J'ai une amie qui travaille à la radio, elle présente les journaux, et son combat, c'est de donner au moins une info sur deux où elle n'a pas à citer le nom de Nicolas Sarkozy. «Tu n'y échappes pas, m'explique-t-elle, même un conflit sur une île au fin fond du Pacifique, il fait une déclaration et prépare un plan de paix». Quand il y a une soirée foot, elle relâche la pression, récite les dépêches d'agences, annone les résultats, le sport l'ennuie, mais les soirées foot la repose de ce qu'elle vit comme une agression intime: l'omniprésence de ce président sur le fil de l'AFP.
Elle me racontait ça dans un restaurant des Buttes Chaumont (Paris, XIXe arrondissement, pour les non parisiens dont je me fais parfois la porte-parole, pas le coin le plus chic de la capitale) où des amis communs célébraient leur mariage. Il se trouve que les Buttes, c'est mon parc. Je le détestais quand mes enfants étaient petits, qu'ils nous y trainaient avec vélo poussettes, trottinettes et patins à roulette, comme des milliers d'autres familles auxquelles je ne voulais pas qu'on ressemble. Sous leurs airs de gens qui prenaient l'air, je voyais le divorce et les guerres de pensions alimentaires à venir. J'ai tellement grillé de cigarettes dans ce parc que sa seule évocation me donnait la nausée. Mais depuis que je cours, j'ai appris à l'aimer, en toutes saisons, aux heures très matinales, quand il n'y a pas d'enfants, ni de parents, juste des coureurs, des vieux insomniaques et des chiens. «Ah bon tu cours», a relevé ma consœur radiophonique avec un air.... «Et très tôt le matin? 8H, 9H? Ah bon 6H et quart». L'heure de la France qui se lève tôt. Pas celle des rebelles, hein.
J'ai bien compris, ce samedi midi, qu'elle me suspectait de sarkozysme. Passif, rampant. En courant, je collaborais. En courant, j'adhérais, non pas à l'UMP, mais à des valeurs, à une hygiène de vie, un culte narcissique de mon corps et de ma santé, un goût pour le dépassement de moi, le m'as-tu vu comme je suis en forme. Comme mon boulot consiste, entre autres, à lire toute la presse, française et internationale, je connais, je crois, toutes les photos de Sarkozy joggant (avec son fils Jean, avec Kouchner, avec Carla, avec ses gardes, avec Jean-Michel Goudard, avec Fillon, sa "personal trainer" Julie, Benoît XVI (cherchez l'intrus), etc.... J'ai essayé plusieurs fois de déchiffrer la marque de ses chaussures, tenté de savoir d'où venait le survêtement noir à une seule bande blanche de Carla, enquêté pour savoir combien de temps il tenait (pas plus de 45 minutes d'après Julie). Demandée qui lui préparait ses petites affaires de jogging.
Concernée sportivement oui, mais politiquement mouillée par ma pratique de la course à pied, franchement, jusqu'à ce samedi midi, je n'y avais pas pensé. Moi j'aime courir seule, bien que je ne refuse jamais une invitation à trottiner de concert. Ça ne se fait pas aux Buttes de refuser, ça fait «elle se croit au Jardin du Luxembourg?», ou la nana qui fantasme qu'on la drague. Lui court utile, toujours accompagné, comme le nouveau maire de Neuilly qui donne ses audiences, parait-il, dans le bois de Boulogne, à l'heure de la messe le dimanche, en short et en basket. Lui dans le parc de l'Elysée, moi, vous savez désormais où.
Je déteste mettre une mauvaise ambiance, et encore plus au mariage d'amis. J'ai donc gardé pour moi ce mantra qui scande désormais ma respiration quand je sarcoure, «oui, je cours et je t'emmerde, oui je cours et je vous emmerde». J'avoue même que, comme lui, dès que je suis en déplacement, je ménage une heure pour m'adonner à ce sale petit vice libéral, non solidaire, élitiste, perso mais écolo, quand même, il ne faut pas pousser. Je sais bien que pour ma crédibilité de gauche et de coolitude, il vaudrait mieux jouer au tarot en m'arsouillant toute la nuit (courant Voynet-Aubry), faire du vélo (de facteur) en clopant, ou m'entrainer au twirling bâton dans le 9-3, si on est coco, car les majorettes c'est populaire. A la limite, me vanter de fréquenter les greens, dans une geste mitterrandienne. Mais courir ? quel courage. «Et tu bois pas d'alcool non plus», a-t-elle continué avec son air que je peux qualifier de railleur et apitoyé. Allez, plus de gros mot. Santé!
Blandine Grosjean
Cet article a été initialement publié en février 2009.
Image de une: CC Flickr Dafydd359