Dans la comédie drôle (très drôle) et sagace de Ken Scott, Starbuck [1], David Wozniak est boucher dans l’entreprise familiale. Comme il a eu besoin d’argent au début de sa vie d’adulte, il a donné son sperme. C’était il y a longtemps, il a désormais 42 ans, une compagne, un enfant bientôt en route. Ce ne sera pas un enfant unique. Son sperme, très fertile, a été beaucoup utilisé. David est père de 533 enfants.
Peut-on vraiment avoir 533 enfants, dans «la vraie vie»? Légalement, non. Mais techniquement, pour un homme, aucun problème. Concrètement, pour faire 533 enfants pour un homme donneur de sperme, rien de très compliqué.
Devenir donneur
En France, un homme qui souhaite donner son sperme se rend dans un Cecos (Centres d'Etudes et de Conservation des Oeufs et du Sperme). Il est reçu en consultation par un médecin, pour voir sa motivation, puis éventuellement par un psychologue. Il peut y avoir des motivations très diverses, en général les gens savent ce qu’ils font. Mais quelques candidats sont parfois récusés. Ceux qui, par exemple, se trouvent beaux et veulent régénérer l’humanité. (Ils existent.)
Puis le dossier du futur donneur est établi: on fait des tests et une enquête génétique. C’est une enquête orale, faite par un généticien, pour déterminer si l’entourage familial est atteint de maladies génétiques. (Une enquête sanguine n’a pas de sens: pour beaucoup de maladies génétiques, on ne peut savoir si on est porteur qu’une fois la maladie génétique déclarée.)
Au terme de cette enquête, le donneur peut être récusé parce qu’il y a un risque mais c’est exceptionnel. Le plus souvent il va être accepté.
Un sperme de qualité
Ensuite le donneur va faire plusieurs dons: il va dans une pièce, il fait son recueil (il éjacule). Ce recueil est congelé dans des paillettes: ce sont des petites pailles de 10 à 12 centimètres de long et de 0,3 ml de volume. (Ca ressemble, en volume, aux pailles des briques de jus de fruits).
Sur un don (un éjaculat) on constitue 10 à 20 paillettes. On les congèle toutes, puis on en décongèle une toute de suite, pour voir la qualité du sperme recueilli. On n’accepte une paillette que si le nombre de spermatozoïdes en forme est suffisant. (Un spermatozoïde en forme est un spermatozoïde qui bouge, et pourra aller rejoindre l’ovocyte). Il faut au moins 20% de mobilité par paillette et au moins 2 millions de spermatozoïdes mobiles par paillette.
Une paillette représente une insémination - mais toutes les inséminations n’aboutissent pas à une naissance: statistiquement il faut environ dix paillettes pour une grossesse. Un éjaculat produisant 10 à 20 paillettes, si l’on prend l’estimation de 10, il faudra au moins 533 éjaculats pour avoir 533 grossesses. Dans Starbuck, David Wozniak avait réalisé 693 donations. Soit un nombre assez cohérent pour le nombre d’enfants obtenus.
Inceste
Ces dernières années, plusieurs faits divers ont été rapportés, en France comme aux Etats-Unis, selon lesquels des donneurs de sperme étaient père de nombreux enfants, parfois jusqu’à plusieurs centaines. A l’instar de Bertold Wiesner, scientifique britannique qui inséminait avec son propre sperme les patientes de sa clinique.
Il
n’y a que la loi pour empêcher de telles pratiques. Le risque étant de voir
deux enfants du même géniteur se rencontrer, fonder une famille, et voir des
problèmes génétiques apparaître dans leur descendance. C’est un risque d’inceste qui inquiète notamment
aux Etats-Unis, où le type d’anonymat (on ne connaît pas le nom du donneur mais
il a un numéro communiqué aux familles bénéficiant de ses paillettes) permet
aux demi frères et sœurs de se regrouper. Certaines familles se sont ainsi
rendues compte qu’ils étaient des dizaines, voire
centaines de frères et sœurs, parfois dans la même région. Certains
spécialistes ou enfants de donneurs prônent ainsi la levée
de l’anonymat, pour ne pas encourir l’inceste.
En France, depuis 2004, la loi permet d’avoir jusqu’à 10 naissances avec un même donneur – si vous vouliez être un méga papa c’est loupé. Si vous vouliez être méga-riche c’est loupé aussi: le don n’est pas rémunéré de ce côté du monde.
Charlotte Pudlowski
L'Explication remercie le médecin-biologiste Jérôme Pfeffer, du laboratoire ZTP et Marie-Claude Melin-Blocquaux, responsable du Cecos du CHU de Reims.
[1] Le titre du film n'a absolument rien à voir avec la chaîne de cafés américaine - qui prend un S à la fin de son nom. Starbuck était le nom d'un taureau canadien, Holstein, qui avait fait la fortune de ses propriétaires en engendrant des dizaines de milliers de veaux grâce aux programmes de reproduction artificielle. Plus de 685 000 doses de sa semence ont été vendues dans 45 pays. Retourner à l'article.