France / Politique

Justice: François Hollande mise sur les fondamentaux de la gauche

Temps de lecture : 8 min

L'articulation de la prévention et de la réinsertion avec le temps judiciaire et la restauration de la «République irréprochable» sont au coeur de son programme.

François Hollande et son «M. Justice» André Vallini. REUTERS/Robert Pratta.
François Hollande et son «M. Justice» André Vallini. REUTERS/Robert Pratta.

«Je veux rétablir la justice.» Ce titre de chapitre ambitieux du programme présidentiel de François Hollande semble résumer l’ambition d’un candidat décidé à ne pas se détourner de Thémis. Parmi les soixante mesures phares du présidentiable, près de vingt propositions traitent de la justice. Ou semblent en traiter, car il est en fait majoritairement question de réformes pour une justice fiscale, pour un accès plus juste à la santé, au logement ou au travail. Nulle mention de l’institution ou du système judiciaire.

Pour voir sa curiosité étanchée, il faut poursuivre la lecture. Quelques trouvailles à mesure que l’on avance dans le texte: le désir de «porter la durée d’inéligibilité des élus condamnés pour faits de corruption à dix ans» (n°49) ou la promesse de «renforcer la loi sur la protection des sources» pour les journalistes (n°51). Seul le lecteur qui ne mollit pas voit sa persévérance récompensée en positions 52 et 53.

La hiérarchie ne joue pas forcément en leur faveur mais ces deux propositions à tiroir condensent à la fois des mesures sécuritaires, organisationnelles, pénales et institutionnelles, compriment une dizaine de réformes. D’ailleurs, le programme de François Hollande en matière de justice peut se résumer en trois principes fondateurs: «La justice doit être accessible à tous. La justice doit être efficace. La justice doit être indépendante», expliquait-il lors du débat sur la justice organisé par le club Droits, Justice et Sécurités au théâtre Dejazet, le 6 février. Dans un contexte où elle est, selon lui, «déconsidérée», il appartient au prétendant à l’Elysée de restaurer son panache. Panorama des principaux engagements.

1. L’augmentation des moyens financiers et humains

Avec 0,19% de son PIB consacré à la justice, soit 7,128 milliards en 2011, la France prend tristement le 37ème rang européen. Ses voisins investissent environ le double: 0,38% pour l'Allemagne, 0,36% pour l'Espagne, 0,43% pour le Royaume-Uni et 0,52% pour la Pologne.

Contrairement à Ségolène Royal qui, pour la présidentielle 2007, s’était carrément engagée à doubler le budget de la justice, François Hollande ne se risque pas à avancer des chiffres. Il promet plutôt des hommes: chaque année, et pendant cinq ans, plus de 1.000 postes supplémentaires seront créés pour la justice, la police et la gendarmerie.

Seule inconnue: combien parmi eux seront affectés à la justice? «La proportion la plus élevée possible», répond André Vallini, sénateur PS de l'Isère et responsable du pôle justice dans l'équipe de campagne de François Hollande. «La priorité sera de créer des postes supplémentaires de greffiers ainsi que pour la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) et les SPIP (services pénitentiaires d’insertion et de probation). Cela montre la volonté de François Hollande d’agir d'agir en amont, afin de prévenir la délinquance, et en aval, afin de favoriser la réinsertion.» Il faudra tout de même se résoudre à sortir les calculatrices et engager la conversation sur le désagréable terrain du portefeuille.

2. La multiplication des centres éducatifs fermés

François Hollande entend doubler le nombre de centres éducatifs fermés (CEF) pour mineurs condamnés «en les portant à 80 durant le quinquennat». Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui dira —ou fera— le contraire. «Sauf que Nicolas Sarkozy diminue les moyens accordés aux CEF. C’est de la gribouille», dénonce André Vallini. «Nous voulons maintenir un encadrement de deux adultes par enfant.»

Marotte de la gauche comme de la droite, les CEF, créés par la loi Perben de 2002, sont considérés comme une mesure clé pour lutter contre la délinquance. Ils sont présentés comme une «alternative à la prison» et on y place les mineurs délinquants pour six mois ou un an. Pourtant, chez les professionnels, ces établissements ne suscitent pas le même engouement qu’en politique. «Il existe des carences dans la prise en charge éducative des enfants», dénonce un rapport du contrôleur des prisons récemment évoqué dans Libération.

Difficile d’expliquer pourquoi ce dispositif, décrié lors de sa création, est aujourd’hui à ce point plébiscité alors même que les spécialistes insistent sur ses lacunes. En attendant, André Vallini souligne des évolutions possibles:

«Il faudra sans doute spécialiser les CEF: certains accueilleraient des mineurs délinquants sexuels, d’autres des mineurs violents, etc.»

3. Des réformes pour renforcer l’indépendance de la justice et des magistrats

Dans cette optique, le candidat socialiste veut revoir «les règles de nomination et de déroulement de carrière». Pas plus de précisions dans son programme. On le devine, ce sont les procureurs qui se trouvent dans sa ligne de mire. «Le parquet est aujourd'hui sur la sellette, comme l'était le juge d'instruction il y a quelques années. Il est monté en puissance face au siège, en même temps que le pouvoir augmentait sa pression sur lui», confirmait André Vallini lors d’une rencontre à Lyon le 2 février dernier.

Dans le système actuel, c’est le pouvoir exécutif qui propose les candidats et décide en dernier ressort après un avis consultatif du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). L’idée de François Hollande serait de soumettre les nominations à un avis «conforme», donc contraignant, du CSM.

Dans la foulée, François Hollande souhaite également réformer le CSM afin qu’il soit «doté de vrai moyens et de compétences élargies» et «composé à parité de magistrats et non-magistrats», selon ses déclarations du 6 février au théâtre Dejazet. L’idée, une fois encore, s’inscrit pleinement dans la ligne de la gauche et figurait déjà dans le programme de Ségolène Royal lors de l’élection présidentielle de 2007. «La réforme concernant l'indépendance de la justice remonte même à Lionel Jospin. Elle fait partie du corpus de la gauche depuis quinze ans!», insiste André Vallini.

4. Organisation: une juridiction unique de première instance

C’est peut-être l’idée la plus originale de l’équipe de François Hollande... mais elle ne figure pas explicitement dans son programme. Elle se cache en effet derrière une volonté de renforcer l’accès «à la justice de proximité». Il s’agirait de créer une unique juridiction de première instance regroupant les actuels tribunaux d’instance et tribunaux de grande instance dans le cadre de «tribunaux de première instance», composés de chambres spécialisées.

«Cette justice des oubliés, des humbles, des accidentés de la vie, cette justice du travail, de l’aide sociale, du handicap, des pensions, des allocations familiales —qui concerne chaque année environ 250.000 personnes. Ce qui affaiblit cette justice-là, c'est sa complexité, c’est son émiettement», détaillait François Hollande au théâtre Dejazet. Plus qu’un simple changement de dénomination des juridictions, cette réforme implique de revoir totalement l’organisation et la procédure civile de première instance.

Très pragmatique, ce projet consiste en une rationalisation de notre système judiciaire afin de le rendre plus compréhensible et accessible aux citoyens. Le tout demande encore à être finalisé mais reste inédit. «Si l’on y parvient, ce sera aussi révolutionnaire que la réforme de Debré en 1958», s’enthousiasme le M. Justice de François Hollande.

5. La fin des peines planchers

Les peines planchers, mesure emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy, imposent en théorie aux tribunaux de prononcer des peines de prison ferme minimales pour certains délinquants récidivistes. «Cela relève de la démagogie sécuritaire dans laquelle nous vivons», argumente André Vallini. «Nous reviendrons sur les peines planchers, qui sont non seulement contraires au principe d’individualisation des peines, mais qui en plus ne sont pas pertinentes contre la récidive», a promis François Hollande le 6 février.

Comment expliquer alors qu’une proposition aussi symbolique —qui incarne à elle seule la volonté de François Hollande de ne plus se positionner dans le répressif mais d’œuvrer pour la prévention et la réinsertion— ne figure pas en toutes lettres dans son programme? «Ce n’est pas moi qui ai signé le BAT», plaisante André Vallini.

Au lieu d’une estocade portée à la politique pénale menée par son adversaire, il est seulement question d’une vague «remise à plat de la procédure pénale». Sur le champ de bataille encore fumant de la justice pénale, François Hollande entend également redonner estime et considération aux personnels pénitentiaires et judiciaires ainsi que procéder à une simplification des lois.

6. La suppression de la Cour de justice de la République

C’est la dernière réforme annoncée: François Hollande souhaite faire voter une loi pour supprimer la Cour de justice de la République (CJR). Cette juridiction chargée de juger les ministres ayant commis une infraction dans l’exercice de leurs fonctions est souvent accusée de lenteur et de corporatisme.

A l’avenir, les membres du gouvernement éventuellement mis en examen seraient renvoyés devant un tribunal ordinaire, à l’instar de n’importe quel citoyen. Dans son discours du théâtre Dejazet, le candidat a estimé que «sa seule composition crée un doute sur son impartialité». Selon lui, «les ministres doivent être des citoyens comme les autres» et donc «soumis aux juridictions de droit commun».

Finalement, le programme du candidat socialiste témoigne d’une double ambition. D’une part, il souhaite restaurer à travers la défense de la séparation des pouvoirs l’image d’une «République irréprochable», après un quinquennat entaché par les affaires Tapie, Bettencourt, Clearstream ou Karachi, et par les craintes parfois exprimées par l’opposition, d’une justice influencée par exécutif.

Hormis cela, le candidat socialiste reste sur les fondamentaux de la gauche: la défense d’une justice non exclusivement répressive, mais prenant en compte l’avant et l’après du temps judiciaire, celui de la prévention et celui de la réinsertion. Cela sera-t-il suffisamment audible après les récents événements toulousains?

Julie Brafman

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