France / Politique

Une autre présidentielle est possible avec les systèmes de vote alternatifs

Temps de lecture : 7 min

Bayrou vainqueur, Mélenchon devant Le Pen ou Joly adoubée par un tiers de l'électorat: voilà les conclusions de plusieurs expériences menées par des chercheurs avant le premier tour, en avril.

Le dépouillement d'un bureau de vote à Remire-Montjoly (Guyane), le 5 mai 2012. REUTERS/Ronan Lietar.
Le dépouillement d'un bureau de vote à Remire-Montjoly (Guyane), le 5 mai 2012. REUTERS/Ronan Lietar.

«Au premier tour, on choisit. Au second, on élimine.» En apparence, l'élection présidentielle, c'est simple comme bonjour: un vote pour sélectionner deux candidats sur une dizaine, un second quinze jours plus tard pour donner à l'un d'eux une majorité absolue.

Simple, vraiment? En 2002, de nombreux électeurs de gauche ont regretté après coup de ne pas avoir opté pour Lionel Jospin au premier tour, ce qui les a placés face à un choix droite/extrême droite au second. Et en 2007, ceux qui voulaient se donner le maximum de chances d'éliminer Nicolas Sarkozy au second tour ont longuement hésité au premier entre Ségolène Royal et François Bayrou.

Des dilemmes que se donnent pour objectif de «résoudre» des modes de scrutin alternatifs. Comme cela avait déjà été le cas lors des deux dernières présidentielles, plusieurs d'entre eux viennent d'être testés, sur le terrain et sur internet, dans une démarche «à la fois scientifique et de vulgarisation», explique l’un de leurs promoteurs, Jean-François Laslier, chercheur à Polytechnique.

Au total, cinq systèmes de vote ont été expérimentés, avec pour point commun que les électeurs ou sondés se voyaient demander leur vote de premier tour, afin de «redresser» les résultats pour tenir compte des biais parfois forts des échantillons, et leur vote de second tour dans différentes configurations.

Avec une conclusion invariable: François Bayrou l'emportait dans quasiment tous les duels de second tour (les résultats sont variables dans celui avec François Hollande), ce qui fait pointer à l'organisateur d'une des expérimentations, l'Association des citoyens pour le vote de valeur, «un important défaut du système actuel: dans [la] logique d'évaluation binaire, le premier tour a éliminé un candidat capable de l'emporter face à tous les autres au second tour». Petit examen de ces différents systèmes.

1. Le vote uninominal à un tour

Il a été testé par... l'expérience Vote au pluriel, menée en ligne par Jean-François Laslier, André Blais, de l’université de Montréal, et Karine Van der Straeten, de l’Ecole d'économie de Toulouse, avec plus de 8.000 participants.

Le principe. Le candidat arrivé en tête au premier tour est élu même s'il n'a pas atteint la majorité absolue.

Qui l'utilise. Ce système, qui élimine la «danse du ventre» de l'entre-deux-tours et est très critiqué, est par exemple utilisé pour la présidentielle mexicaine, pour la présidentielle américaine (dans le cadre complexe du système des grands électeurs: le candidat en tête dans un Etat les gagne tous) ou pour l'élection des parlementaires britanniques.

Les résultats. Le vote donne des résultats assez proches de ceux du premier tour, mais les candidats en tête en sortent légèrement renforcés: Hollande obtient 31% et Sarkozy 28%, environ deux points de plus que leur score du 22 avril. Mais on peut supposer que, si ce système existait en France, chaque camp serait incité à présenter un seul candidat, réduisant leur nombre total.

2. Le vote alternatif

Il a été testé par... l'expérience Vote au pluriel.

Le principe. Chaque électeur classe les candidats dans l'ordre de ses préférences. Celui qui a recueilli le moins de premières places est éliminé et ses voix sont réparties entre les candidats que ses électeurs avaient classé deuxièmes. On élimine alors le candidat qui a recueilli le moins de voix... et ainsi de suite jusqu'à qu'un candidat obtienne plus de 50% de premières places.

Qui l'utilise. Ce système est notamment pratiqué pour l’élection présidentielle irlandaise ou les législatives australiennes, et entraîne des dépouillements assez longs: en octobre dernier, il a par exemple fallu un jour et demi aux Irlandais pour proclamer la victoire du candidat du Labour Michael D. Higgins.

Les résultats. Ils ressemblent à ceux des sondages de second tour pré-premier tour, puisqu'on termine par un 55-45 pour Hollande face à Sarkozy. Mais le troisième homme change: alors que Jean-Luc Mélenchon est crédité dans un premier temps de 12% de premières places et Marine Le Pen de 15%, il grignote au fil des transferts grâce aux éliminations de Bayrou et Eva Joly, et finit par distancer la présidente du FN.

Infographie: Vote au pluriel

3. Le vote par approbation

Il a été testé par... l'expérience Vote au pluriel et par un groupe de chercheurs, coordonné par Antoinette Baujard et Herrade Igersheim, qui ont mené une expérience sur des bureaux de vote à Saint-Etienne, Strasbourg et Louvigny (Calvados), dont les résultats ne seront publiés qu'après les législatives.

Le principe. Chaque électeur «approuve» un ou plusieurs candidats —comme s'il déposait plusieurs bulletins dans l'urne— sans les classer. Celui qui obtient le plus de voix l'emporte.

Qui l'utilise. Essentiellement des sociétés scientifiques américaines ainsi que, d'une certaine façon, les communes de moins de 3.500 habitants en France pour les municipales, avec le système du «panachage», qui permet de rayer des noms des listes ou d'en ajouter.

Les résultats. Chaque votant a approuvé en moyenne 2,5 candidats sur dix (ce qui est «conforme à ce qui a été observé lors d’expériences similaires» précédentes, selon Vote au pluriel). Hollande se classe premier avec 46% mais la suite du classement est chamboulée: Bayrou est deuxième (41%) devant Sarkozy et Mélenchon à égalité (36%), et Joly (33%) s'intercale entre le président sortant et Le Pen (23%).

La candidate d'extrême droite progresse donc relativement peu par rapport au vote classique. On constatait le même phénomène en 2002, où une expérience avec ce système redonnait la deuxième place à Jospin devant Le Pen. Idem en 2007, où le système profitait à Bayrou, Olivier Besancenot et Dominique Voynet au détriment, notamment, de Le Pen.

4. Le vote par note ou vote de valeur

Il a été testé par... l'Association des citoyens pour le vote de valeur, auprès de 11.500 internautes, et par l'expérience coordonnée par Antoinette Baujard et Herrade Igersheim.

Le principe. L'électeur attribue une note à chaque candidat: -2 (franc rejet), -1, 0, 1 et 2 (franc soutien) pour l'Association des citoyens pour le vote de valeur, 0 à 20 pour l'expérience de Strasbourg, Louvigny et Saint-Etienne. Celui qui obtient la meilleure moyenne remporte l’élection.

Les résultats. Bayrou l’emporte (0,25 de moyenne), devant Hollande (0,05), Mélenchon (-0,31) et Sarkozy (-0,35). Le Pen n'est que huitième (-1,01).

Infographie: Association des citoyens pour le vote de valeur

5. Le jugement majoritaire

Il a été testé par... les mathématiciens Michel Balinski et Rida Laraki, sur trois bureaux de vote d'Ivry-sur-Seine et Fresnes et via un sondage réalisé par l'institut OpinionWay pour le think-tank Terra Nova. Les conclusions de leurs travaux seront publiés dans la revue Commentaire. Nous avions également expérimenté ce système à l'occasion de la primaire socialiste puis de la présidentielle.

Le principe. Le même que celui du vote de valeur avec sept jugements (de «excellent» à «à rejeter») à la place des notes. Et à une importante nuance près: on ne fait pas une moyenne des jugements, mais une médiane. Le jugement retenu pour chaque candidat est donc celui qui divise en deux l’électorat.

Les résultats. «Bayrou est très bas au premier tour mais, quand on mène notre expérience, il domine vraiment les autres avec Hollande», résume Rida Laraki. Les deux candidats obtiennent une mention «assez bien». Sarkozy (3e) sort devant Mélenchon (4e), tous deux avec la mention «passable». Le Pen, classée «à rejeter», ne devance que Jacques Cheminade.

Remettre en perspective les vrais résultats

L'intérêt de ces différentes expériences est de remettre en perspective les résultats du scrutin majoritaire à la française qui, comme l'ont écrit Michel Balinski et Rida Laraki dans Rue89, conduit à additionner des votes d'adhésion, des votes utiles et des votes protestataires, puis à «affirmer que 1 km + 1 m + 1 cm = 3».

Largement éliminé au premier tour, Bayrou apparaît ainsi comme un des deux candidats de consensus avec Hollande, alors que Le Pen, dont la percée avait fait l'évènement, est rétrogradée. Réduite à un score famélique de 2,31%, Eva Joly ressort elle plus haut avec le vote par approbation: comme l'écrivent les chercheurs des expériences de Strasbourg, Saint-Etienne et Louvigny, «plutôt que d’affirmer que la cause écologique n’est plus soutenue parce que la candidate des Verts réunit moins de x% des suffrages, ou que de simplement supposer que ce soutien est perturbé par le phénomène de "vote utile", les résultats expérimentaux pourront mesurer la véritable adhésion des électeurs à cette cause».

Mais ces systèmes, en plus de demander une bonne dose de pédagogie, ne sont évidemment pas neutres, et en choisir un plutôt qu'un autre influe sur les résultats. Le vote alternatif, par exemple, est plus ou moins favorable aux centristes selon le mode d'élimination retenu: «Le centre est plus rapidement éliminé quand on élimine le candidat qui est donné le moins souvent en tête. Les extrêmes sont ensuite éliminés et on arrive à un duel entre la droite modérée et la gauche modérée: on reproduit pas mal le phénomène de laminage du centre. Si on élimine celui qui est arrivé le plus souvent dernier, on a le phénomène inverse», explique Jean-François Laslier.

En 2007, trois chercheurs de l'université de Lille et de Paris-I qui avaient mené une expérience à Faches-Thumesnil (Nord) avec les deux systèmes d'élimination avaient d'ailleurs constaté que, avec les mêmes votes, l'un donnait la victoire à Sarkozy face à Royal, l'autre à Bayrou face à Sarkozy...

«Un choix de société explicite»

De même, un candidat qui recueille une courte majorité d'excellents jugements et une forte minorité de jugements exécrables se classera bien au jugement majoritaire, mais pas forcément au vote par note. Et pour ce dernier, le barème n'est pas compris de la même façon par tous les électeurs (un peu comme un professeur peut systématiquement noter entre 5 et 15 et un autre utiliser toute la palette entre 0 et 20) et influera sur les résultats: un barème asymétrique (comme -2, -1, 0, 1, 4) ne donne pas les mêmes résultats qu'un barème symétrique. Dans l'expérience de l'Association des citoyens pour le vote de valeur, si on valorise plus les francs soutiens, on fait remonter Hollande vis-à-vis de Bayrou, qui en compte deux fois moins.

«C'est avant tout un choix de société explicite qui doit être assumé entre vote de consensus et vote d'adhésion. Aujourd'hui le système ne comptabilise que les votes d'adhésion (et il les comptabilise très mal!)», résume Sylvain Spinelli, membre fondateur de l'association. Bref, analyse Jean-François Laslier, on touche, avec ces systèmes alternatifs, «à la conception de l'acte de vote et au rapport entre les gens et le pouvoir».

Jean-Marie Pottier

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