De: Rachael Larimore
Jean-Marc,
Mes condoléances pour tes verres cassés et tes murs gribouillés, détails que l’on lit peu dans Bringing Up Bébé. Tout parent, de quelque nationalité qu’il soit, a déjà passé une soirée avec un enfant tyrannique du genre de Sébastien. J’aime bien ta remarque sur les parents français et Françoise Dolto, lorsque tu dis qu’ils parlent à leurs enfants comme à des adultes mais qu’ils oublient cependant de rester fermes. C’est quelque chose que je vois aussi beaucoup ici aux Etats-Unis –des parents qui pensent encourager l’indépendance de leurs enfants alors qu’en réalité ils les laissent tout juste se dévergonder un peu.
Je suis soulagée d’entendre que même les enfants français aiment la pizza et les frites. Cela me déculpabilise pour ce soir par semaine où nous servons aux nôtres des bâtonnets de poulet. Mais je dois porter au crédit des Français leur faculté à inculquer de bonnes habitudes alimentaires –et à celui de Pamela Druckerman de montrer que, même si ce n’est pas toujours facile, il est possible d’amener ses enfants à manger sainement tout en faisant diminuer peu à peu leurs protestations.
Le problème de l’obésité en Amérique est complexe et il n’y a pas de solution simple: une récente étude montre qu’il n’y a pas de différence de taux d’obésité entre les enfants des écoles où l’on sert de la junk food et celles où on ne trouve pas trace de la moindre frite. Cette étude risque d’ajouter à notre confusion, même si pour moi elle délivre surtout le message que c’est à la maison que s’acquièrent les bonnes habitudes alimentaires.
Si je dois retenir des idées de ce livre (mis à part un occasionnel «c’est moi qui décide» la prochaine fois que mon plus jeune fils me dira que je «dois» faire quelque chose), ce sera de mieux accommoder mes légumes. Non, je n’attends pas que mes enfants se mettent tout de suite à dîner d’une bouillabaisse ou d’une salade de betteraves, mais nous avons effectivement une bonne marge de progression.
J’ai été aussi surprise que toi par le poids que Pamela Druckerman accorde aux mères dans le tableau de l’éducation qu’elle dresse. On n’aperçoit les papas qu’à la marge, et elle mentionne que le week-end les jardins publics sont remplis de «papas, adorablement débraillés», derrière des poussettes. Mais la plupart de ses sources sont d’autres mères –des mères avec qui elle s’est liée ou qu’elle connaît comme amies d’amies. Et c’est en cela que réside un autre des problèmes que ce livre me pose.
Je sais bien que quand on écrit un livre sur un sujet aussi vaste que l’éducation, il faut forcément en restreindre le champ. Mais Pamela Druckerman ne s’en est pas simplement tenue à une comparaison des méthodes d’éducation françaises et américaines.
En gros, elle s’est bornée à étudier un groupe de parents aisés d’enfants de moins de 6 ans: des parents comme elle. Cela conduit ceux d’entre nous qui sont, comme je me plais à le décrire, débordés, à une lecture intéressante.
Pourtant, ce livre laisse sans réponse nombre de questions transversales. Et d’abord, si les différences entre les modèles éducatifs américains et français sont si grandes, leurs effets sont-ils durables? Comment sont les adolescents français comparés aux adolescents américains? Les Français ont un taux de mariage plus bas que les Américains, donc il serait difficile de comparer les taux de divorce, mais est-ce que notre modèle d’éducation prétendument étouffant conduit à un nombre plus élevé de familles brisées?
La focalisation de Pamela Druckerman sur la petite enfance me pose un autre problème. Je parie que la plupart des parents –même les Américains qui inscrivent leurs enfants à une douzaine d’activités et répondent aux sondages qu’ils sont aussi heureux de faire le ménage que d’élever leurs enfants– trouvent qu’élever des enfants devient de plus en plus facile à mesure qu’ils grandissent ou que la famille s’agrandit.
Nous nous sommes découverts nous-mêmes un peu plus français à l’arrivée de chaque nouvel enfant. Nous parlons moins bébé au cadet et au benjamin que nous ne le faisions pour l’aîné au même âge, nous favorisons un peu plus leur indépendance, et nous sommes de moins en moins paranos.
Un exemple: lorsque notre aîné avait deux ans, nous étions à une fête de Noël avec de nouveaux amis. C’est avec force hésitation que j’ai laissé notre fils descendre jouer avec les autres enfants, sans surveillance. J’ai demandé à une maman dont la fille était un peu plus jeune si elle pensait que ça irait pour les deux petits. «Evidemment, pourquoi?», répondit-elle. Sa réaction découlait directement du fait que sa fille était la plus jeune d’une fratrie de trois.
Maintenant je suis à sa place et je ne m’inquiète pas beaucoup pour le plus petit. Je me demande si l’éducation névrosée que Pamela Druckerman décrit comme étant en vigueur de ce côté de l’Atlantique ne provient pas du fait que les «bobos» américains se marient plus tard et font moins d’enfants.
Alors que nous arrivons au terme de notre discussion, j’aimerais en savoir plus sur les pères français que tu as évoqués dans ta première note –s’ils deviennent de moins en moins autoritaires, crains-tu qu’une horde de petits Sébastien, armés de crayons et laissant dans leur sillage débris de verres et soirées gâchées, ne s’empare de la société française? Dans ce cas, les mères devront-elles faire le gendarme?
Merci de me faire partager tes expériences de parent français; après notre échange je me sens un peu plus sage.
Rachael
Traduit par Florence Boulin