Il est un peu bizarre Crésus. Non pas le souverain de Lydie célèbre pour ses richesses qui régna au sixième siècle avant Jésus Christ, mais l'auteur anonyme qui lui a emprunté son nom pour signer «Confessions d'un banquier pourri». Publié en mars dernier, ce livre est une violente dénonciation des pratiques qui font fureur dans les banques depuis plus de vingt ans.
Dès le prologue Crésus se présente, comme un homme du sérail, «l'un des membres du directoire d'une des plus grandes banques françaises», viré pas son président quelques mois auparavant qui a voulu lui faire porter le chapeau de la descente aux enfers de La Banque, ainsi baptisée dans le livre. Un établissement, comme beaucoup d'autres, qui s'est auto-sabordé par des investissements hasardeux et un laxisme ébouriffant dans le contrôle des risques. Crésus décide de parler, par besoin de vengeance dit-il, mais aussi «pour démasquer la suffisance du milieu», dénoncer l'incompétence des PDG voire leur corruption. Voilà qui de quoi faire saliver le lecteur alors que l'extravagance des banques et leur course effrénée à la rentabilité ont provoqué le chaos financier et économique que l'on connaît.
Dans la suite de l'ouvrage Crésus honore ses promesses. Tout y passe. A commencer par lui, qui a croqué de tout et s'est délecté des montages financiers sulfureux, des produits financiers toxiques, des investissements hasardeux. Avec une seule obsession faire gagner le plus d'argent possible à La Banque pour en gagner lui-même toujours plus. Crésus émaille son récit des pratiques en cours dans les banques : résultats annuels arrêtés au doigt mouillé pour éviter de constituer de trop grosses provisions, tours de passe-passe pour faire supporter par les clients la prise de risque incontrôlée, transformations de créances pourries en produits complexes vendus avec des marges très confortables.
Et au milieu de tout cela, les traders obsédés à ce point par l'argent que deux d'entre eux montent un système avec des transactions fictives pour se remplir des poches. Au travers de ces mœurs financières avilies, Crésus retrace les évènements qui ont conduit à la faillite de la banque d'investissement américaine Lehman Brothers le 15 septembre 2008. C'est en se délectant sexuellement avec une pute de luxe très jet-set que Crésus apprend bien avant tout le monde l'impensable : le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, a décidé de laisser tomber Lehman quelles qu'en soient les conséquences. Un sultan l'a confié à la demoiselle au cours d'un rendez-vous coquin.
A mesure que le drame financier se noue, Crésus sent que le vent tourne et s'introduit dans le système informatique de la banque pour récupérer frauduleusement 317 millions d'euros. Il réussit son coup et tire sa révérence avec une conclusion sans appel sur les banquiers : «(....) ils pensent que le festin va bientôt reprendre. Personne ne souhaite renoncer à l'autorégulation. D'ailleurs l'opacité représente pour eux à la fois un réflexe et un mode de vie ».
Les dénonciations de Crésus collent à l'air du temps et aux comportements de voyous que la crise a révélés. Pour donner à son récit la force du témoignage vécu, Crésus fait intervenir des personnages bien réels, tels que l'économiste Patrick Artus, l'ancien patron de la banque de financement et d'investissement de la Société Générale, Jean-Pierre Mustier, et l'ancien directeur du Trésor aujourd'hui reconverti à l'Elysée , Xavier Muscat. Mais pour qui connaît l'histoire des banques françaises, il semble que Crésus a reconstitué l'histoire de La Banque en s'inspirant d'évènements qui se sont déroulés dans plusieurs établissements.
La cohérence de ses confessions s'amenuise alors que l'on s'attendait à un témoignage vérité. Ainsi les deux traders qui veulent s'enrichir au détriment de La Banque travaillent dans le département «Delta Force One». On se sent alors propulsé à la Société Générale. Le trader Jérôme Kerviel qui a fait perdre, en janvier 2008, 4,9 milliards d'euros à sa banque en prenant notamment des positions fictives sur les marchés, travaillait au département d'arbitrage Delta One. Mais quelques pages plus loin, Crésus raconte que La Banque a été contrainte de fermer temporairement trois fonds d'investissement au cours de l'été 2007. On s'imagine alors chez BNP Paribas qui a bel et bien suspendu les demandes de rachats de parts d'investisseurs au début du mois d'août de cette même année.
L'auteur de «Confessions d'un banquier pourri» ne pouvait œuvrer à la fois à la Soc Gen et chez BNP Paribas. Pour démontrer que les banques sont des broyeuses humaines, le numéro deux de La Banque emprunte aussi un évènement à Paribas, dont le responsable de la filiale gestion de patrimoine de droit helvétique s'est suicidé en 1980 après une descente des douanes. Il s'agissait du frère de Jean Boissonnat, fondateur du magazine L'Expansion.
Au fil des pages La Banque devient un agrégat de plusieurs banques françaises. Crésus a-t-il trouvé ce filon pour brouiller les pistes? Mais il aurait pu se douter que certains lecteurs relèveraient cet amalgame et viennent à douter du parcours qu'il se donne. Il est déjà difficile d'accepter sans broncher les dénonciations anonymes, une pratique qui sent le soufre depuis longtemps déjà. Quitte à mettre les pieds dans le plat pourquoi ne pas le faire à visage découvert et sur une véritable histoire? Crésus met le doigt là où cela fait mal mais il s'y est pris d'une drôle de façon.
Dominique Mariette
(Photo: Un acteur devant la Bank of England à Londres, REUTERS/Luke MacGregor)