Économie

Plans sociaux: l’emploi miné par l’essorage des PME

Temps de lecture : 4 min

Derrière les plans sociaux des grands groupes, les conséquences sur les PME sous-traitantes sont plus lourdes encore pour l’emploi. Les CDD ne sont pas reconduits. Et le nombre des ruptures conventionnelles explose.

Manifestation d'ouvriers d'ArcelorMittal, en mars 2012. REUTERS/Vincent Kessler
Manifestation d'ouvriers d'ArcelorMittal, en mars 2012. REUTERS/Vincent Kessler

Derrière les menaces de plans sociaux des grandes entreprises pointent les licenciements chez leurs sous-traitants, voire les fermetures de petites et moyennes entreprises. On n’est plus dans les hypothèses de travail, comme avant l’élection présidentielle lorsque de grands noms de l’industrie et des services étaient suspectés de préparer des suppressions d’effectifs qu’ils n’annonceraient qu’une fois l’élection passée.

Cette fois, c’est malheureusement bien établi: Jean-Marc Ayrault à Matignon, qui a dressé une liste de 36 entreprises en danger, corrobore les mises en garde de la CGT à propos de 46 plans sociaux sur le point d’être révélés. Avec, à la clé pour le syndicat, 45.000 emplois supprimés, évaluation confirmée par Arnaud Montebourg, ministre d’un complexe redressement productif.

Les PME en exposition maximale

La situation est en réalité bien plus difficile pour l’économie française. Car les PME sont les premières à payer les pots cassés lorsque que leurs donneurs d’ordres resserrent les boulons. Or, les quelque 2 millions de petites et moyennes entreprises françaises de moins de 250 salariés fournissent près de deux emplois sur trois à l’économie. Et elles sont à l’origine de près de quatre créations d’emploi sur cinq.

Mais lorsqu’un client subit une baisse d’activité au point de devoir réduire ses effectifs, il réduit ses commandes à ses sous-traitants pour adapter ses achats à son plan de charge. Ainsi, les fournisseurs sont les premiers touchés.

Un exemple avec l’industrie: à force de réduire les investissements, un industriel en France commande en moyenne une machine outil quand, dans le même temps, son homologue italien en commande trois et l’allemand cinq, explique Jérôme Franz, président de la fédération des industries mécaniques. Ceci traduit le retard de l’industrie en France par rapport à l’Allemagne et à l’Italie, et explique la disparition de nombreuses PME du secteur de la mécanique. Avec, à la clé, la perte de 500.000 emplois dans l’industrie en dix ans.

Ensuite, lorsqu’une baisse d’effectifs provient de la délocalisation d’une activité à l’étranger, les fournisseurs locaux perdent le marché au bénéfice de concurrents étrangers. C’est typiquement le cas des PME du secteur automobile (avec Renault qui ne construit plus qu’une voiture sur quatre en France), comme autrefois pour celles du textile par exemple.

Enfin, avant de licencier des salariés, les directions de grandes entreprises ont l’habitude de rapatrier en interne des activités sous-traitées à des fournisseurs. Ainsi, les grandes entreprises parviennent à réduire un peu l’importance de leurs plans sociaux. Mais elles transposent leurs problèmes chez leurs sous-traitants, obligés de licencier.

Crédits bancaires et marges

Dans le même temps, les PME pâtissent du resserrement du crédit octroyé par les banques. La Fédération de la mécanique déplore ainsi que celles-ci octroient aux grands groupes des financements qui sont inaccessibles aux PMI, ce que confirme aussi bien l’OCDE que la Banque centrale européenne. Plus concrètement, les Chambres françaises de commerce et d’industrie constatent que si «60% des entreprises ont fait appel au crédit bancaire au cours des six derniers mois, la moitié fait état de restrictions». Sans parler des contreparties ou garanties supplémentaires, des taux d’intérêts plus élevés et des délais de réponses plus longs.

Si on ajoute le comportement des grands donneurs d’ordre en France, accusés par les fédérations professionnelles de ne pas suffisamment répartir la création de richesse avec leurs sous-traitants, on aboutit à une situation de grande fragilité du tissu des PME. Qui, pour faire face avec des marges réduites, détruisent des postes. Le constat est récurrent; il varie peu.

On parle moins des plans sociaux des PME car ils sont moins spectaculaires. Mais pris globalement, ils saignent tout autant le marché du travail. Souvent, c’est la PME qui baisse le rideau. Ainsi, alors que le nombre de défaillances d’entreprises avait reculé en 2010 et 2011, il est reparti à la hausse sur les premiers mois de l’année 2012 (+2,5% sur quatre mois) et «le bilan de l’année devrait être proche des sommets de 2009 et 1993», souligne le cabinet Euler Hermes.

Ruptures conventionnelles et CDD pour licencier sans heurts

En outre, les séparations dites amiables sont de plus en plus nombreuses, notamment dans les petites entreprises, et échappent à la comptabilité des licenciements. Le principe de la rupture conventionnelle a été introduit dans la loi en juin 2008. Il permet au salarié de négocier son départ avec son employeur, en évitant le plan de sauvegarde pour l’emploi et sans passer par la case du licenciement économique.

Compte tenu de sa souplesse, la procédure est vite montée en puissance: de 7% des sorties de l’emploi en 2009, elles en représentaient 14% en 2011 et, en trois ans, le ministère du Travail a enregistré 740.00 ruptures conventionnelles. Leur nombre continue d’augmenter: sur les derniers douze mois, on en compterait 293.000.

Or, note Pôle Emploi, une fin de CDI sur quatre est aujourd’hui provoquée par une rupture conventionnelle, et les trois quarts de ces ruptures proviennent d’établissements qui emploient moins de 50 salariés, souligne l’Unsa. Encore ne parle-t-on pas ici de la non-reconduction des CDD, première mesure prise par les entreprises pour réduire l’enveloppe salariale. Et le réservoir est profond: en France, les contrats en CDD ont pu représenter jusqu’à trois embauches sur quatre. Pour y mettre fin, pas besoin de plans sociaux.

Le FSI au cœur de la future banque publique d’investissement

Il y a, forcément, matière à vérifier comment se déroulent toutes ces suppressions de postes et séparations amiables. La banque publique d’investissement promise par le candidat Hollande devra aussi consolider des entreprises en perdition. Christian Pierret, ancien ministre de l’Industrie de Lionel Jospin, a assuré que l’actuel FSI (Fonds stratégique d’investissement) resterait au cœur du dispositif et continuerait d’intervenir comme pour le sauvetage de Translohr avec Alstom.

Toutefois, ce n’est pas en empêchant les licenciements qu’on pourra restaurer les plans de charge qui garantissent l’emploi. Reste entre autres à restaurer les filières pour que les PME, indispensable pour l’emploi, ne soient plus les laissées pour compte de la création de valeur ajoutée.

Gilles Bridier

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