Difficile d’imaginer un titre d’article plus racoleur que «Les robots, les hommes et le tourisme sexuel»—surtout dans le monde universitaire.
Écrit par des chercheurs de l’University of Wellington de Nouvelle Zélande, et récemment publié dans le journal Futures, cet article prédit que dans les décennies à venir, les humains iront dans des bordels à robots, se libérant ainsi du sentiment de culpabilité associé à la fréquentation d’une prostituée de chair et de sang. Il fallait sans doute s’y attendre: il a déclenché un débat animé sur les possibilités d'automatisation de l'industrie du sexe—et des réactions pour le moins timorées devant l’idée de relations entre humains et robots.
Il devrait être évident pour tout le monde aujourd’hui qu’au moins certains d’entre nous auront un jour des relations sexuelles avec des robots. Il y aura toujours quelqu’un pour s’envoyer à peu près tous les biens de consommation qui entrent dans la maison (et si ce n’est pas déjà la règle de base du design des objets domestiques, il faudrait songer à s’y mettre).
Les relations entre robots et humains seront-elles cantonnées à la chambre à coucher, ou l’amour intègrera-t-il aussi l’équation? Notre société emprunte-t-elle le chemin d’une telle transition? Au vu des tendances actuelles, je dirai que la réponse est oui, sans le moindre doute.
Cerveau open-source
L’idée de relations sexuelles avec des robots provoque une réaction de dégoût immédiate chez la majorité des gens. L’esprit imagine aussitôt des mixtures d’alchimiste mélangeant caoutchouc, silicone et, je ne sais pas moi, follicules pileux. Difficile de ne pas penser à ces poupées gonflables à la mâchoire flasque et aux yeux glacés, dont les bras pâles sont couverts d’une peau gélatineuse dérivée du pétrole.
Mais ce ne sont pas elles, les femmes-robots amoureuses et séductrices du futur. Une peau réaliste, un regard qui suit le vôtre, une fausse respiration (pour éviter cette sensation de «cadavre ambulant»), des talents oratoires convaincants, une certaine dextérité dans la manipulation d’objets et la capacité de ne pas se prendre les portes en verre dans la figure—on peut raisonnablement penser que tout cela sera possible d’ici les prochaines décennies.
Voyez par exemple le robot «personnel» PR2 de Willow Garage; avec son cerveau open-source situé dans Google cloud, cette machine est d’ores et déjà capable de naviguer dans un environnement domestique pour aller chercher des bières, remplir le lave-vaisselle et bien plier le linge.
Dans son livre de 2007 Love and Sex With Robots, le Dr David Levy prétend que nous, les humains—les hommes et les femmes, vous n’êtes donc pas hors-jeu mesdames—tomberons amoureux des nouvelles espèces de robots humanoïdes supposées arriver dans le prochain demi-siècle.
Notre vie est une liste de données
Beaucoup de nos interactions sociales sont aujourd’hui réduites au transfert d’informations dans leur plus simple expression par le biais de divers médias en ligne: textos, mails, partage de vidéos et de photos, mise à jour de statut, et, heu, pokes.
Nous créons tous les jours des profils qui réduisent nos vies à une liste de données—un peu comme la fiche descriptive de votre jeu de rôle qui réduit votre elfe-archer complexe et à multiples facettes à son intelligence, sa dextérité et son charisme. Pour des gens qui ont grandi dans un monde d’interactions sociales basées sur les textos, la nature haut-débit d’une simple conversation téléphonique peut provoquer l’angoisse.
Le milieu complexe et ambigu des contacts humains est en voie d’être remplacé par des équations simples et modulables. Nous avons des milliers d’amis de plus qu’aucun être humain avant nous, mais au détriment de la complexité et de la profondeur des relations. Chaque minute passée en ligne est une minute de face-à-face perdue.
Pour le meilleur ou pour le pire, de nouveaux modes d’interaction érodent constamment les formes plus «traditionnelles» auxquelles étaient habituées les précédentes générations. Les nouvelles relations épurées entre êtres humains pourront ouvrir les portes aux machines prêtes à nous rejoindre en tant que pairs dans la société, et pas juste comme des objets sexuels.
Le robot, garant des protocoles de demain
L’autre effet secondaire de ces nouveaux modes d’interaction est tout simplement la possibilité d’y mettre un terme. Vous n’aimez pas ce que Truc vous a écrit? Ne répondez pas. Vous en avez marre de Machin? Ne le suivez plus. Cliquez sur «ignorer.» Effacez, interdisez, devenez invisible. La gratification instantanée a infiltré nos relations interpersonnelles, et dans nos interactions en ligne, chacun a le pouvoir ultime d’imposer silence à l’autre.
Il est plus difficile de s’en sortir de cette façon en face à face avec de vrais humains. Cependant, un robot pourrait facilement introduire ces mœurs dans le monde réel en permettant aux utilisateurs humains de les ignorer, de les exclure ou même de les effacer.
Ce sont peut-être des robots qui enseigneront aux générations futures les règles des interactions sociales. Le mignon robot Keepon jaune de la Carnegie Mellon University a montré qu’il était capable de faciliter les interactions sociales avec les enfants autistes. Morphy, à l’University of Washington, enseigne gaiement des gestes aux enfants par mimétisme.
De nouvelles espèces de robots sociaux dotés d’une patience infinie et sans la moindre velléité de jugement sont en plein développement pour devenir d’ultimes professeurs ès-vie sociale sans présenter quasiment aucun risque. Si vous avez été élevé (au moins en partie) par une machine, tomber amoureux d’une autre ne semblera pas si saugrenu.
Au final, ce seront peut-être les vrais romantiques, pas les nerds, qui choisiront de fuir un monde de relations impersonnelles et numérisées, pour se réfugier dans les bras de simulacres au manières venues d’une époque où tout était plus simple.
Daniel H. Wilson
Traduit par Bérengère Viennot