En septembre dernier, le village palestinien de Yatma, à quelques kilomètres au sud de Naplouse en Cisjordanie, a été attaqué par des inconnus: mosquée taguée, voitures incendiées et oliviers déracinés. Sur les murs de l’édifice religieux, ces graffitis en hébreu ont été inscrits: «le prix à payer» et «Migron», en référence à l’implantation juive de Migron, évacuée par l’armée israélienne, quelques jours tôt.
Deux mois plus tard, la mosquée du village de Kfar Burka, à proximité de Ramallah, a été la cible d’une tentative d’incendie. Des tapis ont été partiellement brûlés. Les mots «terre» et «Mitzpe Yitzhar» ont été tagués sur les murs, du nom de l’avant-poste détruit quelques heures plus tôt par Tsahal.
Ces derniers mois, plusieurs mosquées de Cisjordanie ont été vandalisées. Ces attaques relèvent d’une politique de représailles dite du «Tag Mehir», le «prix à payer». A chaque mesure prise contre les implantations sauvages, des juifs extrémistes se vengent et attaquent des cibles palestiniennes.
Mais récemment, ces individus radicaux ont franchi une ligne rouge, en s’attaquant à l’armée israélienne, à la suite de rumeurs d’évacuation de colonies illégales, non autorisées par le gouvernement israélien. Une cinquantaine de jeunes ont pénétré dans une base militaire, près de Naplouse, au nord de la Cisjordanie. Ils ont insulté et attaqué à coups de pierres des soldats, lancé des pots de peinture et saboté plusieurs véhicules militaires. Dans la même nuit, d’autres individus ont pénétré dans une zone militaire fermée proche de la frontière avec la Jordanie.
Un affront fait au sacro-saint de l’identité sioniste, Tsahal, l’armée de défense d’Israël, chargée de protéger tout Israélien de ses ennemis.
Des «terroristes»?
L’ensemble de la classe politique israélienne a vivement condamné les auteurs du «Tag Mehrir». Dans un communiqué, l’armée a prévenu qu’elle agirait avec «une grande sévérité» contre tous ceux qui s’attaquerait à Tsahal et à ses soldats.
«Ce sont des criminels, des terroristes juifs qui mettent en danger la sécurité d'Israël», s’est insurgé le ministre israélien de la Défense civile, Matan Vilnaï. Des condamnations ont également émané des rangs des habitants juifs de Cisjordanie, dans une déclaration à l’Agence France Presse.
«Nous devons lutter contre cette secte qui ne respecte plus ni la loi civile ni la loi juive.»
Le Conseil du Rabbinat d’Israël s’indigne lui aussi de ces «actes graves et contraires à la Torah». Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a toutefois rappelé «qu’il ne s’agit que d’un petit noyau qui ne représente pas la majorité des habitants de Judée-Samarie, qui sont loyaux envers l’Etat et ses lois et dénoncent les atteintes à l’ordre public».
Quelques voix discordantes s’élèvent tout de même au sein même du gouvernement israélien. «Je ne soutiens pas la politique du prix à payer, mais je ne la condamne pas, déclare le député d’extrême droite, Michel Ben Ari. Les véritables responsables sont les autorités israéliennes qui évoquent la possibilité que la terre d'Israël soit donnée aux ennemis du peuple juif.» Selon une information du Jerusalem Post, 30% des forces militaires israéliennes de Cisjordanie ont été mobilisées pour prévenir ces attaques du «prix à payer».
La deuxième génération de colons
Cette politique de représailles a été attribuée aux jeunes des collines. Ils ont entre 15 ans et 30 ans et vivent sur les collines de Cisjordanie. Ils seraient quelques centaines, voire plus d’un millier. Ils font partie des quelque 5.000 personnes qui vivent dans près de 80 colonies sauvages, illégales au regard de la justice israélienne, installées sur des terres domaniales ou palestiniennes.
Ils incarnent la deuxième génération de colons. Pour la plupart, ce sont les enfants ou petits-enfants des premiers colons implantés en Cisjordanie après la guerre des Six Jours de 1967. Quelques-uns ont abandonné leurs racines citadines et leur mode de vie consumériste pour s’installer sur cette terre fertile qu’est la Judée-Samarie (nom biblique de la Cisjordanie). Au sommet de ces collines, sur des zones arides, inhabitées, désertiques, ces jeunes plantent des tentes, de simples caravanes ou mobil homes, parfois ils vivent dans des installations en préfabriqué, faites de leurs propres mains.
C’est à la fin des années 1990 que le mouvement apparaît. En 1998, un colon du nom de Avri Ran créé Givat Olam («les collines du monde»)*, un domaine agricole, dans la région de Naplouse. Dans sa ferme, cet ancien officier de l’armée accueille des jeunes désorientés. Ces derniers se mettent à travailler dans la construction et dans les champs. Sous l’impulsion des adultes, c’est là que naissent les premiers «jeunes des collines», appellation donnée par les médias israéliens.
Puis, cette mouvance sociale se développe pendant la seconde intifada. Face aux attentats palestiniens, des jeunes désemparés et traumatisés quittent leur foyer. «A cette époque, les jeunes sionistes religieux sont victimes d’une crise de foi, raconte Michael Blum, journaliste et auteur du livre Qui sont les colons? Une enquête de Gaza à la Cisjordanie. Ils se sentent en rébellion ouverte contre Dieu, la famille ou encore le système scolaire. Certains ont sombré dans la drogue. D’autres sont allés plus loin dans la pratique religieuse et dans l’idéologie politique de droite en créant des implantations.»
Le nombre de jeunes des collines s’accroît après le retrait des colons juifs de Gaza, en août 2005.
«Les colonies sauvages se développent. Les jeunes veulent maintenir une présence dans toute la Cisjordanie, sans aucune aide des autorités. Avec comme objectif d’inciter les adultes à construire derrière.»
Le traumatisme du retrait de Gaza reste ancré chez ces jeunes qui estiment désormais que l’Etat et les autorités rabbiniques ne sont plus assez puissantes pour défendre la terre d’Israël.
«Derrière le mouvement des jeunes des collines, on retrouve cette rébellion contre l’embourgeoisement des parents, analyse Michael Blum, ce rejet de l’ordre étatique, cette recherche spirituelle tournée vers le mysticisme, le retour à la nature et l’influence hippie.»
Vivre comme au temps de la Bible
Très souvent religieux, certains plus que leurs parents, ils sont agriculteurs, bergers ou étudiants en quête d’une existence mystique, d’une vie spirituelle et idyllique, d’un mode de vie ascétique, au plus près de la nature et aux antipodes de la société de consommation des grandes villes.
Animés par l’esprit pionner qui rappelle l’époque des kibboutzim et du collectivisme, les jeunes des collines plantent des arbres et cultivent la terre. Eitan, 19 ans, s’est installé avec sa femme dans l’avant poste d’Esh Kodesh situé dans la vallée de Shilo, mentionnée dans la Bible, entre Ramallah et Naplouse. Il élève des moutons et aspire à vivre sur la terre des ses ancêtres, comme au temps biblique des Patriarches.
«En plantant des arbres, tu conquières la terre. C’est un bonheur d’habiter ici, c’est saint, c’est très bon pour l’âme. C’est l’Eternel qui a promis tout ça à Abraham.»
Il mène une vie heureuse, emplie de méditation, de prières, de musique, de chants et de danses. Une à deux fois par mois, ces jeunes se retrouvent, au fin fond du désert de Judée. Autour de feux de camp, accompagnés de leurs enfants mais aussi d’adultes, ils s’adonnent aux chants et à la prière, en l’honneur de leurs ancêtres et de la terre d’Israël.
La politique du gouvernement à leur égard est ambiguë. Ils vivent dans des colonies sauvages et donc interdites selon la loi israélienne. Mais sur le terrain, l’armée laisse faire et même encourage implicitement ces constructions.
A l’entrée de l’avant-poste illégal d’Esh Kodesh, une barrière contrôle les entrées et sorties des véhicules. Au centre de la colonie, un soldat monte la garde, surélevé par une tour en bois. Un arrêt de bus assure le ramassage scolaire. «D’un côté, le gouvernement fournit l’eau, l’électricité et la protection de l’armée, témoigne Moshe Tamir, responsable de la sécurité de l’avant-poste Esh Kodesh. De l’autre, ils parlent de détruire tout ça. Ce sont des luttes d’influence au sein du gouvernement, pour savoir s’il faut détruire ou construire.» Officiellement, plus aucune colonie ne voit le jour, mais lorsqu’un avant poste existe depuis longtemps, il obtient un statut quasi officiel. C’est le cas de l’avant-poste illégal de Shvut Rachel, au nord-est de Ramallah, qui existe depuis une quinzaine d’années. Le ministre de la Défense, Ehud Barak, vient d’annoncer sa légalisation, il y a quelques jours.
Empêcher toute possibilité physique d'un Etat palestinien
La jeunesse des collines est un «mélange de culture hippie et de racisme violent». Elle est animée d’une idéologie radicale. Selon elle, peupler la Judée-Samarie est un commandement religieux, une volonté divine, un devoir.
Visionnaires, anarchistes, ils n’aspirent qu’à défendre la cause d’Eretz Israël, le «Grand Israël», en peuplant la terre et en la faisant fructifier. Ils sont de farouches opposants au gel des constructions juives en Cisjordanie et se dressent contre tous ceux qui font obstacle à leur mission divine. Négocier la terre contre la paix est un péché.
«En faisant paitre ton troupeau, tu empêches les arabes de s’installer, estime Eytan. C’est l’Eternel qui a promis tout ça à Abraham, il lui a dit: je te donnerai cette terre. Donc personne n’y peut rien, même le pire de nos ennemis. Il y a beaucoup de collines inoccupées. Plus vite elles seront habitées, plus vite la rédemption viendra.»
Dans la préparation à l’avènement des temps messianiques, la création d’un Etat palestinien apparaît comme une hérésie. Meir Bretler, porte-parole des Jeunes des collines, avoue carte à l’appui, que les jeunes des collines choisissent précisément leurs emplacements.
«Le but est de construire en continue, du sud au nord, de Beersheba à Afula, en passant par Jérusalem. C’est un moyen de contrôler le centre du pays et surtout la Judée-Samarie. Notre objectif est d’empêcher toute possibilité physique d’un Etat palestinien. Et c’est aussi une façon de lutter contre le terrorisme. Tout ça, c’est grâce à nos implantations.»
C’est aussi ce que confirme Pinchas Michaeli, le coordinateur de la jeunesse de l’implantation d’Itamar, dans une tribune publiée sur le site internet du quotidien israélien Ynet. L’auteur explique qu’après le massacre d’Itamar près de Naplouse en mars 2011, où cinq membres d’une même famille ont été sauvagement assassinés, les habitants de l’implantation ont décidé d’agir par eux-mêmes puisque l’armée n’a pu empêcher cette tragédie. Une stratégie que Pinchas Michael présente comme non violente, dans la reconquête de toutes les collines de Cisjordanie.
Les jeunes des collines ne votent pas, rejettent l’autorité étatique et beaucoup d’entre eux ne font pas l’armée. Parfois c’est l’armée qui ne veut pas d’eux, pour ceux qui ont un casier judiciaire. Ce n’est pas un mouvement hiérarchisé. Mais en cas d’urgence, notamment à chaque évacuation d’implantation par l’armée israélienne, les jeunes communiquent par SMS, via un service qui s’appelle le 1315. Voici le genre de messages que les abonnés reçoivent sur leur portable:
«L’armée arrive à Migron. On a besoin de monde. Arrivez-vite.»
C’est là que se joue le face-à-face entre l’armée et les jeunes des collines qui s’interposent violemment à chaque destruction de colonie sauvage.
«A Migron, par exemple, les habitants ne lèveront jamais la main sur un soldat, raconte Michaël Blum. Ils useront de tous les moyens juridiques et légaux pour empêcher l’évacuation, mais c’est tout. Par contre, les jeunes des collines vont débarquer et affronter les forces de l’ordre.»
Minorité marginalisée?
Les jeunes des collines ne sont pas le reflet de la population juive de Cisjordanie. C’est une minorité idéaliste et marginale.
«Ils ont un discours violent, prônent des idées radicales, assure Michael Blum. Mais ils n’ont pas d’armes, ni même de voitures. Les attaques signées du “prix à payer” ne sont pas nécessairement l’œuvre des jeunes des collines. Je pense plutôt que les auteurs sont des fondamentalismes intégristes et extrémistes, des adultes bien organisés, qui ont fait leur service militaire. »
D’autres s’inquiètent de leur montée en puissance. Talia Sasson, avocate et auteure d’un ouvrage de référence sur les avant-postes illégaux, estime que cette jeunesse est une «bombe à retardement. Quand ils ont brûlé la mosquée en Galilée, le Président Shimon Peres, le Premier ministre et les deux grands rabbin d’Israël se sont précipités sur place. Les dirigeants du pays se rendent bien compte du danger de ces incendies de mosquées. Cela peut conduire à une guerre civile entre juifs et arabes et même à des affrontements ailleurs dans le monde. Ils jouent avec le feu, c’est très dangereux».
Des actes qui inquiètent aussi la gauche israélienne. «Ce groupe minoritaire met en danger la démocratie israélienne», prévient Yariv Oppenheimer, secrétaire général de l’organisation israélienne La Paix Maintenant.
Les jeunes des collines ont pourtant réussi à trouver un terrain d’entente avec la jeunesse laïque de Tel Aviv. L’été dernier, ils ont rejoint les rangs des indignés sur le boulevard Rotchsild à Tel Aviv. Ces indignés qui regroupaient laïcs et religieux manifestaient contre le coût de la vie en Israël et le manque de logements. A cette dernière revendication, la jeunesse des collines a trouvé la solution: construire en «Judée-Samarie».
Kristell Bernaud
* Qui sont les colons? Une enquête de Gaza à la Cisjordanie de Claire Snegaroff et Michaël Blum. Retourner à l'article