Une ministre de l'Intérieur qui promet d'être «sans pitié» à l'égard des délinquants. Des responsables de police qui dénoncent l'usage «d'armes de guerre» lors d'un guet-apens tendu à leurs collègues dans la nuit du 16 au 17 mai et qui appellent à «déminer les banlieues»... A en juger par le discours des autorités, un nouveau front militaire semble s'être ouvert depuis ce week-end à la Courneuve (Seine-Saint-Denis).
Vers 2h du matin, dimanche, un fourgon de police transportant des gardés à vue est «bloqué» par deux véhicules. Selon le ministère de l'Intérieur, les fonctionnaires de police étaient «attendus» par les assaillants; pour les syndicats de police, il s'agissait clairement d'un «guet-apens» (Unsa, premier syndicat chez les policiers en tenus), d'un «véritable piège» (Alliance, syndicat de droite). Le fourgon de police a essuyé une rafale d'arme automatique, le chef de bord a riposté avec son arme de service, faisant fuir les agresseurs. Lors de la fusillade, l'un des détenus, interpellé dans le cadre d'une enquête pour trafic de drogue, a réussi à prendre la fuite avant d'être rattrapé quelques heures plus tard.
Le fourgon de police porte les traces d'impacts d'au moins trois balles; sur l'asphalte, les enquêteurs retrouvent des douilles de calibre 7.62. Un indice qui ne trompe pas: l'arme utilisée ne peut être qu'un fusil mitrailleur de type Kalachnikov. Le ton monte immédiatement d'un cran : «C'est la première fois, et je travaille depuis longtemps en banlieue parisienne, que je vois utiliser des armes de ce calibre dans le cadre des violences urbaines», déclare Jean-François Herdhuin, le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP).
Jean-François Herdhuin n'a pas tort; l'utilisation de la Kalachnikov relève plutôt du grand banditisme que de la petite délinquance. Notamment chez les braqueurs des convoyeurs de fonds qui, dans des attaques aussi violentes que spectaculaires, n'hésitent pas à utiliser également des lance-roquette de type RPG (de fabrication russe ou chinoise). Un élément qui n'a, d'ailleurs, pas manqué d'instiller le doute sur la réalité du «guet-apens». Et si plutôt que dans un piège les policiers étaient plutôt tombés sur une «équipe» préparant un casse?
C'est au début des années 90, dans le sillage des guerres yougoslaves que la Kalachnikov a inondé le marché français. Vendu à 30 dollars pièce dans certains pays africains, il s'agit du fusil d'assaut le plus répandu dans le monde, élevé au rang de symbole d'un commerce des armes «devenu fou» par Amnesty International. Baptisé aussi «l'arme du pauvre», la «kalach» n'est pas moins redoutable: fonctionnelle et facile à entretenir, c'est une arme qui a une très longue durée de vie. Si l'on en juge par le calibre, l'arme utilisée à la Courneuve devrait être l'AK-47, la toute première et la plus copiée, notamment par les Chinois (les fusils d'assauts russes plus récents utilisent le calibre 5.45).
Pour le grand bonheur des quatre fonctionnaires de police visés à La Courneuve, les utilisateurs de la «kalach» étaient soit des bras cassés soit manquaient terriblement de conviction. Cette arme légendaire n'a jamais été louée par sa précision, mais ceci n'explique pas le peu de dégâts causés par un fusil mitrailleur connu en revanche pour sa terrible puissance de feu à courte distance. De surcroît, le policier a réussi à les mettre en déroute en faisant feu avec son «zig», le pistolet automatique Sig Sauer qui équipe depuis 2002 les forces de police et de gendarmerie remplaçant le vénérable revoler Manhurin.
Mais attention, le «zig», ce n'est pas de la gnognotte! Léger, puissant et précis, il fait l'unanimité de ses utilisateurs. Doté d'un chargeur de 15 cartouches (les policiers ont au moins deux supplémentaires sur leur ceinture), il permet, en cas de coup dur, «d'avoir le temps de voir venir», comme disent les flics. Immédiatement adopté par les fonctionnaires de police, ce pistolet a néanmoins suscité un léger sentiment de malaise justement du fait de ses qualités. Jean-Philippe Cambier, du syndicat Alliance, a exprimé une toute autre inquiétude à cette époque: «Il ne faudrait pas que ce pistolet se retrouve entre de mauvaises mains, avait-il dit. C'est tout de même une arme terrible, une arme de guerre. Ça tire du 9 mm. Parabellum [balle à ogive blindée]». L'excellent blog du commissaire honoraire Georges Moreas s'en est fait l'écho en 2007, analysant avec minutie la puissance de feu et les munitions utilisées.
Parmi ses lecteurs, dont bon nombre de policiers, un certain Raphaels soulignait l'effet d'emballement auprès des délinquants que pouvait avoir une telle arme entre les mains de la force publique. «L'argument de la dissuasion est fallacieux: une arme de guerre ne dissuade pas, elle incite à s'équiper également d'armes de guerre, écrit-il. La réponse aux Sig pourrait rapidement être l'AK47. Et ensuite, on continue comment? En équipant la police de fusils d'assaut?». C'était en 2007. Dimanche, le directeur départemental de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis annonçait l'envoi de renforts à la Courneuve afin de constituer des «patrouilles renforcées très dissuasives». Elles seront équipées de fusils à pompe et de pistolets mitrailleurs, a-t-il précisé.
Alexandre Lévy
Image de une: Kalachnikov saisie par l'armée allemande à des pirates somali dans le golfe d'Aden. REUTERS/Bundeswehr