L'intitulé du ministère du «Redressement productif» ressemble à un beau ruban autour du vide. Derrière une douzaine de médiatiques mobilisations du ministre Arnaud Montebourg à l'assaut improvisé des plans sociaux en rafale, on voit poindre une erreur totale de diagnostic. On craint la poursuite d'une politique qui conduira à l'inverse, à l'affaissement progressif, celui en cours depuis une décennie qui a fait perdre à la France 500.000 emplois industriels.
Le programme du candidat François Hollande prévoit 28 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires sur les entreprises. C'est à l'opposé de ce qu'il faut faire, alléger leurs charges d'une grosse trentaine de milliards, en ciblant sur l'industrie.
Pourquoi? Le PDG (de gauche) d'un grand groupe industriel résume platement la réponse:
«Ce n'est plus rentable de faire de l'industrie en France.»
Tout part de là. Le CAC 40 aveugle l'opinion et la classe politique par ses profits à foison, engrangés la plupart du temps à l'étranger. La réalité des entreprises françaises est que leur taux de marge n'a cessé de baisser depuis dix ans. Leur taux d'autofinancement est en conséquence très inférieur à 100%, leur dette augmente, les embauches sont rares et l'investissement est repoussé (1). Le problème est structurel.
La crise vient rajouter une difficulté qui risque de faire diversion. Les banques, mobilisées pour consolider leurs fonds propres, vont devenir moins prêteuses. Le gouvernement socialiste croit avoir inventé la parade: une banque publique pour l'industrie. L'Etat viendra se substituer au marché financier défaillant.
Mais outre que l'Etat ne va pas financer toutes les entreprises du territoire et d'outre-mer –avec quel argent?– c'est une erreur de croire que le problème est le financement. Il est, en amont, plus grave dans l'insuffisante rentabilité. Une entreprise non rentable ou pas assez rentable financée par l'Etat, cela s'appelle un canard boiteux. Si le gouvernement trouve politiquement payant, en vue des élections législatives, de se porter au secours de ces animaux de basse-cour, économiquement cet étatisme dessine une très vaine stratégie.
Quelle est la bonne stratégie? Il ne manque pas de rapports sur le sujet d'accord sur le constat. Le manque de recherche-développement, l'effet de gamme, la faiblesse des entreprises de taille moyenne et, la gauche devra le reconnaître, les coûts trop élevés.
Ne pas répéter 1981
La TVA sociale qui bascule une partie des charges sociales du travail sur la consommation risque de créer un choc négatif sur la demande des ménages. Mais y a-t-il une autre idée? Avant d'annuler la TVA sociale de Nicolas Sarkozy, le gouvernement devra la trouver.
Une autre idée de l'ancien président était également fructueuse: les accords de compétitivité, copiés sur le modèle de l'Allemagne, où les syndicats acceptent de se serrer la ceinture dans la disette et de se rattraper en haut de cycle. Les ouvriers allemands de VW ont touché, chacun, 7.500 euros de bonus en 2011. Montebourg aime le canard boiteux En France, plusieurs grands groupes seraient prêts pour un tel nouveau pacte social. Il faut leur en laisser la liberté.
L'interventionnisme brouillon et l'étatisme ne font pas une politique industrielle. L'histoire risque de se répéter, celle du changement de 1981 suivi par le renoncement à partir de 1983 à toute ambition sectorielle parce qu'il fallait, déjà, séduire les créditeurs étrangers.
La lourde question laissée en suspens depuis trente ans est celle de créer un capitalisme français original, qui tienne compte de l'histoire et des atouts du pays et fonce dans l'innovation. Malheureusement, pour l'instant, le ridicule «redressement productif» cache mal une absence totale de doctrine.
Jean-Louis Beffa, l'ancien PDG de Saint-Gobain, peut servir de guide (2). Un capitalisme français original reposerait sur un trépied. Un, construire un actionnariat qui ne soit pas court-termiste. A l'Etat le rôle de stratège et de catalyseur, s'il en est encore capable, plutôt que celui de financier (3). Deux, pousser les feux de l'innovation. Quand on voit la liste des recherches interdites en France, des OGM aux nanotechnologies ou aux gaz de schiste, on se dit que le pays est parti dans le mauvais sens. Trois, reconstruire les relations sociales sur une base positive. On ajoutera à cette liste: revisiter la priorité accordée depuis vingt ans à la seule concurrence à Bruxelles et à Paris et gratifier la prise de risque.
Au total, quelle révolution!
Eric Le Boucher
Article également paru dans Les Echos
(1) La France sans ses usines, Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Fayard. Retourner à l’article
(2) La France doit choisir, Jean-Louis Beffa, Seuil. Retourner à l’article
(3) Non aux 30 Douloureuses, Augustin de Romanet, Plon. Retourner à l’article