Entendez les rumeurs dans les salles de marché sur un été dramatique pour l'euro. Les arguments des traders, appuyés par des rapports pessimistes d'économistes, sont audibles.
La Grèce va devoir procéder à une nouvelle remise de dette. La situation des comptes espagnols est intenable à cause des banques ibériques brûlées par l'immobilier. Mario Monti fait ce qu'il peut, mais l'Italie est entrée dans la spirale d'une récession destructrice.
La France y échappe encore, mais, chômage en hausse, pouvoir d'achat en recul, investissements nuls, elle n'a plus aucune force, alors que l'Etat va devoir se saigner avec une austérité sans précédent. L'Allemagne à son tour voit sa situation conjoncturelle se ternir dangereusement. Et, au-dessus de ce volcan, le couple franco-allemand se dispute ouvertement et radicalement.
La rumeur monte que des «hedge funds» auraient commencé à vendre les obligations allemandes. Leur calcul est que la première économie européenne sera inévitablement contaminée par les crises des autres et que son endettement, déjà lourd, va s'aggraver affreusement.
Bref, il n'y a plus rien à sauver dans cette Europe surendettée, dont les responsables se montrent incapables de prendre les décisions qu'il faut, et qui, de sommet en sommet, plonge inexorablement dans le gouffre.
Et si c'était faux? Et si cette Europe traversait la crise comme en peinant dans une pataugeoire, mais finissait par arriver au sec?
Les raisons d'être optimiste
Voyez les choses positivement. La Grèce? Elle vote pour rester dans l'euro et son gouvernement, quel qu'il soit, conduira des changements historiques. Les «hedge funds» qui, depuis trois ans, parient sur une «grexit», une sortie d'Athènes de l'euro, en sont toujours pour leurs frais.
L'Espagne? La crise de ses banques est grave, mais elle débouche sur un immense progrès: une union bancaire qui fera payer une faillite non plus par le contribuable mais par les autres banquiers. Formidable moyen pour les mener tous à la prudence!
L'Italie? Elle paie des taux d'intérêt qui ne sont justifiés que par l'esprit moutonnier de marchés, qui finiront par admettre que Mario Monti fait exactement les réformes qu'ils attendent.
Et, bonne nouvelle s'il en est, le plan présenté par Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, propose des avancées fédérales considérables, que personne ne pouvait imaginer il y a six mois.
On peut voir dans les trois ans de crise des dettes européennes une descente aux enfers, l'éclatement inévitable au bout. On peut aussi se réjouir d'une transfiguration dans l'épreuve.
Quelle hypothèse sera la bonne? La récession qui est là, mortelle, pousse vers la première, mais la hauteur des propositions aujourd'hui sur la table fait pencher pour la seconde: l'euro va survivre, la zone euro restera intacte, elle passera le cap et sortira inoxydable d'avoir résisté.
Dans les mains franco-allemandes
La réponse dépendra d'un seul facteur: l'entente franco-allemande. A cause du poids des deux premières puissances de l'Eurogroupe. A cause surtout du mariage nécessaire de leur conception de l'Union. La nouvelle zone euro postcrise se construira sur une synthèse intellectuelle, aujourd'hui seulement très partiellement engagée.
Depuis la crise, deux compromis ont été trouvés. La France a admis que la rigueur n'était pas toujours une mauvaise politique. D'où son ralliement in fine au Pacte de stabilité. L'Allemagne a appris que la rigueur pouvait être parfois une mauvaise politique, lors d'une récession comme en Grèce par exemple. D'où l'acceptation par Berlin du pacte de croissance voulu par Hollande.
Voilà parcouru un petit bout du chemin de la synthèse recherchée entre Ricardo et Keynes. Reste l'essentiel, qui va se nouer dans le plan Van Rompuy.
Fédéralisme économique et fédéralisme politique: voilà le noeud.
Berlin accepte de payer (l'union bancaire et une certaine mutualisation des dettes) en échange d'un droit de regard de Bruxelles (où le poids allemand serait renforcé) sur les budgets nationaux. Avec l'espoir que ce droit de regard intrusif imposera la discipline.
Paris, qui craint une remise en question de ses choix de politique interne, en clair de ses largesses électoralo-sociales, repousse l'union politique à plus tard. Avec l'espoir que l'Allemagne paie d'abord et que l'obéissance à la discipline viendra mais plus tard.
Le compromis stabilité-croissance montre qu'il n'y a pas, pas encore, de véritable conversion idéologique des deux capitales. La direction fédérale est la bonne, mais la synthèse reste de circonstance et non de conviction. Les marchés ne gagneront pas la fin de l'euro, mais ils auront donc de quoi jouer.
Eric Le Boucher
Article également publié dans Les Echos