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Le Liban, le jardin de la Syrie en danger

Temps de lecture : 6 min

Plus la répression s'aggrave en Syrie, plus les tensions se propagent chez le petit voisin.

Un milicien sunnite dans le quartier de Jabal Mohsen à Tripoli, le 2 juin 2012. REUTERS / Omar Ibrahim
Un milicien sunnite dans le quartier de Jabal Mohsen à Tripoli, le 2 juin 2012. REUTERS / Omar Ibrahim

Le Liban doit de nouveau affronter un grave péril qui cette fois-ci ne vient pas de l’intérieur: il se trouve peu à peu happé par la crise syrienne. Les répercussions demeurent jusqu’à présent à un niveau de basse intensité par rapport à ce que le pays a connu ces dernières décennies mais les perspectives sont préoccupantes.

Le Liban ne dispose pas en effet, contrairement à la Turquie, d’une puissante armée, d’une volonté politique et d’un consensus national pour décourager tout débordement en provenance du territoire syrien. La population elle-même est profondément divisée sur l’attitude à adopter face à la crise qui se déroule de l’autre côté des frontières. Et pourtant le temps presse!

Le pays a d’abord connu depuis le début du soulèvement populaire syrien, en mars 2011, des incidents limités essentiellement le long de sa frontière nord, principalement à propos de brèves incursions syriennes ou de réfugiés venant s’abriter. Ceux-ci sont actuellement une vingtaine de milliers hébergés dans des conditions difficiles et parfois périlleuses. Toutefois, depuis quelques semaines, c’est plus sérieux.

A mesure que la répression s’aggrave en Syrie, le régime syrien s’impatiente de ne pas voir le Liban épouser sa politique. Ainsi, un foyer de tension s’est développé dans la grande ville sunnite du nord, Tripoli, traditionnellement hostile au régime syrien dominé par des alaouites.

Des affrontements confessionnels meurtriers se répètent depuis le mois de mai dans deux quartiers voisins naguère prospères mais qui ont sombré dans la pauvreté avec la guerre du Liban et l’effondrement de l’activité portuaire: Bab el-Tebbaneh, peuplé de sunnites hostiles à Bachar el-Assad, et Jabal Mohsen, habité par des alaouites favorables au dirigeant syrien.

Une armée qui se retire quand ça s'aggrave

L’implantation dans le nord du Liban de la petite communauté alaouite, très minoritaire et venue de Syrie, a été encouragée par Damas pendant la présence de l’armée syrienne, afin de faire contrepoids à la majorité sunnite. Elle dispose de deux sièges au parlement libanais depuis une vingtaine d’années.

Inévitablement, des individus extrémistes, étrangers aux quartiers, se sont mis de la partie, n’aidant en rien à l’apaisement à Tripoli où des milliers de Syriens ont trouvé asile. L’armée libanaise s’est bien interposée, mais sa composition est le reflet de la diversité religieuse du pays. Elle est donc contrainte de rester sur la réserve quand les relations entre les communautés nationales sont en cause. La conséquence est qu’elle se retire quand les choses s’aggravent afin de ne pas être accusée de prendre partie. Le bilan est déjà lourd, une vingtaine de morts et plusieurs dizaines de blessés.

La mort d’un important dignitaire religieux sunnite, tué à un barrage de l’armée dans le nord du Liban a aggravé la tension au point que, pour la première fois depuis le début du soulèvement syrien des affrontements ont eu lieu dans un quartier de Beyrouth, entre deux groupes sunnites rivaux, pro et anti Assad, faisant deux morts et plusieurs blessés.

La région frontalière au nord de Tripoli est stratégique pour le régime syrien comme pour ses opposants précisément parce qu’elle est mal contrôlée et dispose d’un littoral propice aux activités clandestines. Elle est devenue, au fil des mois, une zone instable ouverte aux trafics de tous genres: des armes y transitent pour alimenter le soulèvement syrien –ce que constate l’ONU elle-même– et l’armée syrienne y fait des incursions limitées à la recherche de fuyards, et parfois pour enlever des personnes recherchées.

L’importance de la région de Tripoli dans la crise syrienne est évidente dans la mesure où les grands centres du soulèvement syrien –Homs, Hama, Tartous– sont proches de la frontière. Le pouvoir syrien cherche donc à prendre le contrôle de cette zone stratégique par l’intermédiaire de militants acquis à sa cause. Il espère également qu’une menace de déstabilisation de l’ensemble du pays convaincra le gouvernement libanais d’adopter une attitude positive à l’égard de Damas et d’abandonner sa position de neutralité qu’il s’efforce de conserver, tant bien que mal.

Le «complot» al-Qaida/Frères musulmans/étranger

Pour mettre les choses bien au point s’il en était besoin, l’ambassadeur de Syrie aux Nations unies Bachar Jaafari a adressé en mai une lettre au Secrétaire général de l’ONU, affirmant que «certaines régions du Liban proches de la frontière sont devenues un nid de terroristes d’al-Qaida et des Frères musulmans». Message clair et menaçant indiquant que la Syrie ne tolérera pas que le nord du Liban se transforme en base arrière des rebelles.

L’argument est identique à celui constamment utilisé depuis un an à Damas même: le régime est victime d’un complot terroriste perpétré par al-Qaida et les Frères musulmans avec l’aide de l’étranger.

Face au danger, le Président libanais Michel Sleimane a affirmé que le Liban ne doit pas devenir «une base militaire contre la Syrie», mais «continuer la politique de neutralité positive envers la Syrie pour ne pas alimenter les tensions». Sans illusion sur la marge de manœuvre libanaise, le chef de l’opposition libanaise Saad Hariri a assuré qu’il y a une volonté de «provoquer des problèmes dans l’intérêt du régime syrien». Aussi Najib Mikati, Premier ministre d’un gouvernement libanais dominé par les représentants du Hezbollah pro-Assad et pro-iranien et leurs alliés, n’a pu que constater en conseil des ministres que «le feu couve sous les cendres».

Les risques de déstabilisation que court le fragile Liban face à un pouvoir syrien qui montre jour après jour qu’il est prêt à tout ne sont pas anodins pour l’avenir de l’ensemble du Proche-Orient.

Le risque de déstabilisation

A bien des égards, ce pays est le contre-exemple de la Syrie, ce qui en fait un modèle gênant. Alors que la vie politique et économique syrienne est dominée depuis 1963, par un parti hégémonique, le Baas, le Liban vit sous un régime de multipartisme et de libéralisme économique qui rassemble dix-huit communautés religieuses. Ce n’est pas l’armée et le parti qui légitiment le pouvoir comme en Syrie, mais la représentation parlementaire qui connaît régulièrement l’alternance.

Le Liban est aussi le seul pays du Proche-Orient méditerranéen qui n’a jamais eu d’ambitions territoriales à l’égard de ses voisins. Aussi, en dépit de toutes ses insuffisances liées notamment au confessionnalisme politique, le Liban est un cas unique au Proche-Orient et bénéficie en outre d’une liberté d’expression et de la presse sans équivalent dans le monde arabe.

La démocratie libanaise, imparfaite comme les autres très rares démocraties de cette partie du monde (Turquie, Israël, et dans une certaine mesure l’Autorité palestinienne), est ainsi une réalité qu’aimeraient sans doute connaître bien des peuples qui se sont soulevés avec le Printemps arabe.

Le Liban, une démocratie gênante

C’est peut-être pour cela qu’elle gêne ceux qui ont choisi l’autocratie, le radicalisme identitaire ou l’ethnocratie et qui craignent la contagion de l’exemple libanais. Ce qui n’est d’ailleurs pas nouveau! Tout cela explique pourquoi Henry Kissinger qui ne croyait qu’au rapport de force et s’intéressait donc peu aux petits pays même exemplaires, ait pu s’aventurer à dire que «le Liban est une erreur de l’histoire. Ce n’est pas une nation».

Mais, ces atouts sont aussi la faiblesse du Liban dans une région où la force fait souvent loi. Ce n’est pas son armée modeste et largement symbolique, traversée par les appartenances communautaires, qui peut s’opposer aux intrusions étrangères comme on l’a vu avec Israël et la Syrie au long des années, d’autant plus que le Hezbollah chiite pro-syrien et pro-iranien est sans doute mieux armé que l’armée elle-même ce qui lui donne par voie de conséquence des moyens de pression exorbitants dont ne dispose aucun autre parti.

L’émiettement du monde politique libanais le rend traditionnellement perméable aux influences extérieures et on retrouve les mêmes divisions communautaires qu’en Syrie, ce qui facilite les ingérences étrangères qui ont toujours été le talon d’Achille du pays et lui ont coûté cher de 1975 à 1990.

A cela s’ajoute qu’en dépit de vingt années de guerre, il reste à faire naître le citoyen libanais qui ferait passer l’Etat avant sa communauté, et à créer l’Etat qui pourrait administrer l’ensemble des citoyens indifféremment à leur appartenance communautaire.

Face à ce pays fragile, la détermination du pouvoir syrien qui joue sa survie, le dos au mur, peut avoir des effets dévastateurs.

Xavier Baron

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