Les aéroports, tout le monde connaît. Les héliports, personne. Sauf, peut-être, les riverains de la plateforme de Paris-Issy-les-Moulineaux, dont le but dans la vie est d’en obtenir la fermeture parce que le bourdonnement des rotors les empêche de dormir…
Il faut dire que la filière hélicoptère, dans un pays où le survol des agglomérations est interdit et où les businessmen prennent plutôt le TGV, ça n’est pas exactement comparable à une bonne grosse filière avion. La France a beau avoir inventé la première machine volante équipée d’une hélice horizontale, le mot pour la désigner (merci à Gustave de Ponton d'Amécourt, 1825-1888) et héberger le tout premier constructeur mondial (Eurocopter), elle n’exploite commercialement que 480 machines en tout et pour tout via une poignée de micro-compagnies.
Aux Etats-Unis, le parc est de 14.200 machines. Toutes choses égales par ailleurs, ça donne une belle idée de l’infini.
De fait, Issy-les-Moulineaux est l’unique infrastructure gauloise digne de l’appellation héliport ―et même la seule officiellement répertoriée comme telle par les autorités internationales de l’aviation civile. En Europe, des pays comme l’Italie, Grande-Bretagne ou l’Allemagne en possèdent généralement plusieurs, réparties sur l’ensemble du territoire puisqu’il faut bien se poser quelque part après avoir décollé. Pas nous. «Mais comment ce fait-ce?» est-on fondé à demander en levant un sourcil intrigué.
Le mode de transport préféré de la jet set?
Thierry Couderc, délégué-général de l’Union française de l’hélicoptère, le mini-lobby de ce mini-secteur, croit avoir des réponses:
«C’est l’un de ces paradoxes bien de chez nous. Nous sommes puissants dans une industrie ―car en plus d’Eurocopter, il y a Thales, Safran, Zodiac Aerospace, Dassault, etc. pour les rotors et les équipements électroniques―, mais nous faisons tout pour l’empêcher de se développer!
Pour des raisons un peu fumeuses, l’image de l’hélico en France est extrêmement négative. Ce serait le moyen de transport privilégié de la jet set et des riches hommes d’affaires et il est donc perçu comme illégitime. Mais c’est totalement absurde puisque l’essentiel de l’activité des hélicos, c’est du transport sanitaire et des missions de service public.»
Effectivement, et même si les statistiques sont assez difficiles à dénicher, l’essentiel des «mouvements» d’hélicos dans l’Hexagone sont dus au Samu, à la protection civile, aux interventions de sauvetage en mer ou en montagne et à des opérations de levage-manutention pour la construction de gros ouvrages de BTP ou l’entretien du réseau électrique par RTE:
«Ajoutez encore la couverture du Tour de France et l’observation du trafic routier et vous avez la presque totalité du trafic. Du coup, l’héliport de Paris est à 12.000 mouvements par an, ce qui veut dire 6.000 décollages à peine quand Londres est à 35.000 et les cinq héliports de New York à un mouvement toutes les deux minutes! Sans cette impossibilité de survoler les zones habitées, la demande serait évidemment plus forte pour le transport de personnes…
― Mais ce serait dangereux, non? Les hélicos s’écraseraient sur les maisons et tueraient tout un tas de gens?
― Ben voyons! Car bien entendu, des appareils s’écrasent tous les matins sur Rio et Tokyo! De fait, les statistiques d’accidents montrent que c’est l’un des modes de transport les plus sûrs qui soient, mais qu’il est trop politiquement incorrect de s’en servir…
― Il y a aussi les nuisances sonores, puisque les héliports sont au cœur des villes et qu’un hélico fait du bruit…
― Les appareils modernes sont de plus en plus silencieux et, oui, ils sont au cœur des agglomérations et c’est précisément la raison pour laquelle ils rencontrent tant d’hostilité de groupements d'intérêt. Un héliport, c’est 3 hectares d’espace de verdure. Mais si vous êtes un Bouygues, ça peut représenter 3 hectares d’immeubles de rapport. Si vous êtes la mairie de Paris, c’est 3 hectares de logements sociaux. Si vous êtes un aménageur urbain, c’est l’impossibilité de construire des édifices élevés à proximité pour des raisons réglementaires… Ça crée beaucoup d’antagonismes!
«Renault et Peugeot, eux, peuvent faire rouler leurs autos!»
Des antagonismes, c’est vrai, ça en crée, comme lorsque l’idée est venue à Dominique Bussereau, puis à Nathalie Kosciusko-Morizet, en charge des Transports dans l’avant-Hollande, d’ouvrir de nouvelles infrastructures autour de Paris:
«Les industriels français faisaient la tête et se plaignaient de ne même pas pouvoir faire de démonstrations de leurs machines aux clients étrangers, ce qui jetait un doute sur leur fiabilité. Un peu comme si Renault ou Peugeot ne pouvaient pas faire rouler leurs autos dans leur pays parce qu’elles seraient présumées dangereuses! La création de modestes hélistations, c’est-à-dire d’un bout de ciment marqué d’un H et entouré d’une clôture, est devenu un enjeu politique et tout est tombé à l’eau…»
L’héliport solitaire de la capitale n’est pas pour autant menacé, même s’il reste une petite affaire de pas grand-chose, géré par ADP en plus des aéroports de Roissy, d’Orly et du Bourget. Plus semblable à un petit aérodrome rural qu’à un aéroport proprement-dit, avec ses quelques hangars, son terminal sans boutiques duty free (mais avec tour de contrôle!) et sa centaine de salariés, il devrait continuer d’accueillir son maigre trafic dans les années qui viennent mais rester off-limits pour les businessmen pressés. Bah, on leur a déjà supprimé leurs parachutes dorés, que feraient-ils d’un hélico?
Hugues Serraf