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Merkel-Hollande, les chemins du compromis

Temps de lecture : 5 min

Le couple franco-allemand arrivera peut-être à s'entendre. Sur quelles bases?

Le 15 mai 2012 à Berlin. Jacky Naegelen / Reuters
Le 15 mai 2012 à Berlin. Jacky Naegelen / Reuters

François Hollande l’avait dit: toutes les propositions pour relancer la croissance doivent être mises sur la table. Angela Merkel l’a pris au mot. La chancelière allemande a fait préparer par ses collaborateurs un programme en six points. Elle a compris qu’il ne lui suffisait pas de répéter que la lutte contre les déficits publics était la condition nécessaire et suffisante de la croissance en Europe.

Face à la double pression de quelques partenaires européens menés par la France et chez elle de l’opposition sociale-démocrate et des Verts dont elle a besoin du soutien pour faire ratifier le pacte budgétaire, elle a repris l’initiative.

Au Conseil européen informel de Bruxelles, le mercredi 23 mai, elle s’est retrouvée presque seule face à l’Italien Mario Monti, au Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, à l’Espagnol Mariano Rajoy, qui soutiennent plus ou moins ouvertement François Hollande quand il propose des eurobonds.

Ces obligations européennes permettraient d’emprunter à des taux moyens inférieurs aux taux que doivent payer aujourd’hui les pays en difficultés, comme l’Italie, le Portugal, la Grèce – ce qui accroit encore leurs déficits, mais supérieurs aux taux payés par les Allemands. C’est une forme de mutualisation de la dette.

Angela Merkel la refuse parce qu’elle serait interdite par les traités européens et parce qu’elle reviendrait, selon elle, à faire supporter aux vertueux Allemands le coût du laxisme des autres.

En attendant le Conseil européen formel de fin juin qui devrait être appelé à prendre des décisions, si toutefois l’aggravation brutale de la crise n’oblige pas les chefs d’Etat et de gouvernements européens à réagir plus vite, chacun reste sur ses positions.

Parlons d'autre chose

Le meilleur moyen d’éviter un conflit frontal, notamment entre la France et l’Allemagne, est de parler d’autre chose. Angela Merkel propose donc un catalogue de mesures pour montrer sa bonne volonté sans toutefois abandonner ses positions traditionnelles. Puisque l’Allemagne se porte mieux que les autres, pourquoi les autres ne la prendraient-ils pas comme modèle? «Des finances publiques solides et une croissance durable sont les deux faces d’une même médaille», affirme d’emblée le papier préparé par le ministère de l’Economie, selon le magazine Der Spiegel.

Suivent des recommandations: les Etats du sud sont invités à réformer leurs marchés du travail dans le sens d’une plus grande flexibilité, comme l’a fait l’Allemagne; à renoncer aux conventions collectives nationales pour une gestion plus décentralisée; à repousser l’âge de la retraite; à s’inspirer du système allemand de formation en alternance pour lutter contre le chômage des jeunes, etc.

Dans les pays où la crise est la plus profonde, comme la Grèce et le Portugal, Berlin propose la création de «zones économiques spéciales» pour attirer les investisseurs grâce à des exonérations d’impôts et de charges et une réglementation sociale plus souple. C’est dans les zones économiques spéciales que le « miracle chinois » lancé par les réformes de Deng Tsiaoping au début des années 1980 a commencé!

Les experts allemands eux-mêmes doutent de l’efficacité de ces propositions. Certains y voient une manœuvre de diversion de la part de la chancelière qui veut éviter une discussion autour de dépenses nouvelles. Angela Merkel est prête à accepter une augmentation du capital de la Banque européenne d’investissements (BEI) et une mobilisation des fonds structurels inutilisés, voire la création de «projectbonds», ces obligations européennes gâchées sur des projets concrets d’investissement, encore qu’elle manifeste un certain scepticisme sur la nature de ces projets.

Hollande a marqué des points

Mais elle ne veut pas aller plus loin, jusqu’à la réforme de la Banque centrale européenne pour que celle-ci puisse prêter directement aux Etats ou à la mutualisation de toute ou partie des dettes publiques.

François Hollande peut-il s’en satisfaire, en particulier pour accepter le pacte fiscal qu’il voulait renégocier avant ratification? C’est peu probable. Le nouveau président de la République a marqué des points dans l’UE, au détriment du gouvernement de Berlin, en imposant l’ordre du jour des réunions européennes de ce printemps. Il y a été beaucoup aidé par le rebond de la crise, par quelques-uns de ses collègues, y compris par Barack Obama, et par l’opposition allemande.

Il n’est pas sûr que cette conjonction favorable se maintienne longtemps. Le Parti social-démocrate allemand (SPD) continue d’exiger des concessions de la part de la chancelière. Il veut un programme de croissance pour apporter ses voix à la ratification du pacte budgétaire et du Mécanisme européen de solidarité. Elles sont indispensables pour atteindre l’indispensable majorité des deux tiers.

Mais son soutien à la création d’eurobonds parait chancelant. Les dirigeants du SPD savent que cette proposition est impopulaire –plus de 70% des Allemands sont contre– parce qu’elle reviendrait à faire payer aux contribuables allemands les pêchés des Grecs. Les considérations de politique intérieure allemande l’emporteront sur une éventuelle solidarité avec les «camarades» socialistes français.

Des compromis ne sont pas exclus. Les eurobonds pourraient ne concerner qu’une partie des dettes, celle correspondant aux 60% du PIB autorisés par le traité de Maastricht qui a institué la monnaie unique. Les dettes supérieures à 60% devraient toujours être financées au taux exigé par le marché. Ainsi les pays «contrevenants» continueraient-ils à être pénalisés.

Autre possibilité qui peut se combiner avec la première: les fonds seraient levés sur les marchés financiers par une Agence européenne de la dette. Grâce à la caution de l’UE, le taux d’intérêt moyen se situerait dans une fourchette entre les taux payés par les Allemands et les taux payés par les Grecs.

Afin de ne pas pénaliser les pays vertueux, l’Agence leur prêterait aux taux actuels tandis qu’elle prêterait aux pays « laxistes » à des taux supérieurs à la moyenne – afin de les inciter à la discipline -- mais inférieurs aux taux qu’ils doivent acquitter actuellement – afin de ne pas les étrangler.

Ce «lissage» des taux d’intérêt payés par les pays européens suppose une surveillance des budgets nationaux déjà prévue par le pacte fiscale. Toutefois celle-ci ne peut être acceptée que si elle n‘est pas exercée par une autorité technocratique. La mutualisation, même limitée, de la dette suppose une fédéralisation des politiques budgétaires et fiscales.

François Hollande n’a pas évoqué publiquement cette nécessité, peut-être pour ne pas effrayer ce qu’il reste de partisans du «non» à la Constitution européenne dans ses propres rangs. Il ne pourra pas faire longtemps l’impasse sur le sujet s’il veut aller de l’avant.

Angela Merkel peut-elle l’entendre? Tout au long de la crise qui dure depuis 2008, la chancelière a montré qu’elle savait tenir compte de la réalité mais qu’elle avait besoin de temps pour se convaincre et pour convaincre son opinion publique.

Depuis quatre ans, elle a franchi beaucoup de lignes rouges qu’elle s’était fixées à elle-même. Elle l’a fait à son rythme, sans considération pour le coût de son cheminement.

Daniel Vernet

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