Économie

Ce n'est pas une crise de la dette, mais des compétitivités

Temps de lecture : 3 min

Le constat de Mario Draghi change tout: une politique monétaire, même «inorthodoxe» ne suffit plus. Redresser la production est plus important que de réduire la dette.

Mario Draghi en janvier 2012. REUTERS/Alex Domanski
Mario Draghi en janvier 2012. REUTERS/Alex Domanski

En apparence, Mario Draghi est venu en renfort des thèses françaises en réclamant qu'un «pacte de croissance» soit ajouté au «pacte budgétaire» conclu par les Européens sur insistance allemande. En réalité, le président de la BCE ne s'est pas seulement démarqué des thèses germaniques, il a carrément renversé la table.

En parlant de «revenir en arrière», il a dit une vérité terrible à entendre: les Européens se sont trompés. Ils ont cru, nous avons tous cru, que la crise européenne commencée en Grèce était une crise des dettes souveraines. Les gouvernements impécunieux auraient profité de l'euro pour faire des cadeaux gratis à leurs concitoyens.

Mario Draghi nous dit: la crise se manifeste en effet par le creusement des déficits, mais elle est en réalité beaucoup plus grave, c'est une crise des compétitivités. L'Europe n'est pas seulement en crise budgétaire, elle est en crise économique. Comme l'expliquent Silvia Merler et Jean Pisani-Ferry: le problème premier dans la zone euro n'est pas le déficit budgétaire mais le déficit commercial (1). Mario Draghi l'a admis: il ne sert à rien de mettre les banques sous assistance de la BCE s'il n'y a pas en aval d'entreprises pour demander des crédits et investir.

Ça change tout

Cela change quoi? Tout. Cela montre que la politique monétaire, même «inorthodoxe», ne suffit pas. Il faut une inversion de l'ordre des priorités entre dette et compétitivité. Les candidats français à l'élection présidentielle devraient non pas se féliciter du renfort de Mario Draghi, mais se précipiter vers leurs équipes pour réécrire complètement leurs programmes: changez tout! Redresser la production est plus important que de réduire la dette.

Air connu, direz-vous. Les Français de gauche comme de droite disent, depuis la signature du traité de Maastricht il y a vingt ans, que la «stabilité» germanique (la lutte contre l'inflation) ne peut être l'alpha et l'omega de l'Europe. La croissance doit compter aussi. Certes. Mais ils l'ont toujours fait sans réelle conviction.

Quand Lionel Jospin monte au créneau en 1997 pour finalement se contenter d'un changement cosmétique du «Pacte de stabilité» devenu «Pacte de stabilité et de croissance», sans aucun contenu, il ne subit pas une défaite diplomatique. Il subit une défaite intellectuelle. La conviction domine en Europe que les déficits commerciaux n'ont plus aucune importance, l'euro permet de les financer sans frais. Il suffit donc de tenir les comptes budgétaires, les seuls que Bruxelles et Francfort doivent surveiller.

Quand la crise arrive, les Allemands gagnent: vous voyez, les pays du club Med sont en faute. Ils ont été laxistes, mais, quand la bise est venue, les voilà fort dépourvus. Ils gagnent... jusqu'à ces dernières semaines, quand la récession s'installe et que les pays tombent les uns après les autres dans la spirale dépressionniste. Les économistes s'interrogent. Combien de temps ces fautifs vont-ils devoir souffrir? Ils calculent: quinze ans de purge en Grèce, dix ans en Espagne, sept ans en Italie. Les hommes politiques s'effraient: les gouvernements ont le temps de valser et les partis populistes de voir leurs rangs grossir...

Des Etats-Unis, l'esprit keynésien souffle que Barack Obama a, lui, attendu le retour de la croissance avant de commencer à serrer la ceinture. Il obtiendra une croissance de 2,5% cette année tandis que l'Europe plonge. N'a-t-il pas raison? David Cameron a fait l'inverse en Grande-Bretagne: une purge violente du budget avec la suppression de 800.000 fonctionnaires va «libérer» le capital privé et relancer l'investissement, espérait-il. Hélas, rien ne se passe de tel. L'investissement végète, la Grande-Bretagne est en récession depuis six mois. Le malheur est que ce constat, qu'il y a urgence de relancer la production dans les pays du Sud, débouche sur une inconnue: comment ces pays doivent-ils faire? Et comment l'Europe peut-elle les aider?

La compétitivité, la dette, l'Europe: en France, la politique économique du futur président devra trouver l'équilibre dans ce triangle. L'exercice est objectivement très délicat et il s'effectuera en outre sous la double surveillance contradictoire des électeurs et des créditeurs, de la rue et de la City. Il eût fallu travailler et en débattre. François Hollande, qui a omis la compétitivité de son projet, aura bien du mal à faire admettre à son parti que le plus urgent finalement est «d'aider les entreprises à produire».

Eric Le Boucher

(1) «Sudden Stop in Euro Area». Mars 2012. Bruegel Policy Contribution. Retourner à l’article

Article également publié dans Les Echos

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