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Comment nourrir la planète après le changement climatique?

Temps de lecture : 6 min

Les OGM ne suffiront pas et c'est le système agricole dans son ensemble qui doit être repensé.

Récolte de riz à Mogpog. REUTERS/Erik de CastroWomen harvest rice stalks on a farm in MogpogErik de Castro / Reuters
Récolte de riz à Mogpog. REUTERS/Erik de CastroWomen harvest rice stalks on a farm in MogpogErik de Castro / Reuters

Quand ma fille a fêté son septième anniversaire, la semaine dernière, nous lui avons préparé un gâteau au chocolat. Je me demande si elle pourra un jour faire de même avec son propre enfant. Des scientifiques nous avertissent d'ores et déjà des difficultés à cultiver le cacao et le blé générées par la perturbation des modèles de températures et de précipitations.

Ces cinquante prochaines années, le changement climatique transformera le monde d'une manière que nous commençons à peine à concevoir. Les humains ont modifié le climat de cette planète et cela aura des conséquences mondiales, en particulier sur notre manière de cultiver nos aliments.

Déstabilisations majeures à venir

Prenez le maïs. Première plante cultivée (en volume) aux États-Unis, le maïs ne pousse pas quand le mercure dépasse les 35°C. Au XXème siècle, l'Iowa a connu de tels pics de température pendant trois jours consécutifs une fois par décennie. Mais d'ici 2040, si les émissions de gaz à effet de serre restent aussi élevées, ces canicules se produiront en Iowa trois étés sur quatre, selon les calculs des professeurs Katharine Hayhoe (Université de Texas Tech) et Donald Wuebbles (Université de l'Illinois).

Parallèlement à ce phénomène, la demande mondiale de nourriture ira en augmentant. La population humaine pourrait atteindre les 9,3 milliards d'ici 2050. Et avec l'augmentation des revenus dans les pays émergents, les consommateurs prendront des habitudes alimentaires plus gourmandes en ressources, par exemple en mangeant davantage de viande.

Selon les mises en garde de John Beddington, conseiller scientifique en chef du gouvernement britannique, l'enchevêtrement de trois tendances (changement climatique, croissance démographique et raréfaction des ressources) pourrait causer d'ici 2030 une «déstabilisation majeure» faite d'émeutes et de migrations massives, puisque les gens fuiront les pénuries d'eau et de nourriture.

Les OGM: une solution à gros budget publicitaire...

Mais ce scénario cauchemardesque ne doit pas se concrétiser. Nous savons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour nourrir un monde entré dans le changement climatique. En réalité, bon nombre de ces pratiques et technologies existent déjà, aux États-Unis et ailleurs.

Ce qu'il faut, c'est généraliser ces succès isolés, faire en sorte qu'ils deviennent la règle et non plus l'exception. Mais ce n'est pas une tâche facile quand les solutions agricoles capables d'améliorer réellement la vie des gens peuvent se faire éclipser par des alternatives insuffisantes jouissant de puissants budgets publicitaires ou de faveurs gouvernementales.

Prenez l'argument selon lequel, pour faire face au changement climatique, nous avons besoin de graines mieux résistantes à la chaleur et à la sécheresse. Les bonnes gens de Monsanto ont dépensé beaucoup d'argent pour faire passer ce message. Et en profitant des largesses de deux soutiens de poids des OGM – la Fondation Bill & Melinda Gates et la Fondation Warren Buffet – Monsanto a affirmé avoir d'ores et déjà augmenté les rendements du maïs en Afrique de 25 à 35%. Mais il y a un hic: les sources de ces résultats provenaient du propre site de Monsanto, qui les a ensuite retirées.

...pas forcément efficace

Pour la plupart des publications scientifiques, les raisons d'être optimistes sur la capacité des OGM à révolutionner les rendements agricoles face au changement climatique sont plus rares. On trouve l'analyse de référence sur le sujet dans Agriculture at a Crossroads [l'agriculture à la croisée des chemins], le rapport historique publié en 2009 par l'Évaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement (IAASTD).

Témoignant devant le Congrès, Robert Watson, le scientifique ayant supervisé ce rapport, expliqua le plus poliment du monde comment les semences OGM sont une technologie non éprouvée aux bénéfices encore très incertains: «il faudra probablement plusieurs années, au moins, avant que ces traits [OGM] puissent peut-être faire l'objet de possibles applications commerciales [c'est moi qui souligne]».

Une stratégie plus large est nécessaire

De meilleures semences ne seront donc pas suffisantes pour nous sortir du pétrin. Pour nourrir le monde dans un contexte de changement climatique, il faudra au contraire une stratégie bien plus large, fondée sur deux impératifs:

D'une part, nous devons rapidement réduire la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, pour ne pas nous retrouver devant un changement climatique ingérable. De l'autre, nous devons préparer nos secteurs agricoles aux impacts climatiques d'ores et déjà dans les tuyaux et qui sont, à eux seuls, suffisamment graves.

Actuellement, le système qui domine l'agriculture industrielle est perdant sur les deux fronts: Il émet d'énormes quantités de gaz à effet de serre (notamment parce qu'ils consomme d'énormes quantités de pétrole) pour alimenter des fermes et leurs équipements, fabriquer des engrais et expédier des denrées sur un marché international. De plus, en préférant la monoculture à la diversité, il est extrêmement vulnérable à la hausse et à la fluctuation des températures, ainsi qu'à la recrudescence des nuisibles et des maladies générés par un tel climat. Sara Scherr, présidente d'Ecoagriculture Partners, une ONG basée à Washington, D.C, explique:

«Nous devons absolument améliorer les semences et les rendre plus adaptées au climat, mais nous devons aussi augmenter leur diversité. On s'intéresse aujourd'hui beaucoup au côté "mettons au point quelques semences résistantes à la sécheresse et plantons-les sur des millions d'hectares". Le modèle économique qui prévaut actuellement dans l'agriculture est fondé sur la maximisation des volumes, qui milite contre la diversité.»

Qu'est ce que l'agroécologie?

Les experts agricoles sont de plus en plus nombreux à souligner la nécessité d'un passage à l'agriculture écologique, appelée parfois agroécologie. L'agriculture écologique évite d'utiliser des engrais chimiques; elle leur préfère le compost et le fumier, qui améliorent la fertilité des sols et permettent de mieux retenir l'eau – des atouts quand le climat est chaud et sec.

Et plutôt que la monoculture, l'agroécologie opte pour un paysage agricole diversifié, où les processus naturels sont mis à profit non seulement pour cultiver de la nourriture, mais aussi pour que le sol, l'eau et la biodiversité conservent leur santé, une santé qui fut à l'origine de l'agriculture.

En Afrique de l'Ouest, par exemple, ils sont des milliers parmi les fermiers les plus pauvres de la planète à capturer de sporadiques précipitations et à rajeunir la fertilité des sols en faisant pousser des arbres au milieu de leurs champs de mil et de sorgho.

Ils ont beau subir le climat le plus chaud et le plus sec de la planète, ces fermiers ont redonné leur verdure à plus de 5 millions d'hectares de terre – assez pour qu'on puisse voir le résultat de l'espace, grâce aux images satellites de l'Institut d'études géologiques des États-Unis. De plus, les nappes phréatiques se sont reconstituées, et les rendements agricoles ont doublé et triplé.

La perspective consistant à mélanger forêts et terres agricoles a aussi été explorée en Chine, où Lin Erda, un éminent scientifique, s'est associé à Greenpeace pour que l'agriculture écologique soit reconnue comme le meilleur moyen de faire face au changement climatique. En élevant par exemple des canards et des poissons dans les rizières, cela limite à la fois les émissions de gaz à effet de serre et l'utilisation d'engrais chimiques; les poissons diminuent le méthane qu'émet normalement ce type de culture, et les canards contrôlent les nuisibles.

Pour quel rendement?

Mais comment l'agriculture écologique arrive-t-elle à se mesurer à la plus grande force de l'agriculture industrielle – sa capacité à produire des quantités astronomiques de nourriture? C'est une question vitale sur une planète où, encore aujourd’hui, une personne sur sept souffre de la famine.

En Afrique, des études approfondies sur le terrain montrent que l'agriculture écologique n'a rien à envier aux rendements de l'agriculture conventionnelle, tout en améliorant les ressources en eau et la fertilité des sols. Mais l'Afrique est un cas à part. Passée au large de la Révolution Verte des années 1970, elle n'a jamais connu les rendements excessifs que l'agriculture industrielle a rendu possibles.

Aux États-Unis et en Europe, le passage de l'agriculture industrielle à l'écologique débouche invariablement sur un déclin initial des rendements. Mais après une brève période de transition de trois à cinq ans, les rendements de l'agriculture écologique rattrapent ceux de l'industrielle, selon une étude menée pendant 30 ans par l'Institut Rodale.

Et les avantages de l'agriculture écologique promettent d'être encore plus importants face au changement climatique. Dans les années de sécheresse, selon Rodale, ses rendements étaient 31% supérieurs au rendements conventionnels. De plus, l'agriculture écologique permet d'améliorer la fertilité des sols en rechargeant les nappes phréatiques, que vide l'agriculture industrielle. Enfin, elle produit 40% de moins d'émissions de gaz à effet de serre.

Ma fille est née dans ce que j'appelle la Génération HOT – ces deux milliards de jeunes individus qui passeront le reste de leur existence à devoir gérer le climat le plus chaud et le plus instable de toute l'histoire de la civilisation humaine. Au final, l'agriculture fait partie des quelques trucs que l'humanité a encore en poche pour éviter l'ingérable et gérer l'inévitable du changement climatique. Ne la gâchons pas.

Mark Hertsgaard
Il écrit sur le changement climatique pour Slate, Vanity Fair, Time et The New Yorker notamment.

Traduit par Peggy Sastre


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