Monde

Bongo, symbole des turpitudes de la Françafrique (MàJ)

Temps de lecture : 6 min

Des notes diplomatiques américaines, dévoilées par Wikileaks, confirment les soupçons de financement de partis politiques français via de l'argent détourné par Omar Bongo.

Omar Bongo et Jacques Chirac en 2006 Mihai Barbu / Reuters
Omar Bongo et Jacques Chirac en 2006 Mihai Barbu / Reuters

Actualisation le 30/12/10: Wikileaks apporte aussi son lot de révélations sur la Françafrique, ou plutôt de confirmations sur les financements de partis politiques français venus du Continent noir. Selon une note diplomatique datée de juillet 2009 –qui reprend des informations données par un haut fonctionnaire de la Banque des Etats d'Afrique centrale (BEAC) à un diplomate de l'ambassade américaine au Cameroun– près de 30 millions d'euros auraient été détournés de la BEAC par l'ancien président gabonais Omar Bongo, décédé en juin 2009.

Une somme dont une partie a été remise «à des partis politiques français». L'argent aurait profité «aux deux camps, mais surtout à droite, en particulier à Chirac mais aussi Sarkozy». Dans sa note, l'ambassadeur américain au Cameroun précise par ailleurs que l'ambassade «n'est pas en mesure de vérifier la véracité de l'accusation selon laquelle des hommes politiques français ont bénéficié du détournement de fonds».

Nous republions après ces révélations un portrait d'Omar Bongo écrit quelques jours avant sa disparition en juin 2009.

***

L'hospitalisation d'Omar Bongo dans un hôpital de Barcelone ne laisse pas les Africains indifférents. Loin s'en faut. Dans les capitales africaines, la santé du président gabonais, qui a suspendu ses activités depuis le 6 mai, est l'objet de toutes les supputations. Qu'ils l'aiment ou le détestent, les Africains se passionnent pour son avenir. Des interrogations qui vont bien au-delà de l'importance du pays que Bongo dirige.

Après tout, le Gabon n'est pas l'un des «poids lourds du continent». Rien à voir avec le Nigeria et ses 150 millions d'habitants ou l'Afrique du Sud, poumon économique de l'Afrique.

L'influence du président tient avant tout à son ancienneté au pouvoir. Agé de 73 ans, il est devenu chef d'Etat en 1967. Depuis le départ à la retraite de Fidel Castro, il est le Président resté le plus longtemps en exercice. Seuls des monarques affichent une plus grande longévité. Comme le rappelle avec ironie le «Journal du Jeudi», «Quand le Gabonais Albert Bernard Bongo arrive au pouvoir en 1967, de Gaulle n'a pas encore connu les révoltes estudiantines, le régime de Johnson s'enlise toujours davantage au Vietnam». Lors de sa dernière élection triomphale en 2005, il a promis de remettre ça en 2012. Car selon lui le «meilleur reste à venir».

Symbole de la Françafrique

Si ailleurs dans le monde cette endurance prête à sourire, elle lui vaut en Afrique une certaine aura. «Le président gabonais, Bongo, est le doyen des chefs d'Etat africains. Si sous d'autres cieux dans le monde, cela ne veut rien dire ou pas grand chose, en Afrique où le droit d'aînesse est quasiment un passe-droit, cela compte beaucoup, souligne le journal Bénin Aujourd'hui. Il a toujours utilisé cette carte soit au service de la Françafrique, soit de la résolution des conflits en Afrique. C'est au nom de ce droit d'aînesse qu'il s'est maintes fois investi dans des situations de crise au Tchad, en Centrafrique ou en Côte d'Ivoire». Les Africains s'intéressent tout particulièrement à Bongo car, pour beaucoup, il symbolise, à tort ou à raison, la Françafrique. «Il est craint partout, car les gens savent que s'attaquer à lui c'est aussi s'attaquer à la France», m'a glissé un journaliste africain sous couvert d'anonymat.

Du coup, bon nombre d'observateurs de la vie politique africaine hésitent à formuler ouvertement des critiques. De peur notamment d'être privés de visas. Un nouvel hebdomadaire sénégalais, Clarté, rompt pourtant l'omerta:

«Si l'hospitalisation du président Bongo a créé une onde de choc aussi bien en Afrique qu'en France, c'est que jusqu'à la caricature, il aura symbolisé la "Françafrique", ces liens incestueux que la France continue d'entretenir avec certaines de ses ex-colonies et qui ont été au cœur de bien des dérives sur le continent.»

Le titre sénégalais ajoute:

«Régnant sans partage sur un véritable émirat pétrolier, Bongo a été un allié fidèle de la France et s'est révélé particulièrement généreux avec les hommes politiques de ce pays, de droite comme de gauche. Pour ses bons et loyaux services, la France a fermé pudiquement les yeux sur des aspects bien contestables de son règne: la dilapidation outrancière des ressources publiques érigée en système de gouvernance, un système clientéliste, des élections truquées etc...»

Les autres chefs d'Etat d'Afrique francophone qui ont osé le défier ont souvent eu des ennuis peu de temps après. Les Béninois se rappellent que leur Président Mathieu Kérékou a, disent-ils, payé cher le fait d'avoir critiqué son homologue gabonais lors d'un sommet africain. Quelques mois plus tard, en 1977, des mercenaires commandés par le français Bob Denard tentaient un coup d'Etat à Cotonou.

Le système Bongo

Pourtant, si les Africains restent méfiants vis à vis du «système Bongo», ils reconnaissent qu'il ne présente pas que des inconvénients. A défaut d'avoir connu le développement que ses ressources pétrolières laissaient espérer, son pays est l'un des rares à être resté stable en Afrique centrale. L'un des rares aussi à avoir échappé aux guerres civiles au cours des dernières décennies. Beaucoup l'accusent d'avoir pratiqué la politique du carnet de chèques pour parvenir à ses fins. «Le grand secret qui a permis à Bongo de rester au pouvoir pendant quarante ans, c'est ça: la corruption, affirme Mark Ona, de Brainforest, une ONG dont les activités ont été suspendues au Gabon. Jamais personne ne quitte le cabinet du Président les mains vides».

Sur le continent, il n'est pas le seul, loin s'en faut, à pratiquer cette politique. Mais il s'y adonne sans doute avec plus d'habileté que d'autres. Bongo fascine aussi car il apparaît insubmersible. Alors que Nicolas Sarkozy avait dénoncé la «Françafrique» pendant la campagne présidentielle, beaucoup d'observateurs donnaient peu cher de Bongo. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération n'affirmait-il pas lui-même qu'il voulait en finir avec la Françafrique? Des propos qu'a peu goûtés l'homme fort de Libreville.

Dinosaure de la Françafrique

Au final, c'est lui qui s'est débarrassé de Bockel et non le contraire. La première visite en Afrique du remplaçant de Bockel, Alain Joyandet, a d'ailleurs été réservée au Gabon. Cette capacité de résilience intrigue. «Janvier 1968, de Gaulle reçoit le jeune président du Gabon, Albert-Bernard Bongo, ancien agent des services secrets "coopté" chef de l'Etat par Jacques Foccart, "Monsieur Afrique" du général. Quarante ans plus tard, rappelle le Journal du Jeudi le même dirigeant gabonais, rebaptisé "Omar", sera le premier chef d'Etat africain à être officiellement invité à l'Elysée par le frais émoulu président Sarkozy».

«Les dinosaures de la Françafrique», on s'en moque, mais on ne les élimine pas d'un trait de plume. Même Gnassingbé Eyadéma arrivé lui aussi au pouvoir en 1967 après un coup d'Etat au cours duquel son prédécesseur a «malencontreusement» trouvé la mort, est resté jusqu'au bout un «grand ami» de la France. Il est vrai qu'à Lomé, on se rappelle encore des Français qui venaient chercher leurs valises de billets pour financer les campagnes électorales.

Même de grands dirigeants d'extrême droite auraient rendu visite au Président Eyadéma, présenté sur la fin de son règne comme un vieux «sage africain». Bien des Africains se plaisent à remarquer que le manipulé n'est pas toujours celui que l'on croit. Restés très longtemps au pouvoir, des dirigeants africains ont exercé une influence certaine sur la politique de Paris. Ainsi, le président Félix Houphouët-Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993), fin connaisseur de la vie politique française puisqu'il avait été lui-même ministre d'Etat du général de Gaulle a souvent imposé son «propre agenda» à Paris. Ainsi, il était un fervent partisan du soutien de la France à la sécession biafraise (1967-1969). Car Houphouët-Boigny considérait que le Nigeria était un trop vaste pays faisant de l'ombre à la Côte d'Ivoire et par-là même à son auguste personne.

Il ne fait guère de doute que Bongo sera ménagé jusqu'au bout. Une juge d'instruction française a estimé recevable le 5 mai une plainte pour «détournements de fonds publics», qui visait notamment le président gabonais. Mais le parquet a fait appel. «L'homme fort de Libreville» fait partie de ces dirigeants qui ont accumulé trop de secrets pour être traités à la légère. Seule la mort, pourra lui faire perdre toute influence. Et encore ce n'est même pas sûr. A Yamoussoukro, village natal de Félix Houphouët-Boigny, devenu capitale de la Côte d'Ivoire, les Ivoiriens ménagent le plus gros des «crocodiles» qui nagent autour du palais présidentiel. D'aucuns sont persuadés qu'il s'agit de la réincarnation du «Vieux». Distribués chaque jour aux voraces reptiles, les meilleurs morceaux de poulet lui sont encore réservés.

Pierre Malet

Image de une: Omar Bongo et Jacques Chirac en 2006 Mihai Barbu / Reuters

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