Et si la tenue du congrès de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), du vendredi 6 au lundi 9 avril au Bourget (Seine-Saint-Denis), était de nature à favoriser la candidature du président sortant Nicolas Sarkozy?
Dans le climat anxiogène provoqué par les attentats de Toulouse et Montauban, le simple intitulé de cette association religieuse, une vieille dame bientôt trentenaire, présentée parfois comme une succursale des Frères musulmans, peut affoler plus d’un et profiter au «régalien», expression en vogue ces jours-ci. Toutefois, ce serait oublier le rôle actif de celui qui n’était encore que ministre de l’Intérieur dans la mise sur orbite de cette «confrérie» française.
Au siège de l’UOIF, à La Courneuve, on dit ne pas craindre, cette année, une baisse de la fréquentation. «Au contraire, avec tout ce qu’on entend en ce moment sur les musulmans, il y aura peut-être un effet de curiosité», avance-t-on au service de presse. «Nous attendons entre 100.000 et 150.000 visiteurs.» L’édition 2011 en avait attiré 100.000.
Malaise réel
Cette belle confiance masque un malaise bien réel: six religieux étrangers, dont le décrié cheikh qatari Youssef al-Qardaoui, 85 ans, qui devaient prendre la parole à la 29e Rencontre annuelle des musulmans de France organisée par l’UOIF ne le pourront pas, le gouvernement les ayant interdits d’entrée sur le territoire français. Par ailleurs, les opérations de police menées dans les milieux islamistes, le 30 mars et dans la nuit du 3 au 4 avril, rassurent l’opinion publique autant qu’elles entretiennent la tension. Curiosité, peut-être, sérénité, probablement pas.
Membre du bureau exécutif de l’UOIF, le Lillois Amar Lasfar justifie l’invitation faite à Youssef al-Qardaoui, prêcheur vedette de la chaîne qatarie al-Jazeera, auteur de propos enflammés contre Israël et les juifs:
«Lui comme les cinq autres conférenciers étrangers qui devaient intervenir lors notre congrès sont des références pour les musulmans du monde entier.»
Le 28 janvier 2009, le cheikh qatari avait déclaré sur Al-Jazeera, ainsi que l’ont relevé plusieurs sources:
«Tout au long de son histoire, Allah a imposé aux [juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait –et bien qu’ils [les juifs] aient exagéré les faits–, il a réussi à les remettre à leur place. C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans.»
«Un savant a le droit de déraper»
Le rappel de cette saillie, dans le contexte du quadruple meurtre antisémite perpétré le 19 mars à Toulouse par Mohamed Merah, embarrasse l’UOIF. «Si jamais Youssef al-Qardaoui avait dit cela à la tribune du Bourget, nous serions intervenus immédiatement pour l’interrompre et lui signifier que nous ne nous reconnaissons pas dans ses propos», affirme Amar Lasfar.
Il n’empêche, l’UOIF, qui l’avait déjà convié à sa Rencontre annuelle en 2000, l’a sollicité pour le présent congrès alors qu’elle avait connaissance de cette diatribe anti-juive. « Mais un savant a le droit de déraper. On peut l’inviter pour autre chose», se défend le membre du bureau exécutif.
L’ambiance dans laquelle s’ouvre le congrès de l’UOIF est pour le moins amère, Amar Lasfar en convient:
«Nous ne pouvons pas faire abstraction que nous avons vécu un drame [à Toulouse et Montauban, NDLR]. De notre côté, nous nous sommes toujours inscrits dans un islam orthodoxe respectueux des institutions de la République.»
Affichant une proximité avec les Frères musulmans, courant idéologique dont Tariq Ramadan, annoncé au Bourget, passe pour être l’héritier exerçant son droit d’inventaire, l’UOIF apparaît comme l’organisation la mieux structurée de l’«islam de France» et la plus légitime aux yeux de nombreux Français musulmans. Elle assure vivre de ses propres ressources –produit des cotisations de ses membres et des locations payées par les exposants présents à son congrès du Bourget–, sans soutien étranger.
Anémie du CFCM
Son apparente vitalité tranche avec l’anémie dont semble atteinte l’instance faîtière, le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 par Nicolas Sarkozy, dont l’UOIF s’est retirée en juin dernier. Alors qu’il y a toujours du monde pour répondre au téléphone au siège courneuvien, les appels passés au CFCM échouent le plus souvent sur une messagerie saturée. Dans l’actuel climat de crise, le Conseil a certes le mérite d’exister, mais qu’en reste-t-il?
Etabli sur les bases de représentations communautaires adossées aux pays d’origine (Maroc, Algérie, Tunisie et Turquie), le nombre des délégués de chacune d’elles obéissant à un étrange calcul de la surface des mosquées, le CFCM n’a pas répondu aux attentes placées en lui. «Il a échoué dans ses missions: la formation des imams, inexistante, et le financement des mosquées, qui reste encore beaucoup trop tributaire d’Etats étrangers», observe Farid Hannache, ancien conseiller du recteur de la mosquée de Drancy Hassen Chalghoumi, avec lequel il a écrit Pour l’islam de France (Le Cherche Midi, 2010), mais dont il s’est éloigné depuis. «Le CFCM, précise Farid Hannache, est dominé aujourd’hui à plus de 90% par les "Marocains"», le Franco-marocain Mohammed Moussaoui, professeur de mathématiques à l’Université d’Avignon, en étant le président.
Des luttes intestines, dues à des batailles d’égos et à des divergences sur la «ligne», ont eu raison de son unité de façade. La Mosquée de Paris et son chef Dalil Boubakeur, représentant «l’Algérie», ne sont plus là. L’UOIF, elle, a fait défection, jugeant trop étroits, dignes de la Coloniale, les liens du CFCM avec le pouvoir politique.
Ces divisions appellent de l’avis général une réforme du Conseil, plusieurs fois envisagée, jamais mise en œuvre. Mais une réforme pour quoi faire? L’UOIF dit souhaiter une structure plus légère, sous la forme d’une «coordination», où «chacun aurait droit à la parole». La Mosquée de Paris plaide pour une refonte du mode électoral, s’estimant lésée par le système actuel. L’Etat, quant à lui, se dit lassé de jouer l’arbitre des élégances.
Pas de «plus jamais ça» après Toulouse
Après les tragédies de Toulouse et de Montauban, d’aucuns espéraient que les représentants des musulmans de France manifesteraient ensemble dans la rue pour dire «Plus jamais ça». Espérance déçue puisque la manifestation prévue à la mi-avril à Paris, au lieu de rassembler les rangs, les divise. L’UOIF fait valoir des zones d’ombre dans les attentats perpétrés par Mohamed Merah, «même si ce n’est pas l’heure d’en parler».
Et puis, l’organisation, jugée «islamiste» par ses adversaires, autrement dit non modérée, n’y est pas invitée. Le président du CFCM craint, pour sa part, la «récupération politique» d’une telle marche. La Mosquée de Paris n’aurait pas encore donné sa réponse.
L’instigateur officiel de cette manifestation est l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, engagé de longue date dans le dialogue interconfessionnel, en particulier avec la communauté juive. Ses détracteurs le soupçonnent de vouloir s’enfoncer dans la brèche émotionnelle provoquée par les récents attentats pour asseoir la Conférence des imams de France, qu’il préside, dans le paysage musulman hexagonal.
Cette instance revendique un nombre de 80 imams; c'est une coquille vide, prétendent d’autres. Hassen Chalghoumi rappelle à ceux qui l’accusent d’être le «valet» de Nicolas Sarkozy et du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qu’il était bien seul, abandonné des pouvoirs publics, lorsque des islamistes radicaux voulaient le chasser de sa mosquée, en 2009 et 2010.
L’ambiance est vraiment amère.
Antoine Menusier