«Reçois, cher Jean-Luc, au nom du gouvernement de la Révolution citoyenne, de tous les révolutionnaires d'Equateur et de mon nom propre, le soutien à ton projet de vie au service de ton pays». L'encouragement vient du Président équatorien Rafael Correa, dans une lettre en espagnol adressée au candidat du Front de gauche.
A l'instar du jeune chef d'Etat équatorien, l'Amérique du Sud « progressiste » s'emballe pour Jean-Luc Mélenchon, «la révélation de l’élection présidentielle française» selon La Republica, quotidien favorable au président Correa, en Equateur.
Le quotidien argentin Clarin encense «le candidat des rêves perdus» , l'«ex-ministre mitterrandien cultivé», «à la voix grave, aux accents de Malraux et De Gaulle», qui «fait rêver les communistes, les socialistes désenchantés, les ouvriers anxieux face à l'avenir, les retraités, tous ceux qui s'effraient de la distance des autres candidats face à leurs drames quotidiens, la classe moyenne appauvrie».
Pour le journal bolivien pro-gouvernemental La Jornada, le député européen représente «la rupture politique la plus importante dans le système d'alternance politique néolibérale qui prime dans l'Union européenne en ce moment» et «un signe d'espoir».
Des compliments qui contrastent avec la piètre image du programme de François Hollande dans cette même presse, décrit par La Jornada comme «une alternance respectueuse du modèle néolibéral rigide qui caractérise l'UE» et accusé par l'Argentin Pagina 12 de maintenir «la stratégie de la tortue, lent, didactique, sans passion».
«Un des rares politiciens à s'intéresser à l'Amérique latine»
La raison de cet engouement pour le co-président du Front de Gauche? «C'est un des rares politiciens français qui s'intéresse à l'Amérique latine», répond Renée Fregosi, directrice de recherches en sciences politiques à l'Institut des Hautes Etudes sur l'Amérique latine (IHEAL) de l'Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle. Les pays mentionnés par Jean-Luc Mélenchon (tous membres de l'Alliance bolivarienne pour les Amériques, Alba), seraient donc naturellement flattés de cet intérêt inhabituel du Vieux continent.
Preuve de cette reconnaissance: le titre du portrait du parlementaire européen dans Clarin le 10 avril:
«France : le candidat qui parle de l'Argentine agite la campagne».
Le candidat du Front de gauche, qui a répété à plusieurs reprises que «Cuba n'est pas une dictature», distribue les bons points dans un entretien à Mediapart le 1er avril: «J'ai emprunté partout». De l'Argentine, il retient «la façon de gouverner face aux banques» et «les techniques de communication des Kirchner, un mélange de silence et d’affrontement avec la presse». Du Brésil, «la formation même du Parti des travailleurs, une fédération de toute sortes de gens, comme le Frente Amplio en Uruguay, c’est comme cela que nous construisons le Front de Gauche».
Du Venezuela, «l’idée d’une nouvelle Constitution». Sans l'exemple cubain, ajoute-t-il, «toute la résistance aurait craqué en Amérique du Sud à l’époque des dictatures».
D'Equateur, Jean-Luc Mélenchon a rapporté dans l'Hexagone son slogan de «révolution citoyenne». Une fierté pour le petit pays andin, longtemps inexistant sur la scène internationale. Rafael Correa l'a d'ailleurs remercié pour «la reconnaissance du travail quotidien que des millions d'Equatoriens et Equatoriennes accomplissent avec cohérence et volonté pour transformer radicalement et profondément les structures de la réalité économique, sociale et politique».
Et le Président réélu en 2009 se prend à rêver d'une exportation de son modèle révolutionnaire en France où, affirme-t-il avec lyrisme, «est venue l'heure de la citoyenneté et d'une marche vers un avenir de vie et de paix comme conséquence de la justice».
«Le petit Chavez à la française»
Surnommé «le petit Chavez à la française» par Le Figaro, cet amoureux de l’Amérique latine a tenu à préciser le 8 avril sur BFMTV qu'il n'avait pas «d'attirance ou de sympathie personnelle» pour le dirigeant vénézuélien qu'il a rencontré une fois, ajoutant qu'il se sentait plus proche de Rafael Correa. Au Venezuela pourtant, les pro-Chavez se félicitent eux aussi de l'influence de leur mentor sur le politicien français.
Sur le site socialiste Aporrea, l'anthropologue Mario Sanoja Obediente assure que «le programme politique de Mélenchon et du Front de gauche en France s'aligne avec la proposition fondamentale du chavisme» et remarque même déjà des similitudes dans l'attitude des médias à l'égard des deux hommes: «comme il fallait s'y attendre, la droite française à travers ses médias de désinformation (ce qu'ils sont presque tous) a commencé à l'appeler “le petit Chavez”».
L'universitaire conclut dans un élan patriotique:
«Notre président le Commandant Hugo Chavez peut se sentir fier d'avoir mis en marche et développé la théorie et pratique d'un mouvement révolutionnaire qui a dépassé les limites physiques de la Patrie vénézuélienne. Vivre pour vaincre!».
Toutefois les sympathisants anticapitalistes ne sont pas les seuls à avoir commenté la faiblesse de Jean-Luc Mélenchon pour l'Amérique du Sud révolutionnaire... Dans un éditorial cinglant du journal d'opposition vénézuélien Tal Cual, le chimiste vénézuélien Vladimiro Mujica, auteur de nombreux essais sur le gouvernement d'Hugo Chavez, déplore les démonstrations de sympathie du candidat français, estimant déjà qu'il est facile d'être «chaviste à Paris».
Remarquant la culture historique de Mélenchon, il l'accuse de «falsification» lorsque ce dernier évoque «la supposée amélioration de vie de la population au Venezuela, en Bolivie, en Equateur et Argentine». «Le cas du Venezuela, souligne-t-il, est particulièrement pathétique car là où Mélenchon voit une excitante source d'inspiration, nous les Vénézuéliens nous voyons 13 ans de conflit, d'appauvrissement, de violence et de polarisation du pays».
Il reproche directement au candidat de manipuler volontairement l'opinion française lorsqu'il déclare en meeting à Vierzon début avril que Chavez «a nationalisé le pétrole». «J'ai dû mal à croire, réagit Vladimiro Mujica, que ce candidat français cultivé ne sache pas que Chavez n'a rien eu à voir avec la nationalisation du pétrole». En effet, le pétrole vénézuélien avait été nationalisé officiellement en 1976, même si dans les années 90 la distribution avait été «libéralisée» et confiée à des multinationales.
La politologue Renée Fregosi, qui connaît Jean-Luc Mélenchon depuis longtemps, estime que s'il «a été très proche de Chavez, dans une démarche sincère [à ses débuts], aujourd'hui, il a dû s'en distancier, montrer plus de réticence face aux dérives autoritaires du président vénézuélien». Ce qui expliquerait son rapprochement avec Rafael Correa, «bien plus présentable».
Dès 2006 sur son blog et encore récemment, l'ex-sénateur français affirmait ne pas approuver la politique étrangère du leader bolivarien, qui soutient notamment les régimes iraniens ou syriens.
Renée Fregosi l'assure en tous cas, la passion de Jean-Luc Mélenchon pour l'Amérique du Sud «n'a rien de conjoncturelle ni d'intéressée»: «Elle remonte aux années 70, à l'époque des exilés chiliens, et a des racines profondes, sentimentales même».
Si elle regrette une part de «fantasme de gauchiste français» dans le regard que porte le candidat du Front de gauche sur les révolutions sud-américaines, elle partage avec lui «cette intuition que le dynamisme de l'Amérique latine est un enjeu pour l'Europe, qui devrait alimenter ses relations avec cette partie du monde».
Julie Pacorel