C’est un indice très parlant: le prestigieux Comité Colbert, qui réunit 75 entreprises françaises du luxe, a deux attachés de presse. L’une est française, basée à Paris, l’autre, chinois, peut être joint à Pékin. Car la Chine est devenue le principal débouché des industries du luxe. Selon une étude de l’observatoire italien Altagamma associé au cabinet Bain&Co, parue en mai 2012, le marché chinois du luxe a cru de 18% à 22 %, l’indien de 15% à 20%. Suivent le Brésil et la Russie (1).
Selon la même étude, l’industrie mondiale du luxe devrait connaître cette année une croissance de 6% à 7% après une progression de 10% en 2011. Certes, la croissance du secteur, en termes de chiffre d’affaires, sera à l’arrêt en Italie et au Japon. Et pas très forte en France. Mais la France et l’Italie profiteront malgré tout de cette conjoncture, puisqu’il s’agit des deux plus grands producteurs de luxe, à travers les marques LVMH (Louis Vuitton, Dior…) et PPR (Gucci, Bottega Veneta, Balenciaga…) en France, Prada, Zegna et autres Tod’s en Italie. Les autres grands du secteur sont américains (avec notamment le joaillier Tiffany’s et Ralph Lauren) et suisses (le groupe Richemont, et les montres).
800.000 emplois en Europe
Le chiffre d’affaires global du secteur dépassera cette année les 200 milliards d’euros. En France, le chiffre d’affaires du secteur est évalué à 31 milliards pour 2012, dont 84% à l’exportation. Selon le Comité Colbert, il emploie, directement et indirectement, 131.000 personnes en France et 800.000 personnes en Europe [PDF]. Il continue d’embaucher des salariés au savoir-faire sophistiqué, dans la maroquinerie par exemple, mais aussi des stylistes, vendeurs (plus recherchés s’ils parlent le chinois), etc.
On aurait pu croire que la crise entraînerait une remise en question des modes de consommation. De fait, en 2009, le coup de frein a été brutal. Mais dès 2010, la reprise s’est fait sentir avec force. Ce marché fonctionne sur le rêve. Aussi bien celui du milliardaire chinois que celui de la classe moyenne européenne. Dans les deux cas, le consommateur est prêt à faire des folies pour posséder la marque qui fera de lui une personne à part… Les classes moyennes chinoises, mais aussi indiennes et brésiliennes, veulent goûter à leur tour aux charmes de la production de luxe et au rêve qu’elle induit. D’autres pays émergents comme l’Afrique du sud, certains pays d’Asie centrale et l’Indonésie apparaissent aussi sur la carte des marchés du luxe.
Les accessoires et Internet
Le marché est entraîné par les accessoires, porte d’entrée des nouveaux consommateurs du luxe, aussi bien dans les pays émergents que chez les consommateurs «moyens» des pays riches. C’est avec des lunettes de soleil, un parfum ou une paire de chaussure que commence la consommation de produits de luxe. C’est aussi, de plus en plus souvent, en achetant sur Internet que l’on accède aux produits de luxe. Ainsi, PPR (Pinault) vient de passer un accord avec le site italien Yoox, pionnier de la distribution de vêtements et accessoires de luxe sur Internet.
A l’autre bout de la chaîne, les clients les plus aisés rêvent de produits sur mesure, personnalisés… Il ne s’agit pas seulement de vêtements ou de sacs à main, mais aussi de yachts, parfois garnis de moquettes en cachemire, de meubles design, de bijoux… Quant aux consommateurs, on dénote, selon Altagamma et Bain&Co, deux tendances: les femmes se mettent à consommer des biens considérés jusqu’ici comme «masculins», tels des voitures de luxe ou de grands vins, et les hommes se «féminisent» au sens où ils apprécient de plus en plus beaux vêtements et produits de beauté… Il n’empêche, c’est pour eux que BMW vient d’inaugurer sa deuxième usine en Chine.
Investisseurs chinois
Rien d’étonnant dans ces conditions que les marques du luxe suscitent des convoitises et des guerres entre groupes. LVMH, le plus gros acteur du secteur, multiplie ainsi les acquisitions à prix d’or, comme, récemment, celle du joaillier italien Bulgari. Il a aussi conquis une participation de 20% dans Hermès [PDF], bien que le groupe, familial, soit verrouillé.
Un certain nombre d’acteurs chinois ou moyen-orientaux rachètent aussi les marques à la recherche de fonds pour se développer, comme Sonia Rykiel, reprise par le groupe chinois Fung Brands, déjà acquéreur de Cerruti et de Robert Clergerie. Prada pour sa part a enfin concrétisé son entrée en Bourse, à Hong Kong. Quant aux marques indépendantes, comme Armani, elles font l’objet de convoitises à peine voilées, que le fondateur, Giorgio Armani, se fait un plaisir de démentir régulièrement.
L’effervescence règne donc, y compris dans la recherche des meilleurs emplacements pour ouvrir des magasins de prestige, aussi bien en Chine et en Inde qu’à Paris, Londres ou New York. Car les touristes asiatiques sont prêts à toutes les dépenses lorsqu’ils viennent en Europe ou aux Etats-Unis. D’autant que les produits y sont bien moins taxés que chez eux…
Marie-Laure Cittanova
Article également paru sur Emploiparlonsnet
(1) Cette étude est réservée aux abonnés de l’observatoire. Une édition précédente a été résumée et traduite en français. Retourner à l'article