Qu’un élu applique le programme qu’il a défendu pendant sa campagne électorale, on ne peut lui reprocher. Ainsi sur la retraite, François Hollande a dit ce qu’il ferait et il fait ce qu’il a dit… en l’occurrence, un retour à 60 ans de l’âge de la retraite pour les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans ou moins et cotisé pendant 41 ans. Une disposition financée par une augmentation de 0,1% de la cotisation vieillesse versée par les employeurs comme par les salariés.
De nombreuses questions restent toutefois posées, notamment à cause de la distinction faite entre trimestres cotisés et trimestres validés pour partir en retraite à 60 ans. Dans le deuxième cas, certains trimestres validés (congés maternités ou parentaux, périodes de chômage et de maladie, service militaire…) ne sont pas cotisés.
Reste au gouvernement à préciser la nature des trimestres validés qui seront pris en compte avec les cotisés… et ceux qui ne le seront pas. Ainsi, bien des points demeurent à préciser sur le contenu du décret qui devrait être publié d’ici à la mi-juin selon le Premier ministre Jean-Marc Ayrault.
Distance par rapport au projet socialiste
Par rapport au projet initial du Parti socialiste, la position de François Hollande s’est sérieusement infléchie à partir de décembre dernier. Le projet socialiste stipule: «nous rétablirons l’âge légal de départ à 60 ans (qui permettra à ceux qui ont commencé à travailler tôt ou exercé des métiers pénibles de pouvoir partir au même âge) et l’âge de départ sans décote à 65 ans».
Or, le candidat en campagne s’est voulu beaucoup plus restrictif en se cantonnant aux carrières longues, même si ses adversaires continuent de ne retenir que les termes du projet initial. Certes, il a ensuite assoupli sa position en laissant entendre que la borne inférieure pourrait être relevée à 19 ans. Mais il n’a plus été question, dans les derniers discours, de restaurer la retraite à 60 ans pour tous.
En réalité, le candidat devenu président renvoie les dispositions à prendre aux négociations sur le sujet programmées à la fin de l’année avec les partenaires sociaux. C’est dans cet esprit que le Conseil d’orientation des retraites (COR) a commencé à travailler, avant même l’élection présidentielle, à un nouveau rapport qui actualisera les hypothèses économiques établies pour la réforme de 2010. Avec des projections plutôt plus pessimistes que celles qui avaient servi à l’époque.
Une réponse d’abord politique, puis systémique
La pression, malgré tout, est forte notamment du côté de FO et de la CGT pour un retour généralisé à la retraite à 60 ans. Aussi, les dispositions qui seront prises en juin seront de nature surtout politique. Lorsque la réforme des retraites de 2010 fut votée par le Parlement, l’opposition avait donné rendez-vous à Nicolas Sarkozy en 2012, dans les urnes. L’élection est passée, le nouveau Président doit répondre aux engagements pris.
Mais la réouverture du dossier des retraites comprendra obligatoirement plusieurs étapes. Car il reste maintenant à construire une vraie réflexion, en profondeur, sur le système des retraites pour installer une pérennité nouvelle.
Un autre rendez-vous a d’ailleurs déjà été pris, pour 2013. Il avait été fixé par le Sénat, alors à majorité de droite, dans un amendement à la réforme de 2010. Notamment parce que l’équilibre du financement des retraites dans le cadre de la réforme de 2010 ne sera plus assuré à partir de 2018. Et que le Fonds de réserve des retraites (FRR), créé en 2001 et qui n’aurait pas dû être utilisé avant 2020 pour faire face à la charge du «papy boom», ne pourra plus servir d’amortisseur puisque cette réforme l’aura mis d’ici là à contribution.
Autrement dit, la révision de la réforme était de facto inscrite dans la réforme elle-même. Le problème est qu’un système de retraite n’est pas fait pour être sans cesse réformé. On ne peut en modifier les règles tous les trois ou cinq ans. C’est un domaine dans lequel une visibilité sur le très long terme s’impose, tant pour les gestionnaires du système afin qu’ils anticipent les besoins que pour les individus qui doivent s’y préparer longtemps à l’avance.
C’est également un secteur dans lequel toute transition d’un système à un autre ne peut être que très progressive pour ne pas léser les citoyens et ménager les caisses de retraite.
Le travail change, la retraite aussi
L’objectif consisterait à mener un travail de refonte du système actuel, dans le respect du principe de répartition, mais selon d’autres formules – par annuités, comptes notionnels ou à points, comme le pratiquent d’autres pays. En privilégiant plus clairement la durée de cotisation, comme l’avait déjà fait la réforme Fillon de 2003 signée par la CFDT. A l’époque figurait déjà le concept de carrières longues, comme d’ailleurs dans la réforme de 2010, ce que François Hollande ne fait que reprendre de façon un peu plus extensive pour les personnes entrées jeunes dans la vie active.
La réalité qui ne s’était pas imposée en 2010, revient donc sur le devant de la scène: oui à une réforme, mais qui ne se limite pas à jouer sans nuance sur le curseur de l’âge de départ. La durée de cotisation continuera à s’adapter à l’allongement de l’espérance de vie, c'est-à-dire à augmenter. Le processus est déjà engagé.
Mais une réforme selon quels critères, avec quelles unités de compte et sur quelles bases de cotisation pour les entreprises et les personnes? Il n’est plus possible de raisonner comme au milieu du siècle dernier alors que le marché de l’emploi, le contenu du travail et la construction des carrières n’ont plus rien à voir aujourd’hui. C’est tout l’enjeu.
Le rapport du COR à venir qui actualisera les données s’inscrit dans cette perspective. La création en avril dernier du Haut conseil du financement de la protection sociale, avec pour mission d’organiser la réflexion sur les moyens d’assurer la pérennité du système, répond au même impératif.
Gilles Bridier