Pressés (trop?) d’en découdre, les lieutenants du sarkozisme en perdraient-ils le sens de l’intérêt général? Tout à leur hâte de prendre François Hollande en défaut, les voilà qui l’accusent de ne pas tenir ses promesses de campagne avant même d’être installé à l’Elysée. En cause, le prix des carburants.
Dans un communiqué, réagissant à des propos de Michel Sapin, proche de François Hollande et possible ministre de l’Economie, affirmant que «ce n'est pas le moment de bloquer» les prix de l'essence, Valérie Rosso-Debord, déléguée générale adjointe de l'UMP, accuse le vainqueur de l’élection présidentielle de «renoncement». Christian Estrosi, ex-ministre en charge de l’Industrie et conseiller politique de l’UMP, dénonce un «mensonge» face à «une promesse non tenue». Et ce ne sont pas les seuls.
Une polémique déroutante
Alors que les prix des carburants atteignaient des records pendant la campagne électorale, le candidat du PS avait en effet promis que les prix des carburants seraient gelés pendant trois mois. Puis, une «TIPP flottante» serait introduite pour amortir à la pompe la hausse du prix du baril. Avec un objectif: enrayer le coût des déplacements pour les personnes qui sont obligées d’utiliser un moyen de transport individuel, à deux ou quatre roues.
Mais bonne nouvelle, depuis la promesse électorale, le prix du pétrole est reparti un peu à la baisse: de 125 dollars le baril en moyenne pour le Brent en mars dernier (contre 110 dollars en janvier 2012 et 97 dollars en janvier 2011), il est tombé à 114 dollars depuis le début du mois de mai. Pour les automobilistes, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Les prix à la pompe des carburants suivent la même tendance: le gazole est revenu à 1,43 euro en moyenne nationale contre 1,45 euro en mars, et le SP95 à 1,61 euro contre 1,65 euro en avril. Le recul est faible, mais réel; reste à savoir s’il se poursuivra longtemps.
Faut-il comprendre que, pour ces proches du Président sortant, l’intérêt des automobilistes ne serait pas le critère déterminant pour déterminer la politique à mener en matière de prix des carburants? Bien sûr, il y a d’autres facteurs à prendre en considération, et notamment les économies d’énergie. Mais ce début de polémique est plutôt déroutant.
Tant que ce mouvement de baisse se poursuivra, le gel des prix des carburants n’a aucune raison de s’appliquer. Il vise à éviter le renchérissement de l’énergie pour les automobilistes, pas à les priver des effets des mécanismes de marché lorsqu’ils leur sont favorables.
Un mécanisme de sauvegarde, pas l’inverse
François Hollande avait été, de ce point de vue, très clair en expliquant son projet. Lorsque les prix hors taxes des carburants augmentent, les recettes de TVA suivent le mouvement. C’est alors un effet d’aubaine pour l’Etat, qui profite de la mauvaise fortune des automobilistes.
L’idée avancée de «TIPP» flottante consiste à restituer le surplus de TVA ainsi encaissé en diminuant d’autant le montant de la taxe sur les produits pétroliers. Une façon d’amortir la hausse du prix du baril en stabilisant les recettes fiscales sur les carburants.
Et pour que la formule se mette en place, une période de trois mois de gel des prix à la pompe avait été prévue. Objectif: limiter la hausse des dépenses d’énergie pour les automobilistes.
Mais si le gel devait s’appliquer lorsque les prix baissent, l’effet obtenu serait contraire à l’objectif recherché. Encore heureux pour les automobilistes que, dans ces conditions, ce gel ne soit pas appliqué. Il est prévu pour fonctionner dans un sens, pas dans l’autre. Et il n’a jamais été entendu, dans la promesse, que le mécanisme de sauvegarde fonctionnerait dans l’hypothèse d’un recul du prix du baril.
Mauvais procès et effet boomerang
Que le mécanisme en question, déjà mis en œuvre par le gouvernement Jospin lorsque Laurent Fabius était à Bercy, soit compliqué à appliquer, c’est un fait. Que son efficacité soit faible, on peut aussi en discuter.
Mais dire qu’il pèse sur les comptes publics alors qu’un surplus de recettes de la TVA est compensé par une diminution de la TIPP, c’est une contre-vérité. Surtout, qu’on parle de «renoncement» alors que l’application même de ce gel irait à l’encontre de l’engagement poursuivi, c’est un très mauvais procès. Et, qui plus est, place ceux qui l’instruisent en porte-à-faux vis-à-vis de l’intérêt du public qui consiste, bien sûr, à payer leur carburant moins cher.
Dans ces conditions, céder à la précipitation et parler de «mensonge» dans le seul but d’engager une polémique alors que le sens de l’intérêt général est assez évident, pourrait même se révéler politiquement contre-productif alors que s’ouvre une nouvelle campagne électorale…
Gilles Bridier