La victoire de la Nouvelle démocratie qui repousse le spectre d’une sortie de l’euro de la Grèce, ne règle pas tous les problèmes, loin s’en faut. Tout reste à faire à nouveau pour sortir le pays de sa situation de faillite.
Car les élections législatives du 17 juin faisaient suite à celles du 6 mai, qui avaient révélé l’opposition massive du peuple grec (PDF) au plan d’austérité devant conditionner l’aide de l’Europe. Pour se présenter à nouveau devant les électeurs avec une chance de succès, tous les partis et même ceux de gouvernement –le Pasok socialiste et la conservatrice Nouvelle démocratie– avaient rejeté le mémorandum européen négocié en février par Athènes avec les capitales des pays membres de la zone euro.
Or, cet accord fixait les conditions d’un plan de sauvetage à 237 milliards d’euros (130 milliards de prêts et 107 milliards d’effacement de dette) après le premier plan de 2010 de 110 milliards. C’était le prix à payer pour éviter la banqueroute à la Grèce.
Aujourd’hui, le Mémorandum ne tient plus: pas question de revenir aux manifestations qui avaient suivi l’adoption de ce plan d’austérité par le Parlement grec, et fait le lit des partis extrémistes. Pas question non plus de reprendre les dispositions encore plus contraignantes imposées par la troïka (composée du FMI, de la BCE et de l’Union européenne), déclenchant des violences dans le pays qui avaient mis les institutions en péril. Mais du même coup, le sauvetage est mal en point, car toutes les conditions du soutien doivent être reprises.
Pourtant, la situation a progressé: les Grecs ont voté pour que leur pays reste dans l’euro, ce que souhaite l’Union européenne. C’est un acquis évident, compte tenu des interrogations qui se posaient. Mais par quel bout reprendre les discussions?
L’hypothèse des privatisations
Un chapitre important du mémorandum concerne les privatisations dont le produit serait affecté à la réduction de la dette souveraine pour participer au redressement des finances publiques.
Certes, face à une dette de l’ordre de 350 milliards d’euros, les recettes de privatisations n’offriraient qu’une réponse très partielle au problème posé: pas plus de 10% à 14% de la dette totale. C’est toutefois loin d’être négligeable.
Après tout, dans tous les pays d’Europe et notamment en France, des privatisations identiques furent menées. On peut d’ailleurs discuter de leur pertinence au regard des recettes dégagées et du caractère stratégique ou non des entreprises concernées. Mais dans une situation d’urgence et pour convaincre ses partenaires de s’engager dans son redressement, des privatisations seraient un signal donné par la Grèce pour obtenir à la fois de l’oxygène et du temps.
Des actifs
surestimés à cause du contexte social et de la crise
Malgré tout, depuis qu’on parle de ces privatisations, rien n’a vraiment progressé. Elles faisaient déjà partie des engagements pris en 2010 par Athènes. On parlait alors d’une trentaine d’entreprises publiques qui pourraient faire l’objet de cessions partielles ou totales au secteur privé, et de ventes du patrimoine immobilier, pour un total qui aurait pu atteindre 50 milliards d’euros entre 2011 et 2015.
L’estimation est vite apparue très optimiste, même si les entreprises concernées sont tout à fait susceptibles d’attirer des opérateurs et fonds privés. Ce sont notamment des entreprises de télécommunications, de distribution d’eau ou d’énergie, des gestionnaires de ports (une partie du port du Pirée est déjà devenue la tête de pont de la Chine en Europe), d’aéroports ou d’autres infrastructures de transport…
Dans les autres pays et notamment de la zone euro, leurs homologues ont été privatisées. Il n’existe pas de schéma idéal: les opérations doivent être étudiées au cas par cas, et évaluées suivant les secteurs. On ne privatise pas une entreprise de service public comme une société de loterie ou de pari mutuel. Les formules peuvent varier, l’Etat gardant parfois une participation ou la majorité du capital lorsque des entreprises opèrent dans des secteurs stratégiques. A chaque pays d’inventer la solution qui correspond le mieux à sa culture et à son histoire.
Mais en Grèce, les syndicats se sont farouchement opposés à la vente des bijoux de famille, surtout à des capitaux étrangers –ce qui était obligatoirement le cas. Ils ont affirmé qu’au lieu d’enrichir l’Etat, ces privatisations le priveraient de recettes. Et ils l’ont fait savoir si fort, dans la rue, que les investisseurs ont pu être refroidis à la perspective d’être confrontés à des situations de blocages dans les entreprises impliquées.
Par ailleurs, avec la crise que traverse la Grèce, l’exploitation de nombreuses entreprises est elle-même très désorganisée, avec des impayés qui grimpent en flèche et des perspectives de relèvement des tarifs difficiles à imposer dans un pays où les revenus reculent.
Aussi l’objectif des 50 milliards apparaît-il aujourd’hui totalement irréaliste. En 2011, la Grèce aurait réalisé seulement 1,3 milliard d’euros de privatisations au lieu de 5 milliards initialement escomptés.
Le blocage des syndicats aboutit à un gel politique
En fait, bien que les pouvoirs publics aient voulu donner des gages à leurs créanciers internationaux, Athènes ne s’est pas attelé à la tâche avec beaucoup de volontarisme compte tenu des réactions de la population contre les ventes au privé. Compte tenu des restrictions demandées aux Grecs, toute étincelle peut mettre le feu aux poudres; les «indignés» ont toujours une forte capacité de mobilisation, surtout avec la montée des partis extrêmes.
Finalement, après les résultats des élections législatives du 6 mai et le coup de semonce pour les partis de gouvernement, les privatisations ont été tout simplement gelées.
Aujourd’hui, elles ne sont qu’un des éléments sur la table des négociations à venir. Mais alors que la Grèce a laissé ses armateurs déserter le pays avec leurs fortunes et que la riche Eglise orthodoxe ne fait toujours pas mine de mettre la main à la poche, elles ne peuvent être purement et simplement mises sous le boisseau au prétexte que l’opinion publique, selon les syndicats, se sentirait humiliée qu’elles soient menées.
Certes, personne ne peut prendre de décision à la place d’Athènes, et il serait même dangereux et contre-productif de chercher à se substituer au choix souverain du peuple grec. C’est notamment la leçon du 6 mai.
Mais il existe, dans toute union et dans l’Union européenne en particulier, des droits et des devoirs partagés. Et pour les Grecs, des privatisations qui ont été menées ailleurs seraient malgré tout moins douloureuses que des réductions drastiques de salaires et de pensions de retraite. Ou que l’essorage des effectifs de la fonction publique alors que plus de 22% de la population est au chômage.
Gilles Bridier