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Pouvons-nous décider de ne pas être malade?

Temps de lecture : 6 min

Des spécialistes en développement personnel expliquent dans un livre comment l'analyse et la gestion de nos protéines pourrait entre autre nous prémunir du cancer.

Protéine virulente de l'Anthrax /Argonne National Laboratory via Flickr CC
Protéine virulente de l'Anthrax /Argonne National Laboratory via Flickr CC

Alors que l'industrie de l'édition connaît certains bouleversements, un genre reste imperméable au changement et est épargné: les livres de développement personnel.

Ces ouvrages truffés de bons conseils sont de deux types: il s'agit soit d'un discours d'encouragement sur la discipline et le contrôle de soi, qui pourrait être donné par un prof de gym au lycée, soit d'une série de platitudes dignes d'une grand-mère, qui recommande la modération en toute circonstance.

L'ouvrage intitulé The End of Illness (Ne plus être malade, N.d.T.), paru en janvier dernier (dans la sous-catégorie santé), nous explique comment nous pourrions tous vivre jusqu'à 90 ans. Naturellement, il est plus proche du discours de la grand-mère que de celui du prof de gym. «Envisagez de prendre un chien», recommandent l'auteur, David Agus, oncologue et entrepreneur, et son co-auteur, Kristin Loberg. Mais le livre s'accompagne d'un bonus savoureux: une incursion intéressante dans le monde futuriste de la protéomique.

De quoi s'agit-il? D'un domaine tellement récent que le terme lui-même (contraction de protéine et de génome) a été inventé il y a moins de 20 ans. La discipline (et son nom) ont été créés par Marc Wilkins, un chercheur australien qui a remis en cause, dans les années 1990, l'histoire d'amour du monde avec le génome. Il a estimé que l'ADN, les gènes et les chromosomes n'ayant pas de valeur immédiate, ils avaient donc un intérêt limité pour nous aider à comprendre la maladie chez l'homme.

Après tout, comment une hélice inextensible d'informations génétiques transmise lors de la conception peut-elle prédire qu'une personne aura une crise cardiaque à 50 ans? Ne peut-on pas examiner une signature biologique plus immédiate, qui reflète l'état de santé d'une personne à l'instant présent?

La génétique ne détermine pas seule notre santé

Selon Wilkins, nous ferions mieux d'étudier non pas le gène, mais le produit génique. Le gène ne fait pas que de se développer dans la fameuse double hélice de l'ADN, il joue un véritable rôle dans le corps humain: il fabrique des protéines. Certains gènes (nous en avons près de 25.000) peuvent aussi être multitâches et fabriquer des protéines diverses.

En fait, nous avons chacun près d'un million de protéines, qui, selon les termes de l'Institut national américain de la santé (NIH), «déterminent le fonctionnement de [nos] cellules, tissus et organes». Beaucoup circulent dans le flux chaotique du sang, tandis que d'autres restent à l'intérieur des membranes cellulaires. (Cliquer ici pour une explication en images). L'ensemble de ces protéines constituent le protéome.

Comment tirer profit de notre connaissance du protéome? L'idée de départ est la suivante: en réponse aux aléas du quotidien, nous produisons toute une série de protéines, certaines pour augmenter une hormone, d'autres pour calmer une réaction inflammatoire, d'autres encore pour donner la nausée après un repas trop copieux. Chaque protéine a sa fonction. Les protéines devant circuler dans le sang, un prélèvement sanguin refléterait directement l’œuvre (en français dans le texte, N.d.T.) du jour. Le protéome est le tout dernier compte-rendu de la journée.

Agus s'amuse avec le sujet et s'attribue le mérite de l'avoir développé. (Il dirige sa propre société de protéomique). Il explique ensuite de façon convaincante le rôle déterminant que pourrait jouer la protéomique dans la médecine de demain et évoque le «théragnostic» (contraction de thérapeutique et de diagnostic, N.d.T.) – se servir des compositions protéomiques des patients pour prédire leur réaction à un traitement coûteux et potentiellement nocif. Il rêve du jour (peut-être pas si lointain) où la protéomique, et non la coloscopie, permettra de détecter le début de la croissance de polypes et la naissance d'un cancer.

Avant la médecine du futur, les remèdes de grands-mères

Agus clôt ce sujet au chapitre 5 (il en reste neuf autres). Alors que le lecteur s'attend à ce qu'il poursuive sur la médecine de demain, il revient soudain en arrière, aux bons vieux jours où Grand-mère était la référence. Il passera le reste du livre (plus de 150 pages) à donner de sages conseils sur tel ou tel sujet : suivre un régime varié, utiliser un kit mains libres pour pouvoir se déplacer en étant au téléphone, etc.

Heureusement, il lui arrive aussi parfois de s'attaquer à certaines inepties des livres de développement personnel: consommer des vitamines et des légumes «frais», comme la tomate cultivée en hiver, qui sont en fait hors-saison et pauvres en nutriments. Mais il passe aussi beaucoup de temps à dispenser les mêmes bons vieux conseils dont ce genre de livres regorge: faire de l'exercice, manger du poisson frais et éviter la junk food. (Dans l'un des meilleurs moments du livre, il souligne que les Américains dépensent 5,3 milliards de dollars par an dans les frites).

En plus de cette alternance entre anti-conformisme et banalité, Agus fait un détour étonnamment peu informé par le monde étrange des inflammations, qu'il considère comme «mauvaises» car les joueurs de football ont tendance à mourir jeune. Ce qui, apparemment, est dû au fait qu'ils souffrent souvent d'inflammations, et non parce qu'ils sont en surpoids et bourrés de stéroïdes anabolisants, d'anti-dépresseurs, de boissons pour prendre du poids, etc.

Après s'être efforcé d'élucider les mystères de la protéomique avec autant de subtilité et de nuance, le fait qu'il livre une explication aussi triviale de ce sujet est paradoxal. Les inflammations sont un ensemble complexe et enchevêtré de substances chimiques tirant et poussant dans toutes les directions, dont aucune n'est bonne ou mauvaise par nature. Comme le protéome, on ne peut fournir d'explications toutes faites ou faire de jugements de valeur à ce sujet.

Un rythme «métro, boulot, dodo» = une bonne santé?

Le chapitre 11, intitulé «The Wonder Drug of Keeping a Regular Schedule» (Le remède miracle consistant à avoir un emploi du temps régulier, N.d.T.), ne semble lié à aucune réalité vécue par un membre de l'espèce Homo sapiens. Agus recommande ici de mener une vie régulière: se lever à la même heure, se coucher à la même heure et vivre heureux. Il s'agit d'une solution très simpliste et irréaliste.

Au final, les problèmes existent: les gens sont inquiets parce que leur enfant est malade, parce qu'ils ne peuvent pas payer leurs factures, à cause de mémos menaçants qu'ils reçoivent à la fin de leur journée de travail ou d'étrangers qui leur sourient de façon suggestive. La vie est pleine d'excitation, bonne ou mauvaise; pour la plupart des adultes, dormir c'est ce que font les enfants.

L'auteur traitant de nombreux sujets, on peut lui pardonner de tomber dans certains écueils –vendre ses propres recettes, s'adresser au lecteur avec condescendance et se tromper sur certains remèdes (son soutien sans faille aux drogues statines semble particulièrement inopportun, par exemple, étant donnée la récente mise en garde de la FDA, qui fait un lien entre leur consommation et le développement du diabète). Mais il va bien trop loin à la fin du livre.

Dans les dernières pages, Agus nous invite à le suivre dans la Marche vers la Pleine Santé et laisse entendre que ceux qui ne le suivent pas, non seulement ignorent ses bons conseils, mais encouragent la maladie –comme si on s'infligeait à soi-même d'être malade. Selon lui, «ne plus être malade est quelque chose à laquelle nous pouvons tous arriver. A chacun de nous de faire ce que l'on peut pour y mettre fin. Bienvenue à ceux qui ont le courage de rejoindre la révolution qui se joue actuellement dans le monde de la médecine».

Selon cette pensée moralisatrice, si celui qui n'a pas rejoint la bonne équipe alors qu'il en avait les moyens est malade, c'est de sa faute. Ce qui est scientifiquement inexact et révoltant du point de vue moral. Comme l'écrit David Rakoff dans son ouvrage intitulé Half Empty (A moitié vide, N.d.T.):

«Le sens de l'humour… est une bonne attitude à adopter si cela marche pour vous, mais l'attitude inverse semble constituer un manque de caractère; il s'agit, au final, d'un jugement contre ceux qui ne sont pas assez drôles ou élégants pour désarmer leurs métastases avec de l'esprit bien placé.»

Pourtant, dans le bouquet final du livre d'Agus, ce dernier donne la raison secrète de la popularité sans faille de ces livres: ils entretiennent la fausse promesse que l'on peut contrôler son avenir. Soyez suffisamment propres sur vous et mangez (ou ne mangez pas) nos légumes, vitamines, boissons énergisantes et autres, et vous vivrez pour toujours, ou presque! Or ce point de vue ignore l'un des fondements de la santé chez l'homme: la maladie apparaît souvent de différentes façons que ni Agus, ni le protéome, ni le génome, ni même M. le Magicien, peuvent prédire. Soutenir cette doctrine de la cosmologie est aussi réducteur que de croire en un système de châtiment divin pour le pêcheur qui flirterait trop longtemps avec le diable. Sur le plan de la santé, ni la science, ni la foi ne tiennent leurs promesses; mais la science doit au moins reconnaître ses limites.

Kent Sepkowitz

Traduit par Charlotte Laigle

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