Économie

L’écotaxe, six ans de gestation pour une usine à gaz

Temps de lecture : 4 min

Décidée lors du Grenelle de l’environnement, cette taxe redevable par les poids lourds a fait l’objet d’un décret publié le jour du second tour. Elle devrait attendre mi-2013 pour être opérationnelle.

Des camions à Cambrai, le 9 décembre 2010. REUTERS/Pascal Rossignol.
Des camions à Cambrai, le 9 décembre 2010. REUTERS/Pascal Rossignol.

Sur le fil du rasoir: c’est dans le Journal officiel daté du 6 mai dernier, le jour du deuxième tour de l’élection présidentielle, qu’a été publié le dernier décret relatif à l’écotaxe, véritable arlésienne du transport. Elle doit s’appliquer aux poids lourds circulant sur les grands axes du réseau routier –hors réseau autoroutier où les camions sont déjà assujettis à un péage.

Plus précisément, cette taxe s’appliquera sur 10.000 km de routes nationales et 5.000 km de routes départementales, et concernera les quelque 600.000 véhicules de plus de 3,5 tonnes immatriculés en France et 200.000 autres camions étrangers qui circulent dans l’Hexagone sur ces routes.

Voilà pour la théorie d’une décision prise au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy et officialisée à la dernière minute. En réalité, le décret renvoie au nouveau gouvernement —et notamment Jérôme Cahuzac, ministre délégué au Budget, et Frédéric Cuvillier, ministre délégué aux Transports sous l’autorité de Delphine Batho à l’Ecologie— le soin de fixer le montant de cette taxe.

Repérage par satellite

Toutefois, les fourchettes sont déjà connues. Selon les hypothèses retenues lors du montage du projet, le coût moyen de cette taxe pour les transporteurs varierait entre 8 et 14 centimes du kilomètre selon le poids des camions, la valeur moyenne se situant à 12 centimes du kilomètre.

De sorte que cette écotaxe générerait environ 1,2 milliard d’euros de recettes par an, dont 760 millions iraient dans les caisses de l’Etat et 160 millions aux collectivités territoriales, le reste devant couvrir les coûts de gestion du système.

Toutefois, ce système n’est pas encore en place. Il utilise en effet la géolocalisation —les véhicules seront repérés par satellite et les facturations seront établies en fonction des parcours qui auront été ainsi identifiés. Celle-ci est déjà bien répandue dans le transport routier pour suivre les camions, mais les véhicules devront être équipés d’un boitier électronique spécifique et on peut s’attendre à une période de rodage compliquée.

Bataille juridique et complexité technique

Le caractère complexe du dispositif ne se limite pas à la technologie: il y eut, au départ, un imbroglio juridique. En janvier 2011, la société italienne Autostrade remporte l'appel d'offres pour collecter l'écotaxe, à la tête d’un consortium comprenant également SFR, la SNCF, Thalès et Steria. En mars 2011, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise annule le résultat de l’appel d’offres, jugeant la composition du consortium contraire au principe de transparence à cause de la présence de la SNCF, concurrente des transporteurs routiers. Finalement, l’obstacle est levé en juin par le Conseil d’Etat et l’Etat signe en octobre 2011 avec Autostrade le contrat de partenariat public-privé (PPP) pour le déploiement du système.

Cet épisode est une illustration des problèmes rencontrés par l’écotaxe, alors que sa mise en œuvre faisait partie des conclusions du Grenelle de l’Environnement, à l’automne 2007. Les transporteurs routiers y ont vu une attaque directe contre la suprématie de la route face au chemin de fer, et ils n’avaient pas tort. En effet, cette nouvelle taxe vise à renchérir le coût des acheminements par camion pour favoriser le transfert du fret sur les trains de marchandises et les péniches, l’objectif consistant à augmenter de 25% la part de marché du fret non routier entre 2007 et… 2012.

Evidemment, cette taxe n’ayant pas encore vu le jour, l’objectif n’a pu être atteint dans les délais. La route continue d’assurer environ 85% des transports de marchandises.

Succession de retards

Les pressions n’ont pas manqué pour retarder la mise en œuvre de l’écotaxe, les transporteurs routiers jugeant impossible de la prendre à leur charge sous peine de mettre, pour nombre d’entre eux, la clé sous la porte. Ce sont donc des ministres libéraux, et notamment Dominique Bussereau, longtemps en charge des Transports dans le gouvernement Fillon, qui ont décidé que la charge en incomberait aux industriels et professionnels de la distribution qui ont recours aux services des transporteurs.

Il n’en fallait pas plus pour que cette écotaxe soit montrée du doigt comme une mesure anti-économique et inflationniste, dont le poids serait au final répercuté sur les consommateurs. Autant de débats qui expliquent qu'elle ait longtemps fait du surplace.

En outre, les régions les plus excentrées de l’Hexagone sont également intervenues pour souligner que leurs entreprises, plus dépendantes des transports, allaient être plus pénalisées que leurs concurrentes. Du coup, la Bretagne, l’Aquitaine et Midi-Pyrénées verront le poids de l’écotaxe allégée de 25%. Et c’est une véritable usine à gaz qui doit maintenant devenir opérationnelle.

Six ans de mise au point

Initialement prévue pour début 2011, l’écotaxe devrait entrer en vigueur mi-2013… près de six ans après la prise de décision. Auparavant, une expérimentation devrait être menée en Alsace à partir du premier trimestre 2013. Rien n’assure, en outre, que le périmètre de cette taxe ne sera pas encore modifié, puisque la possibilité a été ouverte d’en adapter localement le mécanisme après une période d’observation d’un an.

La complexité du système ne s’arrête pas là. S’agissant d’une taxe, le produit de l’écotaxe ne peut en théorie être affecté, comme l’a relevé Claude Abraham, ingénieur général des Ponts et Chaussées. Or, problème: ce produit, pour la part revenant à l’Etat, est normalement destiné à l’Agence de financement des infrastructures de transports (AFITF) qui compte bien sur ces recettes pour mener sa mission. Il a donc fallu introduire un article dans le code des Douanes, précisant que l’Etat rétrocédera les sommes correspondantes à l’agence en question, les collectivités territoriales conservant celles provenant de l’utilisation des réseaux routiers dont elles ont la charge.

A ce stade, les obstacles semblent levés pour que le système fonctionne et que le chemin de fer retrouve un peu de compétitivité face à la route. Toutefois, il ne faudrait pas que, pour échapper à cette écotaxe, les camions empruntent des itinéraires secondaires, par des petites routes hors de son champ d’application. C’est alors la sécurité routière qui serait menacée. Le risque est mesuré, car les routiers risqueraient de payer en surcoûts de carburant ce qu’ils économiseraient en taxe. Mais il existe. C’est une nouvelle économie du transport qui va se mettre en place dans un an. Forcément péniblement.

Gilles Bridier

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