France

Pourquoi il ne faut plus dire mariage gay mais mariage pour tous

Temps de lecture : 4 min

Si le sujet fait de plus en plus consensus chez les Français, cela fait des années que nous nous trompons. Il ne faut plus dire mariage homo parce que l'expression n'a pas forcément le sens qu'on veut bien lui donner. Explications.

Waltzing Couple CarbonNYC via Flickr CC License by
Waltzing Couple CarbonNYC via Flickr CC License by

Avez-vous entendu parler du «mariage pour tous»? Si oui, vous ne vous êtes peut-être pas rendu compte que l’expression renvoyait au mariage gay. Enfin, à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels. Vous êtes perdus: ça tombe bien, nous aussi.

Depuis l’adoption du Pacs en 1999, et ses débats houleux, force est de constater que le discours, et sa forme, ont changé.

Il suffit de regarder la nouvelle ministre déléguée à la Famille, Dominique Bertinotti, qui fait toujours attention à son vocabulaire lorsqu’elle est interrogée sur le sujet, employant systématiquement l’expression «mariage pour tous».


Il est loin le temps où l’on entendait dire «mariage gay» à tout bout de champ, et notamment au moment du fameux mariage de Bègles célébré par Noël Mamère en 2004. Huit ans plus tard, la gauche a remporté l’élection présidentielle et il semble acquis qu’elle ouvrira l’an prochain le mariage, et l’adoption, aux couples de même sexe, mais sans le dire trop fort.

Chacun s’emploie à éviter le terme de mariage homo. Dans une vidéo de campagne du PS, François Hollande dit ainsi «J’ouvrirais le droit du mariage pour tous les couples» —et c’est ce qu’il a répété pendant la campagne, laissant les journalistes, et surtout les opposants à la mesure, utiliser l’expression «mariage gay». Comme Marine Le Pen, par exemple, qui jugeait au Forum Elle-Sciences Po «que le mariage homosexuel n’est pas voulu par les homosexuels».

Dans le programme du Parti socialiste, et les 60 propositions de François Hollande, il n’était pas fait mention de mariage gay, mais d’égalité pour tous les couples. Comme si la gauche voulait faire oublier que c’est bien d’homosexuels que l’on parle. Alors, décision consciente, calcul politique ou expression plus juste?

La peur d’un droit spécifique

Pour les défenseurs des droits des lesbiennes, gay, bi et trans (LGBT), le changement de langage est une bonne nouvelle. Nicolas Gougain, le porte-parole de l’inter-LGBT, milite depuis longtemps pour que l’on cesse de dire mariage gay:

«Il faudrait dire soit mariage pour tous, soit égalité face au mariage. Si on comprend bien que derrière le terme il y a une facilité de langage, il y a aussi un danger d’aller vers une union civile [c’est-à-dire une union qui reprendrait les droits du mariage, mais exclurait les questions d’adoption et de filiation], c’est-à-dire un droit spécifique.»

Mais si l’on en entendait pas, ou moins, parler de ce débat il y a un an ou deux, c’est parce que, maintenant que le mariage semble en voie de se concrétiser, les associations LGBT se montrent vigilantes sur ce que on leur propose.

Une de Libération du 13 janvier 2012.

C’est la une de Libération, il y a quelques mois, sur le mariage gay, qui l’a relancé. Le quotidien, pourtant connu pour être très gay-friendly (certains de ces anciens journalistes étaient aussi des activistes LGBT), avait titré «Sarkozy pour le mariage gay». Sauf qu’il ne s’agissait en fait que de l’union civile. Nicolas Gaugain s’en souvient:

«Je pense que on ne serait pas aussi exigeants si il n’y avait pas eu cette une de Libé. Avec ça, ils sous-entendaient que le mariage gay serait autre chose que le mariage. Après tout, qui dit mariage gay, dit aussi mariage hétéro.»

Caprice sémantique ou vraie question de fond? Eric Fassin, sociologue de l'université Paris VIII et auteur de Reproduire le genre (Edition Bibliothèque Centre Pompidou, 2010), confirme la version de Nicolas Gougain:

«Pour l'ouverture du mariage aux couples de même sexe, parler de "mariage pour tous" ne revient pas à faire oublier l'homosexualité, mais à conjurer les discours sur le lobby homosexuel qui demande des droits particuliers, d'une part, et d'autre part à écarter toute solution réservée aux gays et lesbiennes.»

«C’est des trucs de journalistes»

L’utilisation du mot «gay» a aussi le désavantage d’exclure les lesbiennes, les grandes oubliées de la communauté arc-en-ciel. Gilles Wullus, le directeur de la rédaction du magazine LGBT Têtu, confirme:

«Je me met à la place des filles, et même si elles sont habituées ça doit être chiant pour elles.»

Le journaliste tempère cependant:

«C’est des trucs de journalistes, parce que gay, tout simplement, c’est court. Ça ne part pas d’une mauvaise intention, on utilise le mot gay tout le temps maintenant parce que c’est moins sexualisant qu’homosexuel. C’est un problème de répétition. Malheureusement, "ouverture du mariage aux couples de même sexe", c’est long. Après on fait attention, sur la couverture de mai de Têtu, on a juste "mariage". Par exemple sur la une de Libération ce n’est pas gênant, mais ça l’est plus d’une certaine presse.»


Cette «certaine presse», de droite et d’extrême-droite, utilise l’appellation «mariage gay» comme un repoussoir, comme a pu le faire par exemple l’hebdomadaire Minute.

Le principal problème de l’expression «mariage gay» est qu’elle a été adoptée par la population, et que changer les pratiques est compliqué. D’ailleurs, si l’on compare les recherches Google pour les termes «mariage gay», «mariage homo» et «mariage pour tous», on se rend compte que la dernière expression est quasiment non-existante dans le moteur de recherche.

Pour Eric Fassin, qui compare cette bataille à celle pour le suffrage universel, il y a quand même de quoi espérer:

«Lorsqu'on dit qu'il est instauré en 1848, on oublie que les femmes en étaient exclues. Pour les féministes, il faudrait dire, avant 1946, "suffrage universel masculin". De la même manière, la revendication du "mariage pour tous" pourrait amener à requalifier ce qu'on appelle aujourd'hui "mariage", pour dire plus précisément: "mariage hétérosexuel".»

Ainsi, si François Hollande respecte sa promesse et ouvre le mariage aux couples homosexuels, peut-être qu’un jour on ne dira plus mariage gay, mais simplement mariage.

Fabien Jannic

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