Il existe, la chose est bien connue des continentaux, une psychologie des insulaires. L'affaire se vérifie tout particulièrement pour ce qui est des épidémies animales ou humaines. Tant que l'île est indemne tout doit être mis en œuvre pour qu'elle le demeure. Ainsi l'attitude de la perfide Albion vis à vis des chiens et du virus de la rage. Tout est différent, bien évidemment, quand une épidémie émerge sur une île. Dans ce cas rien n'est généralement fait pour en prévenir l'extension à d'autres pays. Ainsi la perfide Albion ne s'est guère souciée, à compter de la fin des années 1980, de tout mettre en œuvre pour que la maladie de la vache folle n'atteigne l'Europe.
Le virus A(H1N1) nous fournit à sa façon une nouvelle et éclairante illustration de ce phénomène. Souvenons-nous. Nous étions fin avril et l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) annonçait que la menace pandémique grandissait. Corollaire: on assistait à la multiplication à travers le monde des mesures de prévention, renforcements des contrôles aux frontières et dans les aéroports, restrictions des voyages à destination ou de retour du Mexique et de certains Etats américains.
On observe aussi quelques premiers symptômes qui ne peuvent manquer d'inquiéter quant à la suite des évènements, écrivions-nous alors. Le ministère japonais des Affaires étrangères a ainsi annoncé mardi 28 avril qu'il allait durcir les conditions d'octroi des visas aux Mexicains. «Cela s'inscrit dans nos efforts pour empêcher le virus d'entrer dans notre pays» avait déclaré un responsable du ministère japonais à l'Agence France Presse.
Empêcher le virus d'entrer dans son pays ? Bigre ! En pratique le gouvernement japonais expliquait qu'il allait demander à son ambassade au Mexique de suspendre le système d'exemption de visa et de renforcer les procédures de contrôle dans ce pays. Jusqu'alors les Mexicains se rendant au Japon obtenait automatiquement à leur arrivée, sur simple présentation de leur passeport, un visa de tourisme de six mois. Ils allait devoir désormais réclamer un visa dans une mission diplomatique japonaise.
Ce n'est pas tout, écrivions-nous encore. Hirofumi Nakasone, ministre japonais des Affaires étrangères avait appelé les ressortissants japonais au Mexique «à envisager un départ anticipé si possible, car il pourrait y avoir un problème pour quitter le pays à l'avenir». Quant à Yoichi Masuzoe, ministre japonais de la Santé, il demandait à ses compatriotes de «renoncer à leurs voyages au Mexique et dans les autres pays touchés par le virus». C'est à dire, par exemple, les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l'Espagne. Nous avons alors hésité à conclure : Que se passera-t-il quand le virus aura atteint le Japon? Et nous avons eu grand tort !
Trois semaines ont passé ? Et si le sujet n'était potentiellement aussi grave, on pourrait qualifier la situation de cocasse, parler d' arroseur arrosé» de «tel est pris qui croyait prendre». Nous sommes le mercredi 20 mai. Extraits d'une dépêche de l'Agence France Presse : «Le nombre de cas de grippe porcine au Japon atteignait 228 mercredi, selon les autorités, alors que l'épidémie s'est étendue à une troisième préfecture de l'ouest de l'archipel. Plus d'une vingtaine des nouveaux cas déclarés sont des habitants de la métropole de Kobe (préfecture de Hyogo), la plus touchée par l'infection au Japon.» Plus de 4.400 écoles ont été fermées dans la région.
Les responsables sanitaires de Kobe évoque désormais une « quasi-épidémie ». Point essentiel, qui a encore été fort peu abordé et pourrait demain prendre un importance considérable : ces mêmes responsables ont annoncé que l'évolution de la situation les conduisait à renoncer au dépistage ldu virus A(H1N1) chez toutes les personnes présentant des symptômes de grippe. «La municipalité a décidé d'autoriser les médecins de famille à soigner les patients atteints de forte fièvre, ce qui signifie qu'elle ne pourra plus procéder à des tests génétiques sur tous les cas suspects de grippe porcine» ont-ils fait savoir. En d'autres termes ils sont débordés. La ville ne peut plus, comme elle le faisait jusqu'alors, pratiquer des tests virologiques dans des espaces sanitaires spécialement aménagés, là où elle faisait venir toutes les personnes suspectes d'être infectées. Comment, dès lors, la progression de l'épidémie va-t-elle être comptabilisée ?
Les observateurs notent que l'épidémie s'est rapidement propagée en quelques jours après un tournoi de volley-ball opposant les équipes de deux lycées d'Osaka et de Kobe. Faut-il interdire le volley-ball et les manifestations sportives ? Il est bien évidemment trop tard. Les experts japonais sont convaincus que le A(H1N1) s'est sans doute déjà propagé à d'autres régions de l'archipel, y compris à la mégapole du grand Tokyo. Rien moins que l'agglomération la plus peuplée du monde avec 36 millions d'habitants.
Pour sa part l'agence de presse Kyodo a rapporté que 86% des malades identifiés jusqu'à présent au Japon étaient âgés de 10 à 19 ans. Un symptôme laissant penser que le A(H1N1) est plus virulent chez les jeunes de ce pays que chez ceux des Etats-Unis. Le Japon était ces dernières années (par crainte, dit-on, des conséquences des arrêts de travail pour maladie) l'un des plus gros consommateurs au monde de Tamiflu contre la grippe saisonnière. Il est aujourd'hui en quatrième rang des pays les plus concernés par le A(H1N1) par le virus, après les Etats-Unis, le Mexique et le Canada. Et tout ceci en trois semaines.
Plus grave : en se transformant rapidement en un « foyer autonome » de l'épidémie le Japon pourrait (va ?) mécaniquement contraindre l'OMS à passer à la phase 6 - la dernière- de l'alerte pandémique. Ce serait alors, du fait du Japon, la reconnaissance officielle que le monde est bel et bien désormais confronté à la première grande pandémie grippale du XXIème siècle.
Jean-Yves Nau
Photo: Lycéens japonais portant des masques Reuters