France

A quoi ça sert de diagnostiquer les Alzheimer?

Temps de lecture : 3 min

Faut-il vous annoncer que vous allez être victimes de cette maladie quand on n’a rien à vous proposer ? Les généralistes annoncent qu’ils refusent de faire ce qu’on leur recommande.

Une dame atteinte d'Alzheimer / JustinsPhotos via FlickrCC License by
Une dame atteinte d'Alzheimer / JustinsPhotos via FlickrCC License by

Faut-il diagnostiquer quand on ne sait pas traiter? Appliquée à la maladie d’Alzheimer, cette question est à l’origine d’une situation peu banale: une révolter des médecins généralistes français contre l’une de leur principale tutelle. C’est à ce titre une situation assez nouvelle et embarrassante pour la Haute Autorité de Santé (HAS) comme pour le ministère de la Santé.

Le Collège national des généralistes enseignants vient d’annoncer qu’il refusait d’appliquer les préconisations de la HAS concernant le dépistage précoce de la maladie d’Alzheimer. Les médecins généralistes doivent certes diagnostiquer les maladies d’Alzheimer et les maladies neurologiques dégénératives voisines; mais lorsqu’elles sont au stade de la démence.

Vouloir, comme on leur recommande, faire ce diagnostic au stade précédent dit «pré démentiel» soulève selon eux «des problèmes à la fois pratiques et éthiques». Dès lors ils s’y refusent et réclame à la HAS de revoir sa copie.

La maladie d’Alzheimer se développe schématiquement en trois phases qui se succèdent le plus souvent sur de longues années. La première est la phase « préclinique » qui se caractérise par l’absence de symptômes spécifiques. Elle est suivie par une phase durant laquelle apparaissent des troubles cognitifs légers (TCL), troubles encore assez peu caractéristiques de l’altération de la structure cérébrale. Vient ensuite la démence proprement dite avec des troubles cognitifs multiples, une perte d’autonomie progressive et de lourds retentissements sociaux.

Collectivement, l’affaire est d’importance. Selon les critères que l’on retient, entre 5 et 30% de la population générale présentent des TCL. On estime d’autre part aujourd’hui en France à environ 850.000 le nombre personnes atteintes d’une démence.

Seule la moitié de ces cas de démences aurait une cause médicalement identifiée. «Les quatre causes principales de syndrome démentiel chez les sujets âgés sont la maladie d’Alzheimer, les démences d’origine vasculaires, la «démence à corps de Lewy», et les «démences fronto-temporales» rappelle un récent numéro d’Exercer, revue française de médecine générale. Dans tous les cas, les démences sont des maladies graves et handicapantes qui s’accompagnent d’un placement en institution dans près de 40% des cas.

Vouloir repérer les cas de maladie d’Alzheimer à un stade précoce suppose de savoir faire la distinction entre les premiers troubles amnésiques évocateurs de cette affection et les petits oublis bénins liés à l’avancée en âge. Une tâche difficile. En théorie, il est possible de faire la part entre les différentes causes de démence. Il faut toutefois pour cela réaliser une «évaluation cognitive globale» (à partir d’un questionnaire spécialisé) et une «évaluation fonctionnelle».

La HAS recommande de compléter le bilan clinique par des examens biologiques et par un examen d’imagerie par résonance magnétique cérébrale ou, à défaut, par un scanner cérébral. Une tâche quasi-impossible tant pour le généraliste que pour les proches du malade. Après prise en considération des facteurs d’erreurs (des épisodes de dépression notamment), il faut enfin passer, pour plus de précision, à une évaluation neuropsychologique approfondie en milieu spécialisé. Combien sont-ils à parvenir à ce stade ? Nul ne sait.

Pour sa part, la HAS ne recommande pas de dépister les maladies d’Alzheimer et les maladies apparentées dans leur phase préclinique. En revanche, elle recommande un diagnostic précoce par le médecin généraliste traitant, notamment en cas de troubles de la mémoire. «Or la même HAS ne dit pas comment il convient de faire le diagnostic de troubles cognitifs légers», dénonce le Collège des généralistes. Ce flou peut conduire à des prises en charges variables et à des bilans neuropsychologiques parfois invasifs,

Une situation d’autant plus délicate qu’il n’existe actuellement aucun traitement efficace connu de ces troubles. Et ce même si les quatre médicaments officiels (potentiellement toxiques) sont remboursés par la collectivité. Le seul argument avancé par la HAS pour justifier ses recommandations est que le diagnostic des troubles cognitifs légers «permettrait aux médecins généralistes de préserver la qualité de vie du patient et de ses aidants». Or rien ne démontre que cette hypothèse soit une réalité.

On peut le dire autrement: est-il ou non éthique (moral) d’annoncer à des personnes présentant de légers troubles de mémoire (mais encore bien conscientes) qu’elles démarrent (peut-être) une maladie d'Alzheimer, et ce sans leur proposer de prise en charge adaptée et de médicaments efficaces? Le Comité national d’éthique sera-t-il saisi? Les médecins généralistes français réclament, poliment, que des recherches soient menées pour que l’on en sache un peu plus sur l’éventuel intérêt, pour leurs patients, des diagnostics précoces. Dans l’attente ils se refusent, en conscience, à faire ce qu’on leur demande.

Jean-Yves Nau

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