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Jacques Chirac n'a pas toujours été sympa. En tout cas, aux yeux de la population. Pendant longtemps, le Corrézien a dû lutter avec son image d’homme agité, austère et coincé. Alors, ses équipes ont tout tenté: enlever les lunettes, retoucher des affiches 4x3, lui faire parler de pommes...
Aujourd’hui, Chirac, dans l’esprit populaire, c’est «Je vais prendre un bain de foule, m’arrêter sur un enfant devant moi, devant un agriculteur, une grand-mère ou une vache…», explique le spécialiste de la communication non-verbale Eric Goulard. «Et ça sentait le naturel!» Un naturel péniblement atteint en 1995.
Années 1960-1990: trop sinistre pour être président
Dès qu’on lui demandait de se montrer homme d’Etat, Chirac voulait apparaître comme un homme dynamique et volontaire, explique le professeur d’histoire contemporaine à l’UVSQ Christian Delporte. Il finissait «figé, rigide», et «lorsqu’il parl[ait] de la France, le fai[sait] avec une rigueur qui confin[ait] à l’austérité». A côté de cela, Chirac souffrait également d’une image d’agité, d’homme trop pressé… Pour preuve son personnage hystérique dans le Bébête Show, «Black Jack», créé en 1982.
Christian Delporte est catégorique:
«Le problème de Chirac, c’était son image. Il a donc joué dans le registre opposé.»
Les campagnes de communication de Chirac des années 1980 et 1990 se sont donc appliquées à présenter un personnage souriant, décontracté, apaisé. Responsable mais humain. Un fort contraste avec la gravité sinistre de précédentes affiches, comme celles de 1981.
1988: mais pourquoi est-il si bronzé?
Fin des années 1980, Jacques Chirac décide de confier son image à des publicitaires. Il n'y comprend pas grand-chose, il n'aime pas se faire prendre en photo, alors il délègue. A l’époque, personne ne cherche à le rendre «sympa». Non, l’idée c’est de le décoincer mais surtout de le crédibiliser.
Il travaille pour la première fois en 1978 avec le duo de publicitaires Jean-Michel Goudard (un collègue de Jacques Séguéla) et Bernard Brochand (l’actuel député-maire de Cannes). Si, en 1981, le leader du RPR change d’équipe, il revient vers Goudard-Brochand en 1986 pour les législatives. Résultat: «Vivement demain avec le RPR», la première campagne de teasing politique, avec notamment une série d’affiches mettant en scène une petite fille dans les bras de Jacques Chirac.
Deux ans plus tard, ce sera à nouveau une série d’affiches qui sera placardée dans les rues. Quelques photos, beaucoup de retouches et voilà la campagne «Oui c’est Chirac!». «Nous avions été contacté au dernier moment», se souvient Brochand.
Contre Mitterrand, la stratégie adoptée était de faire campagne sur la personne même de Chirac. Il fallait montrer ses qualités personnelles, accentuer celles de présidentiable. «Les qualités sur les affiches, étaient des qualités qu’on lui connaissait. On confirmait qu’il écoutait, qu’il pouvait gérer…», explique Brochand.
On notera qu’aucune affiche ne porte pour slogan «Il aime manger». A l’époque, un président n’est pas sympa, il est crédible. «Chirac son problème c’était justement qu’il était toujours proche des gens, toujours en train de leur parler, au bistrot du coin…», soupire Brochand.
Plus de vingt ans après, le calme serein que devait inspirer la campagne «Oui c’est Chirac!» est toujours perceptible. Stephan Bunard, spécialiste de la communication non-verbale, résume ainsi cette série d’affiches:
«Chirac est plein de choses, mais avant tout: il est calme.»
Pour lui, Chirac n’a jamais abandonné une certaine rectitude, tout en pensant que pour augmenter son pouvoir de conviction, il fallait amplifier les gestes et les mimiques. Une histoire de génération.
Ses expressions typiques, c’est aussi ce qui fait partie du style Chirac. «C’est quelqu’un qui savait bien communiquer, résume le synergologue Eric Goulard, il savait faire parce qu’il a appris à faire. Avant de développer son propre style.»
Chirac, docteur ès pommes
Mais même une fois le style trouvé, il a fallu l’imposer. Sans trop d’à-coups. Dans le cas de l’affiche de 1988, le décalage entre le Chirac-coincé de l’époque et le Chirac-décontracté des affiches «Oui c’est Chirac!» a été jugé trop important.
Après la parution des affiches, le photographe Jean-Daniel Lorieux a reçu une note:
«Bravo pour vos images de notre Premier ministre, en espérant qu'il garde le même sourire jusqu'au second tour.»
Signé: François Mitterrand.
Le président
socialiste n'a pas été le seul perturbé. Le public aussi. Ainsi, rappelle
Christian Delporte, les affiches «Club Med» aux couleurs chaudes ont vite donné
lieu à des détournements. Le passage de Chirac l’agité à Chirac le calme n’a
pas séduit, et le PS s’est empressé d’afficher des «Il arnaque: oui c’est
Chirac!» ou encore «Jacques le menteur: oui c’est Chirac!»
Il faudra attendre 1995 pour que Chirac séduise le public. Le Chirac des pommes, repris par les Guignols. A l’époque, son livre sur la fracture sociale porte un arbre fruitier sur la couverture. Interrogé par Chirac, Bernard Brochand répond: «Oh, ça doit être des oranges ou des pommes.» Parfait, répond le candidat. Et d’enchaîner, pendant une heure, sur les pommes.
«Je n’ai jamais vu quelqu’un qui avait une telle connaissance de la pomme, se rappelle Brochand. C’est devenu un symbole extraordinaire. Mais pas un fake. Une vraie réalité.»
Interrogé bien des années après par l’AFP sur l’influence des Guignols, Chirac avait répondu:
«J’espère que c’est aussi pour d’autres raisons que j’ai été élu!»
En tout cas, cette image lui colle depuis à la peau. En juin 2011, un sondage Paris Match–Ifop révélait que l’ancien président, si critiqué pendant ses mandats, recueillait encore 76% de bonnes opinions.
Maya-Anaïs Yataghène
Remerciements aux spécialistes du comportement non-verbal Stephan Bunard, Romain Collignon et Eric Goulard pour leur analyse des photos de campagne.