Culture

La politique selon Paul Valéry

Temps de lecture : 3 min

«Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne dure que par les moyens» disait le poète.

Affiches de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon le 3 avril 2012. REUTERS/Charles Platiau
Affiches de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon le 3 avril 2012. REUTERS/Charles Platiau

Paul Valéry avait raison.

Paul Valéry était un poète parfois sublime, parfois inutilement abscons, et un observateur souvent exceptionnel. Un de ces moralistes à la française, dont l’objet d’étude n’était pas tant les hommes (comme La Bruyère ou La Rochefoucauld) que les sociétés.

Certes, il lui est arrivé de proférer quelques banalités (une notamment, que l’on ressort toujours: «Nous autres civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles». On le savait avant lui…), mais il a aussi émis des réflexions sur le pouvoir aussi subtiles que profondes. Entre autres, celle-ci: «Le monde ne vaut que par les extrêmes et ne dure que par les moyens. Il ne vaut que par les ultras et ne dure que par les modérés». Les trois campagnes électorales (primaires du PS, présidentielle et législatives) dans lesquelles nous baignons depuis près d’un an illustrent parfaitement cette maxime. Car qui a mis le doigt sur les maux réels dont souffre la société française, si ce n’est les ultras des deux camps ?

Que dit en effet la gauche radicale? Que le capitalisme est un chien fou, dont les ravages risquent de mettre en péril l’équilibre de la société, détruire l’Etat protecteur lentement et difficilement édifié, et creuser des inégalités qui deviendront vite insupportables.

Que dit l’écologie radicale? Qu’au-delà du système économique, le productivisme à outrance dans lequel nous sommes entrés depuis des décennies met en péril l’équilibre naturel et risque de provoquer des dommages irréparables à la planète.

Que dit la droite radicale? Qu’une société ne peut pas être une auberge espagnole, et que les différentes communautés qui la composent ne s’entendront que si elles ont un socle commun de croyances, de mœurs, et d’ambitions.

Le roi est nu

Les ultras le disent de façon souvent outrancière, caricaturale, voire haineuse: c’est dans leur nature de ne pas prendre de gants et d’être manichéens. Mais ils ont la même candeur que les enfants: ils osent dire que le roi est nu.

Car les trois questions qu’ils soulèvent sont on ne peut plus fondées. Le fonctionnement du système économique, la course aveugle à la croissance, la cohésion nationale, sont des problématiques légitimes. Derrière elles se profilent bien sûr les débats classiques sur le rôle des marchés financiers, l’équilibre budgétaire, la couverture sociale, la mondialisation, l’Europe, l’euro, le nucléaire, l’identité, la laïcité, la tolérance… Mais surtout, elles invitent à une réflexion plus vaste: le productivisme et son corollaire – la recherche frénétique du profit - peuvent-ils être l’alpha et l’omega de toute société? L’entité «nation» a-t-elle encore un sens dans un monde ouvert à tous les échanges, toutes les cultures, toutes les ethnies? Quel degré d’ouverture des économies et des sociétés est souhaitable et supportable? Face aux forces du marché, le politique est-il devenu impuissant ? Si les campagnes servent à quelque chose, c’est bien pour soulever ce type d’interrogations.

Mais autant les ultras sont pertinents dans les questions, autant ils sont simplistes dans les réponses: il faudrait mettre à bas le capitalisme, démanteler toutes les centrales nucléaires, s’enfermer derrière ses frontières…A la question: «Dieu existe-t-il?», ils répondraient «oui» ou «non», de façon tranchée et définitive. Ah, si c’était aussi simple…

La vérité dans le temps

Le propre des questions radicales, c’est d’avoir des réponses nuancées. Dieu existe-t-il? Pas sûr, pas impossible, mais la foi n’exclue pas le doute. Et puis, à moins de tout casser, on ne change pas le monde en six mois. On le change très progressivement, petit bout par petit bout, sans trop bousculer les habitudes, les mœurs, les systèmes, de la façon la plus indolore possible. Entre le moment où les pionnier de l’écologie ont pour la première fois tiré la sonnette d’alarme (à la fin des années 60) et le moment où cette contrainte a commencé à être prise en compte dans les programmes politiques et économiques, il s’est écoulé 40 ans…

Valéry, philosophe déguisé en poète, oppose la valeur (les ultras) à la durée (les modérés). C’est-à-dire la vérité au temps. Or, ce qui dure, dans la vraie vie, ce n’est pas la vérité pure, mais son aménagement dans le temps. Et surtout, le temps altère la vérité: ce qui est vrai aujourd’hui le sera moins demain, et plus du tout après-demain. Mais l’absolu résiste. Le combat entre les ultras et les modérés, c’est la vieille lutte entre l’éternité et la durée.

La politique, finalement, c’est de la métaphysique.

Hervé Bentégeat

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