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Le co-dodo est-il dangereux pour les bébés?

Temps de lecture : 8 min

Un livre américain sur l'éducation des enfants fait la promotion du co-dodo. Mais il oublie les gros risques pour la santé des nourrissons.

Anya, exhausted by the exhausted Sonya:) /Oksidor via FlickrCC License by

Dans son nouveau guide d'éducation des enfants, intitulé Beyond the Sling et paru récemment aux Etats-Unis, l'ancienne vedette de la série «Blossom» (Petite Fleur), Mayim Bialik, y décrit la situation peu conventionnelle de sa famille quand vient l'heure de se coucher: son mari et elle dorment avec leurs deux jeunes fils dans deux futons installés côte-à-côte à même le sol.

Bialik, qui se targue d'avoir un doctorat en neuroscience, souligne que cette situation est loin d'être idéale. D'une part, son mari et elle ne font plus jamais l'amour et d'autre part, «on dirait qu'on vit dans une auberge de jeunesse», raconte-t-elle dans son livre. Mais Bialik peut, grâce au cododo, allaiter à la demande et répondre aux besoins de ses fils à toute heure de la nuit.

«Dormir avec mes bébés juste à côté de moi m'a permis de me reposer en sachant que je pouvais sentir s'ils avaient trop chaud, trop froid ou s'ils ne respiraient pas bien», explique-t-elle. La Leche League International, une organisation de promotion de l'allaitement maternel, recommande le partage de lit parent-enfant, ou cododo, pour les mêmes raisons.

Pourtant, l'Académie américaine de pédiatrie, la principale fédération de pédiatres aux États-Unis, n'est pas d'accord. Selon elle, les bébés risquent davantage, et non moins, de s'étouffer ou de mourir de chaud quand ils dorment à côté de leurs parents.

Risques accrus de mort subite

En 2012, une méta-analyse de 11 études cas-témoins, citée par la fédération dans sa déclaration la plus récente à ce sujet, a souligné que les bébés qui dormaient avec leurs parents risquaient près de trois fois plus de mourir du syndrome de la mort subite du nourrisson (SMSN) – terme générique pour tous les décès inattendus et inexpliqués de nourrissons dans leur première année – que les bébés dormant dans un berceau; le risque de SMSN pour un nourrisson américain passe ainsi de 0,047 à 0,136%.

[En France, une étude de l’INVS de 2008 le déconseille et en fait également une des causes de la mort subite du nourrisson, NDLE.]

Qui a raison? Les parents américains, compris, selon les estimations, entre un tiers et la moitié, qui dorment à côté de leur bébé le protège-t-il ou au contraire, mettent-ils sa vie en danger?

Le livre de Bialik ne donne pas de réponse. Elle ne traite d'aucune réserve d'ordre scientifique concernant le cododo, ne cite aucune étude et ne fait même pas référence au SMSN dans son chapitre consacré au sommeil. Les raisons qu'elle invoque pour dormir avec son enfant sont de nature anthropologique: «Dormir seul rend vulnérable et c'est une pratique rare chez la plupart des animaux».

Le cododo, souligne-t-elle, n'est tombé en disgrâce qu'à l'époque où l'on a commencé à prendre ses distances avec les pratiques traditionnelles. Avant cela, les humains l'ont pratiqué pendant des dizaines de milliers d'années, tout comme nos ancêtres. L'idée que les parents devraient «revenir à l'éducation instinctive de nos ancêtres» est le fondement de l'attachement parent-enfant, une théorie controversée que Bialik soutient et utilise dans son livre pour conseiller les parents sur des sujets tels que l'entraînement à la propreté, la discipline et les interventions médicales.

L'effet du tabac

Aujourd'hui, le cododo semble revenir à la mode –et selon les études scientifiques sur le sujet, le contexte dans lequel les parents le pratiquent, et les choix qu'ils font en amont, sont déterminants sur le plan de la sécurité.

Les mères qui fument, par exemple, ne doivent jamais dormir avec leurs bébés. Les auteurs de la méta-analyse de 2012 ont constaté que les bébés de mères fumeuses pratiquant le cododo risquaient 6,27 fois plus de mourir du SMSN que les bébés de mères non-fumeuses dormant dans un berceau.

Toutefois, pour ce qui est des mères non-fumeuses pratiquant le cododo, leurs bébés ne risquent pas davantage de mourir que s'ils dormaient dans un berceau. Le tabagisme est-il le seul coupable ou la combinaison cigarettes-cododo aggrave-t-elle le problème? Une étude de 2009 publiée dans le British Medical Journal souligne que mélanger les comportements a bien un effet négatif.

Ce n'est pas forcément que ces parents allument leurs cigarettes dans leur lit et brûlent leurs bébés ou les étouffent avec la fumée. Certains experts estiment plutôt que les polluants et toxines auxquels ces bébés ont été exposés durant la grossesse les prédisposent au SMSN. Le tabagisme de la mère peut avoir une incidence sur le développement du cerveau du fœtus et, au final, empêcher ces bébés de pouvoir se réveiller quand un oreiller ou un drap leur couvre le visage ou quand ils ont trop chaud.

Les parents qui se droguent ou consomment de l'alcool exposent également leurs bébés à un risque accru de SMSN s'ils dorment à côté d'eux au lieu de les mettre dans un berceau. Ils risquent en effet davantage de les étouffer par accident et sont moins à même de répondre à leurs pleurs ou leur agitation si cela se produit.

Les effets de l'alcool

Bien que la fréquence de la consommation de drogue et d'alcool chez les parents pratiquant le cododo ne soit pas connue, les parents toxicomanes sont davantage susceptibles de dormir avec leurs enfants parce qu'ils n'ont pas les moyens d'acheter un berceau ou qu'ils s'évanouissent à côté de leur bébé.

La consommation d'alcool chez les parents peut aussi constituer un facteur de risque de SMSN, même sans pratiquer le cododo: selon une étude de 2010, les cas de SMSN ont tendance à augmenter autour du Jour de l'An. Dormir avec son bébé quand on est ivre semble particulièrement dangereux.

L'endroit où les parents et le bébé dorment, quel type de couchage ils utilisent et les autres personnes qui dorment éventuellement avec eux peut également faire la différence. Dans l'étude de 2009 de la British Medical Journal, un sixième des bébés morts du SMSN dormaient à côté d'un de leurs parents sur un canapé, ce que les experts considèrent comme particulièrement dangereux; l'espace y est restreint et les bébés peuvent plus facilement s'étouffer ou se retrouver coincés contre les accoudoirs ou le dos du canapé.

De plus, les bébés qui dorment sur des matelas mous et avec des oreillers ou des édredons risquent davantage de mourir que les bébés dormant sur des matelas durs, sans oreillers ou couvertures. Cela peut expliquer pourquoi le Japon, où les futons sont répandus, a un faible taux de SMSN malgré la pratique répandue du cododo.

Enfin, quand les parents dorment avec leur bébé et d'autres enfants, le risque de SMSN est multiplié par plus de cinq, selon une étude de 2003 menée à Chicago. L'âge est également un facteur important : les bébés de moins de 12 semaines risquent davantage de mourir du SMSN lors de cododo que les bébés plus âgés.

Une longue étude à venir

Il faut souligner que la plupart des études sur le cododo n'ont examiné que la catégorie générique des décès par SMSN, qui concerne tous les bébés décédés subitement et de manière inattendue pour des raisons inconnues. Si beaucoup d'entre eux sont morts étouffés ou de chaud (parmi les deux causes les plus probables de décès lors de cododo), d'autres ont pu mourir pour d'autres raisons. (Entre 5 et 10 pourcent des cas de SMSN ont lieu sans aucun facteur de risque apparent – le bébé est retrouvé sur le dos, sans oreillers ou couvertures, et a simplement cessé de respirer).

Mais on pourrait disposer bientôt d'informations plus précises. En 1996, les Centres américains de contrôle et de prévention des maladies ont publié un protocole concernant les enquêtes sur les lieux de décès des nourrissons, afin de mieux comprendre les facteurs et les circonstances lors de décès inattendus de nourrissons. Depuis, le nombre de décès de nourrissons lors de cododo dus à un étouffement a été multiplié par quatre et le nombre de décès lors de cododo généralement considérés comme un SMSN a chuté en conséquence.

Certains rapports (notamment un article publié sur Slate en 2009) ont souligné que le nombre croissant de décès de nourrissons dus à un étouffement pouvait être la preuve que les décès liés au cododo augmentaient, mais cette hausse n'est peut-être que le résultat du nouveau système.

Les parents doivent-ils dormir ou non avec bébé? Du point de vue de la santé publique, la réponse est clairement non –en général, les bébés risquent davantage de mourir quand leurs parents dorment à côté d'eux.

Le site Internet de l'Académie américaine de pédiatrie, healthychildren.org, recommande de faire dormir les bébés «dans la même pièce que les parents, mais pas dans le même lit».

Et pour les parents qui finissent par céder par fatigue?

Mais si les parents ne fument pas, ne boivent pas ou ne se droguent pas, et s'ils dorment sur un matelas dur et tiennent les oreillers, les couvertures et leurs autres enfants à l'écart de leurs bébés? Certaines études soulignent des avantages à la pratique du co-dodo. Les mères semblent se réveiller et allaiter plus souvent quand elles dorment avec leurs bébés et il a été prouvé que le peau à peau entre la mère et son bébé améliorait la santé de ce dernier, notamment chez les prématurés.

Mais il est impossible de dire avec certitude si cette pratique est 100% sans danger. De nombreuses variables sont en jeu et les scientifiques n'ont jamais mené d'étude aléatoire, contrôlée, pour trouver la réponse. (Les chercheurs qui considèrent que le cododo est dangereux par nature ne le feront jamais, pour des raisons d'éthique).

Cependant, certains médecins et parents considèrent que les recommandations contre le cododo de l'Académie américaine de pédiatrie sont irréalistes. Même si les parents n'ont pas l'intention de dormir avec leur bébé, de nombreux finissent par le faire –notamment les mères épuisées, qui dorment avec leur bébé pour l'allaiter plusieurs fois dans la nuit. (Il m'est arrivé à plusieurs reprises de m'endormir sans le vouloir en allaitant mon fils de 10 mois, avant de me réveiller en panique et de vérifier qu'il respirait bien.)

Et je ne peux m'empêcher de penser que la décision de Bialik de dormir avec ses fils a été prise en partie par commodité: son fils aîné se réveillait toutes les deux heures jusqu'à ses 2 ans et il est bien plus facile de s'occuper d'un bébé qui pleure quand il est à côté de vous).

D'autres parents dorment avec leur bébé car ils n'ont pas les moyens de se payer un berceau – le cododo est plus courant chez les familles à faible revenu – et de nombreuses mamans dorment sans doute à côté de leurs bébés car elles sont convaincues que cela les aide à se réveiller quand ils ont besoin d'elles, à les allaiter et à réguler la température de leur corps.

Les risques encourus quand le cododo n'est pas pratiqué avec prudence l'emportent évidemment sur tous ces avantages. Il est surprenant que Bialik –qui affiche son doctorat à côté de son nom sur la couverture de son livre– n'évoque pas ce qu'il faut faire et ne pas faire en matière de cododo dans son chapitre consacré au sommeil.

Un encadré à côté du texte principal souligne qu'il «faut dormir avec son enfant uniquement si l'on comprend et suit les recommandations pour pratiquer le cododo sans danger», et la partie «Ressources» au dos du livre cite plusieurs ouvrages, articles et produits liés à cette pratique.

Toutefois, étant donné que Bialik encourage ses lecteurs à dormir à côté de leurs bébés, elle devrait également énoncer clairement les risques encourus et donner des principes directeurs pour pratiquer le cododo sans danger. Son message semble être: faîtes ce que vous voulez en tant que parent, et non pas ce qu'on vous dit – même quand les personnes à l'origine des recommandations sont des scientifiques comme elle.

Melinda Wenner Moyer

Traduit par Charlotte Laigle

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