Eva Joly est sortie de l’hôpital lundi 2 avril au soir, mais sa chute a fait brièvement frémir la République, car la Constitution prévoit la possibilité de reporter la présidentielle en cas de décès ou d’«empêchement» d’un candidat.
Mais cette seconde notion, qui recouvre les cas où un candidat ne pourrait terminer sa campagne (maladie ou accident grave, par exemple), reste imprécise. Pour Michel Lascombe, professeur de droit constitutionnel à l’IEP de Lille, l’article 7 de la Constitution, modifié en 1976 à la suite desrecommandations du Conseil constitutionnel pour détailler ce qu’il faut faire en cas de difficultés pour un candidat, reste flou sur ses modalités d'application.
«On ne sait pas trop comment se déroule la procédure puisque ça ne s’est jamais passé», avoue-t-on du côté du Conseil. Pas de dispositif spécial ou de personnes chargées de suivre de près un candidat dont l’état de santé serait préoccupant, par exemple. Pas de règle non plus sur les documents à produire ou les preuves à apporter pour attester d’un empêchement.
Que se passe-t-il en cas de décès ou d'«empêchement»?
Il existe trois cas de figure. Le Conseil constitutionnel peut, sans y être forcé, choisir de reporter le scrutin si les faits ont lieu dans les sept jours avant le dépôt des signatures. S’ils se déroulent entre l'officialisation des noms des candidats admis à concourir et le premier tour, les Sages sont en revanche obligés de décaler l’élection. Enfin, si c’est l’un des deux candidats présents au second tour qui est concerné, le processus électoral doit entièrement recommencer à zéro.
Tout cela laisse en revanche au Conseil constitutionnel le soin de juger ce qui constitue un empêchement. «Il faut que le texte soit le plus souple possible pour laisser aux juges la possibilité de l’interpréter», détaille Michel Lascombe. En clair, c’est délibérément qu’un terme imprécis a été choisi.
Qui peut saisir le Conseil d'un cas d'«empêchement»?
Ceux qui peuvent le saisir d’une loi (article 61 de la Constitution) ou présenter un candidat à la présidentielle (article 6). Peuvent donc en théorie agir le président de la République, le Premier ministre, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, 60 députés, 60 sénateurs ou… 500 élus pouvant parrainer un candidat à la présidentielle.
Pour Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à l'IEP de Bordeaux, ces conditions de saisine restent théoriques. «Si Marine Le Pen était victime d’un empêchement, Nicolas Sarkozy ou François Fillon iraient-ils vraiment saisir le Conseil constitutionnel?», s’interroge-t-il. La question avait déjà été soulevée en 1976, les parlementaires s'inquiétant qu'un président-candidat ou un Premier ministre-candidat puisse ainsi saisir le Conseil...
Les Sages pourraient donc décider de s’autosaisir, profitant d’une part du fait que personne ne connaît vraiment les modalités d’application de l’article 7, et invoquant d’autre part leur mission première inscrite à l’article 58: «Veiller à la régularité de l’élection du président de la République.» «On ne fait pas de politique», réplique-t-on au Conseil, pour qui la possibilité d’une auto-saisine semble exclue.
Combien de temps peut durer le report?
Là encore, les juges de la rue de Montpensier ont les mains libres, l’élection présidentielle pouvant être reportée jusqu’à 35 jours (cinq semaines) après sa date initiale.
Le délai accordé pourrait être indexé sur l’importance relative du candidat concerné, selon le constitutionnaliste Guy Carcassonne —une semaine seulement en cas d'empêchement de Jacques Cheminade, cinq semaines si cela concernait Nicolas Sarkozy. Pour Pascal Jan, choisir le délai maximum serait cependant «plus logique, le Conseil constitutionnel n’ayant pas à trancher pour les petits ou les gros candidats».
Le problème se pose-t-il pour d'autres élections?
La présidentielle est l’élection pour laquelle un décès ou un «empêchement» pose le plus de problèmes, car chaque candidat se présente sur son nom seul et sans suppléant, contrairement aux autres élections françaises. Aux législatives ou aux sénatoriales, si un candidat meurt ou doit se retirer, son suppléant le remplace immédiatement: ainsi, lors des législatives de 1978, un député du Doubs, André Boulloche, s’était tué en avion entre les deux tours et son suppléant avait été élu au second tour. Aux régionales, un candidat décédé reste sur la liste (c’est arrivé à un candidat NPA en Charente-Maritime en 2010) mais s’il est élu, le suivant sur la liste récupère le siège.
Là aussi, pourtant, le Code électoral ne prévoit pas tout: en 2002, un candidat aux législatives en Polynésie et sa suppléante avaient disparu dans un accident d’avion juste avant le premier tour, sans être alors officiellement prononcés morts, le code de l'aviation civile ne le permettant pas. Saisi par le gouvernement, le Conseil d’Etat avait décidé de ne pas reporter l’élection ni enlever les bulletins à leurs noms, et les deux candidats disparus avaient recueilli 25% des voix.
Olivier Clairouin
Article actualisé le 3 avril 2012 à 18h avec les commentaires du Conseil constitutionnel.
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