisée, le groupe semble se rétracter et se diriger vers une solution à l’amiable. Mais aurait-il pu gagner un procès? Oui, sous la condition de prouver que le site de l'institutrice portait à confusion.
Contrefaçon et commerce
La mise en demeure du Figaro (consultable ici) invoque l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle pour menacer Elise Figaro de poursuites. Celui-ci dispose que la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée est interdite. L’article porte donc sur l’aspect commercial de l’infraction. Sauf que dans le cas présent, l'institutrice ne vend rien.
Une marque peut effectivement attaquer en justice une personne qui utiliserait son nom dans son nom de domaine et la concurrencerait sur son terrain de vente. L’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle est clair, l’utilisation commerciale du nom patronymique peut être limitée ou interdite par le titulaire d’une marque enregistrée antérieurement.
La limitation se traduit souvent par l'ajout d'un prénom au nom. Ici, le Figaro proposait à l’institutrice d’ajouter son prénom dans le titre de son blog. Le texte prévoit une limitation, dès lors que l’utilisation du nom porterait atteinte à la marque, ce qui, à première vue, n’est pas le cas ici. On pourrait donc penser que l’institutrice est dans son droit.
Un problème de confusion avec la marque
Sauf qu’il faut lire le dernier alinéa de l’article L. 173-6. Celui-ci indique que si la marque est notoire (c’est-à-dire connue de tous), alors elle peut exiger un changement de nom s'il y a un risque de confusion. Si un M. Vuitton décidait d’ouvrir un blog mode à son nom (duquel il ne tirerait aucun profit), il devrait tout de même changer l’intitulé de son site parce que celui-ci pourrait faire croire que le blog est apparenté à Louis Vuitton.
Dans le cas de Madame Figaro, on peut ainsi considérer que le contenu (des exercices et des jeux à destinations des enfants) pourrait induire le consommateur en erreur. Ce dernier pourrait penser que le blog est une forme de marketing viral ou un blog lié au magazine Madame Figaro.
Pour que le magazine Madame Figaro gagne son procès, l’hypothèse de confusion suffit. Les associations d’idées peuvent aller très loin.
Pas de jurisprudence sur le sujet
Il n’y a pas de jurisprudence sur des affaires portant sur un nom patronymique pour une activité non commerciale. Mais il y a déjà eu des cas d’utilisations commerciales de même nom. Par exemple, le cas Milka. En 2005, une couturière se voit attaquée en justice par Kraft Food parce qu’elle dispose du nom de domaine milka.fr.
Il s’agissait du prénom de la commerçante et même si son activité n’avait rien à voir avec celle de Milka, elle a perdu son procès. Les couleurs du site étaient en effet dans le même ton que le code couleur de Milka et la justice a considéré que le site pouvait porter à confusion.
Le Figaro aurait donc pu gagner, sous la condition de prouver que la marque est notoire et que le blog incriminé portait à confusion. En 2005, Danone avait perdu un procès en référé contre ses salariés qui avaient créé un site appelé jeboycottedanone.com. Le tribunal avait considéré qu’il n’y avait aucun risque de confusion, puisque le site critiquait ouvertement Danone.
Au final, le bad-buzz qui a suivi l’article de Rue89 a poussé la rédaction de Madame Figaro à se diriger vers une solution à l’amiable. Une situation avantageuse pour la blogueuse qui n’aurait sûrement pas reçu le même traitement, si son cas n’avait pas fait la une de la presse.
Fabien Jannic
L'explication remercie Nicolas Moreau, avocat du bareau de Paris et Rphaël Rault, avocat du bareau de Lille.
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