France

Harcèlement sexuel: que faire après l'abrogation?

Temps de lecture : 6 min

Le délit de harcèlement sexuel n'existe plus, les plaintes et les procès en cours non plus. Pour le réinstaurer, il faut une loi. Et donc un Parlement.

Un open space, mrdorkesq via Flickr CC License by
Un open space, mrdorkesq via Flickr CC License by

Le Conseil constitutionnel a abrogé ce vendredi 4 mai l’article 222-33 du code pénal qui définissait le délit de harcèlement sexuel, estimant qu’il était trop flou. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’il y a très peu de procès pour harcèlement sexuel: 54 condamnations seulement en 2009, et les plaintes sont très souvent classées sans suite, faute de preuves.

Le Conseil précise que l’abrogation est effective dès publication de la décision, et qu’elle est applicable «à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date». La publication de la décision au journal officiel ne devrait prendre que quelques jours, elle pourrait avoir lieu dès ce dimanche, explique Anthony Taillefait, professeur de droit public.

A partir de ce moment, l’infraction de harcèlement sexuel, défini jusqu’alors comme «le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle» n’existe plus.

Qu’est-ce que cela change?

Rien pour les affaires déjà jugées: la décision du Conseil constitutionnel n'est pas rétroactive, elle n'affecte pas les condamnations définitives.

Si vous vous rendez au commissariat pour porter plainte pour harcèlement sexuel, les policiers devraient dès la publication au JO vous répondre que ce n’est pas possible, mais entendre votre témoignage et voir à quelle infraction cela peut correspondre.

En théorie, bien sûr: quand le Conseil constitutionnel rend une telle décision, elle est communiquée aux différents ministères, qui font eux-même redescendre l’information aux directions de la police nationale et de là aux commissariats. Mais entre le pont du 8 mai et la présidentielle, il est possible qu’on ait une petite période de flou, note Sophie Combes, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.

Si les policiers ne sont pas mis au courant suffisamment tôt, ils pourraient se retrouver à enregistrer une plainte pour harcèlement sexuel. Celle-ci serait alors classée sans suite par le parquet, explique Anne-Claude Hogrel, avocate en droit du travail (il faudrait alors porter plainte à nouveau).

Et pour les procédures en cours?

Pour les enquêtes en cours, elles n’iront jamais jusqu’au bout si elles sont fondées sur cette infraction qui n’existe plus. Il faudrait là aussi porter plainte à nouveau et reprendre depuis le début si on veut voir l’enquête aboutir.

Pour les procès encore en cours, qui en sont à une procédure d’appel par exemple, les condamnations sont annulées puisqu’il n’y a plus de support aux poursuites: «on ne peut pas dire que la personne visée a commis une infraction en ne respectant pas ce texte qui n’existe plus», explique Sophie Combes.

C’est ce qui va se passer pour Gérard Ducray, l’élu condamné en 2010 pour harcèlement sexuel, condamnation confirmée par la cour d’appel de Lyon en 2011. Il s'était pourvu en cassation et c'est lui qui a posé la Question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, qui a abouti à l’abrogation de la loi.

Cela ne veut pas dire que la justice ne peut rien faire pour un plaignant ou une plaignante.

Différentes possibilités pour quand même porter plainte

Dans le cas des anciens dossiers, il faut reporter plainte, poursuit Sophie Combes, parce que «le comportement dénoncé à l’origine sous la qualification de harcèlement sexuel est susceptible de correspondre à une autre qualification pénale» (le harcèlement moral, l’agression sexuelle...).

Autre possibilité: requalifier les infractions. Catherine Le Magueresse, ex-présidente de l’Association européenne contre les Violences faites aux femmes au travail —association qui s’est jointe à la QPC posée par Gérard Ducray parce qu’elle trouvait également l’article de loi trop vague et dénonçait notamment de nombreux cas où ce qui relevait pour elle du viol ou de l’agression sexuelle était qualifié de harcèlement—, espère que ces affaires seront requalifiées sous ce qu’elle estime être «la bonne qualification», c’est-à-dire le viol ou l’agression. «Mais cela ne sera possible qu’avec le concours de la police et des magistrats, ce qui est loin d’être gagné.» Autre qualification possible: le harcèlement moral.

Autre possibilité: requalifier les infractions. Catherine Le Magueresse, ex-présidente de l’Association européenne contre les Violences faites aux femmes au travail —association qui s’est jointe à la QPC posée par Gérard Ducray parce qu’elle trouvait également l’article de loi trop vague et dénonçait notamment de nombreux cas où ce qui relevait pour elle du viol ou de l’agression sexuelle était qualifié de harcèlement—, espère que ces affaires seront requalifiées sous ce qu’elle estime être «la bonne qualification», c’est-à-dire le viol ou l’agression. «Mais cela ne sera possible qu’avec le concours de la police et des magistrats, ce qui est loin d’être gagné.» Autre qualification possible: le harcèlement moral.

«Il faut rapidement obtenir une nouvelle et meilleure définition car pour le moment il n’y a plus de possibilité pour les victimes» de porter plainte au pénal pour harcèlement sexuel, explique Françoise Brillé, vice-présidente de la fédération nationale solidarité femmes.

Les différentes associations de lutte contre les violences faites aux femmes vont travailler ensemble sur une nouvelle proposition, ajoute-elle. En attendant, elles ont déjà publié un communiqué commun pour réclamer une nouvelle loi au plus vite. Si elles espéraient que l’article de loi soit abrogé, elles auraient voulu que cette abrogation soit différée, effective une fois qu’un autre texte ait été adopté.

Pour les personnes qui voudraient porter plainte pour harcèlement sexuel sur des faits commis entre maintenant et l'adoption d'une nouvelle loi, c'est compliqué: La loi pénale n’étant pas rétro-active, si vous êtes victimes de harcèlement sexuel pendant cette période de latence vous ne pourrez (a priori) jamais porter plainte. Le délit n’existe plus, jusqu'à ce qu'une nouvelle loi le qualifie. «Il n’y a plus de législation strictement applicable» explique Sophie Combes mais on peut tenter de le «qualifier différemment, l’inclure dans des faits plus vastes», comme le harcèlement moral.

Si le harcèlement sexuel n’existe plus pénalement, il a toujours une existence dans le droit du travail. Il est donc possible de saisir le Conseil de Prud'hommes, selon deux cas de figures, développe Odile Barral, secrétaire nationale du Syndicat de la Magistrature. Soit le salarié demande une résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur. C’est-à-dire que le salarié estime qu’il ne peut plus travailler dans les conditions dans lesquelles il vit. Soit, le cas le plus fréquent, le salarié est licencié pour inaptitude au travail par son employeur. Souvent du fait d’arrêts maladies à répétition. Le salarié peut, par la suite, saisir le Conseil de Prud’hommes afin de contester le licenciement pour inaptitude, en le jugeant sans cause.

Théoriquement le salarié peut demander, aux Prud’hommes, des dommages et intérêts à son employeur, sans avoir à quitter son emploi, même si cela semble invraisemblable à Odile Barral. Une dernière possibilité, saisir un tribunal civil de droit commun et demander des dommages et intérêts à son ex-employeur, pour les préjudices subis. Pour gagner, comme le souligne la secrétaire nationale du Syndicat de la Magistrature, il faut des preuves tangibles du préjudice.

Combien de temps avant que le harcèlement sexuel redevienne un délit pénal?

Pour créer une infraction pénale, il faut une loi, et pour une loi, un gouvernement et un Parlement. S’il existe une possibilité de procédure accélérée, il faudra sans doute attendre les résultats des élections législatives de juin (la session parlementaire régulière reprendra le 26 juin avec les nouveaux députés), puis un projet ou une proposition de loi, la navette entre l’Assemblée et le Sénat et enfin la promulgation (ça c’est pour la version courte).

Bref, plusieurs mois en perspective, selon l’urgence avec laquelle est traité le problème. François Hollande s’est engagé vendredi, «s'il est élu, à ce qu’une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel soit rédigée et inscrite le plus rapidement possible à l'agenda parlementaire».

Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités, va dans le même sens. Elle «invite la nouvelle Assemblée nationale qui sortira des urnes au mois de juin prochain à se saisir en urgence de ce dossier afin de garantir les droits des salariés et, plus particulièrement, ceux des femmes».

Cécile Dehesdin et Delphine Dyèvre

Modifié le 09/05/12, grâce au commentaire de Lagun, pour corriger la partie sur la latence actuelle et la non rétroactivité de la loi pénale, et ajouter des détails sur les procédures hors pénal.

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