Angela Merkel a perdu trois élections en une semaine. Deux en Allemagne et une en France. Chez elle, ce n’étaient que des élections régionales.
Le dimanche 13 mai, en Rhénanie du Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé du pays, son parti démocrate chrétien (CDU) obtient son plus mauvais résultat de toute l’histoire de la République fédérale face à une coalition entre les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts.
Huit jours plus tôt, dans le petit Land du Schleswig-Holstein, le gouvernement régional qui ressemblait à la coalition au pouvoir à Berlin (CDU et libéraux) a perdu au profit d’une alliance entre le SPD, les Verts et la petite minorité danoise.
Mais le 6 mai, c’est à Paris que la chancelière a subi son plus important revers. Elle a perdu un partenaire pour sa politique européenne en la personne de Nicolas Sarkozy qu’elle aura soutenu jusqu’au bout.
La victoire de François Hollande en France comme les succès des sociaux-démocrates et des Verts en Allemagne réduisent les marges de manœuvre d’Angela Merkel et rendent plus difficile l’adoption tel quel du pacte fiscal européen qu’elle avait convaincu ses partenaires de signer, avec l’aide de l’ancien président français.
Une chancelière connue pour son réalisme
François Hollande a été clair: la France ne ratifiera l’accord signé en mars que s’il est complété par une politique de croissance. Au Parlement allemand, l’opposition a repris à son compte cette revendication. Or la chancelière a besoin de ses voix pour faire passer les modifications de la Constitution qu’implique le pacte fiscal.
Angela Merkel est connue pour son réalisme. Pour ne pas avoir l’air de céder aux demandes du nouveau président français, elle a pris les devants, avant même de le recevoir pour la première fois, mardi, à Berlin. Elle est passée à l’offensive en développant trois arguments.
Premièrement, elle-même et les responsables européens n’ont pas attendu qu’un socialiste entre à l’Elysée pour se préoccuper de la croissance. Celle-ci a été au centre de tous les récents conseils européens.
Deuxièmement, la relance de la croissance passe par des réformes de structures dans les Etats membres de l’Union, comme celles que les Allemands ont réalisées depuis une dizaine d’années. En tous cas, la croissance ne saurait être financée par une augmentation des dettes.
D’ailleurs, et c’est le troisième point, il y a de l’argent disponible au niveau européen sans qu’il soit besoin de dégager de nouveaux moyens: Banque européenne d’investissement, fonds structurels, etc.
Devant le Bundestag, le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a développé un programme en six points dont l’intérêt réside plus dans ce qu’il tait que dans ce qu’il dit.
Les non-dits du programme allemand
Le chef de la diplomatie allemande n’a pas mentionné les eurobonds ou europrojets (emprunts européens ciblés) dont Berlin ne veut pas entendre parler, ni la taxe sur les transactions financières à laquelle Angela Merkel se dit «personnellement» favorable mais que refusent ses alliés libéraux.
Ainsi François Hollande est-il attendu à la chancellerie «les bras ouverts mais de pied ferme», selon l’expression d’un porte-parole. Sa marge de négociation est plus grande qu’il ne pouvait l’espérer au début de sa campagne. Il a non seulement le soutien des gouvernements belge et danois, dirigés par des sociaux-démocrates, mais les encouragements discrets de gouvernements conservateurs qui ne sont pas en mesure de tenir leurs engagements dans le volume de réduction des dépenses et surtout dans leur rythme. C’est le cas des Espagnols et des Italiens.
L’imbroglio grec a encore accru la pression sur l’Allemagne. Certes les dirigeants chrétiens-démocrates et libéraux laissent maintenant entendre qu’une sortie de la Grèce de la zone euro ne serait pas une catastrophe pour cette dernière, mais ils ne sont pas sûrs des conséquences.
Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, a laissé entendre qu’il était preneur de «nouvelles idées» pour insuffler de la croissance dans l’économie grecque tout en affirmant que la signature d’Athènes au bas des accords qui ont permis une réduction de la dette devait être honorée.
Les dirigeants allemands continuent de se battre sur des principes alors que de plus en plus de voix se font entendre en Europe pour critiquer des choix politiques. Les conséquences de ceux-ci sont claires: la réduction drastique des dépenses publiques, loin de conduire à une diminution de la dette, accroît cette dernière à cause de la récession que cette réduction provoque dans des économies fragilisées.
Au-delà du pacte de croissance que François Hollande veut ajouter au pacte fiscal, c’est cette analyse dont il doit convaincre Angela Merkel.
La chancelière n’est sans doute pas prête à l’accepter sans contrepartie. Mais elle a trop le sens politique pour ne pas mesurer les deux risques auxquels elle est exposée: un isolement de l’Allemagne en Europe et une érosion de son pouvoir dans son pays même. Elle n’est certainement pas prête à courir ces deux risques en même temps.
Daniel Vernet