Ses commentaires dans la presse se résumaient généralement à une ou deux phrases dans les portraits qui lui étaient consacrés: Patrick Buisson, le discret conseiller opinion du président, à qui on attribue la stratégie de «siphonnage» des voix du FN par Nicolas Sarkozy en 2007, est sorti de sa réserve à l’occasion d’une longue interview parue dans Le Monde le 13 mars.
A rebours des tendances mesurées par les enquêtes d’opinion, ce spécialiste des sondages y livre sa conviction que Nicolas Sarkozy sera réélu le 6 mai. Interrogé par Slate.fr, Olivier Faure, le spécialiste des études d’opinion de François Hollande, lui répond point par point.
1. La participation aux deux tours
Patrick Buisson au Monde: «Le rapport de forces du second tour tel qu'il ressort actuellement des enquêtes d'opinion repose sur l'hypothèse, jamais vérifiée à ce jour dans un scrutin présidentiel, d'une abstention sensiblement plus importante au second tour qu'au premier.»
Olivier Faure ne conteste pas la hausse de participation que l’on constate généralement entre les deux tours, mais rappelle que, pour les trois dernières élections, elle n’a été que de 1,3 point en 1995 et 0,2 point en 2007. «Quant à 2002, l’abstention a beaucoup baissé en raison de la configuration très particulière du second tour, qui opposait Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen.» Il rappelle par ailleurs que, même avec un taux inchangé entre les deux tours, rien ne permettra d’affirmer que ce sont les mêmes électeurs qui se déplaceront: «Il y a toujours des gens qui ne se déplacent qu’au deuxième tour pour soutenir leur candidat.»
2. Les reports de voix
Patrick Buisson au Monde: «La plupart de ceux qui disent ne pas vouloir choisir iront voter le 6 mai. Et les réserves sont ici plutôt du côté de Nicolas Sarkozy que de François Hollande.»
Olivier Faure estime que le phénomène d’abstention d’une partie des électeurs dont le candidat a été éliminé au premier tour est réel: «En 1995, 44% des électeurs de Jean-Marie Le Pen n’ont pas voté au second tour.» Et il rappelle aussi que, dans le cadre d’un second tour, aller voter ne veut pas dire exprimer un suffrage: «La participation et le vote exprimé, ça n’est pas la même chose. Quand leur candidat n’est pas présent, les électeurs peuvent choisir de voter blanc ou nul.» En 1995 et 2007, le nombre de votes blancs et nuls avait augmenté de 1 million entre les deux tours.
«Ce que dit Patrick Buisson, si je résume, c’est “tout ce qui est à moi n’est plus à prendre, et tout ce qui n’est pas décidé sera pour moi.“», ajoute Olivier Faure. «Je pourrais vous prouver avec les mêmes arguments que François Hollande gagnera avec 60% des voix au deuxième tour, ce que je ne ferai pas car ce serait illusoire: nous ne partons pas avec l’idée que ça se finira avec 9 points de différence (comme les sondages le mesurent actuellement, NDLR)»
3. La tendance à la baisse de François Hollande
Patrick Buisson au Monde: «Depuis novembre, la courbe des intentions de vote en faveur de Hollande est orientée à la baisse.»
Pour Olivier Faure, prendre novembre comme point de départ n’est pas représentatif. Selon lui, la tendance de François Hollande est stable autour de 27-28%, avec des pics qui l’ont placé à 30% et même au-delà, correspondant à des moments particuliers: fin des primaires PS, discours du Bourget et exposition médiatique voir saturation de l’espace par le candidat.
«S’il y a une donnée qu’on possède, c’est plutôt l’érosion de l’UMP» par rapport à 2007 (31,18%), ajoute-t-il. «La cristallisation du vote est en train de se faire. Nicolas Sarkozy se voit en premier: il a sans doute écarté le danger de Marine Le Pen, mais il fera un score très inférieur à 2007.»
4. Le souhait des électeurs de voir François Hollande triompher
Patrick Buisson au Monde: «c'est la première fois qu'un candidat recueille dans certaines enquêtes moins de souhaits de victoire que d'intentions de vote au premier tour.»
Pour Olivier Faure, «François Hollande récolte entre 41 et 38% de souhaits de victoire selon l’Ifop, contre 33 à 34% pour Nicolas Sarkozy. J’inverse donc la question à Patrick Buisson: comment Nicolas Sarkozy pourrait-il l’emporter avec 33%?»
5. Le PS et l’électorat populaire
Patrick Buisson au Monde: «Le PS est devenu (…) l'expression des nouvelles classes dominantes.»
«On est dans l’invention», rétorque Olivier Faure. «Dans la dernière ventilation de l’Ifop, 58% des ouvriers disent vouloir voter pour François Hollande au deuxième tour. Pour Opinion Way, qui distingue ceux qui gagnent plus ou moins de 999 euros, la catégorie au-dessous de ce seuil de revenu indique vouloir voter à 65% pour le candidat socialiste.»
Présenter le candidat UMP comme le candidat du peuple est donc trompeur au vu des études, estime Olivier Faure. «Nicolas Sarkozy conserve son avance sur l’électorat âgé, comme en 2007. Mais dire qu’il est le candidat du peuple est faux, il n’a pas les classes populaires dans son assise.»
Jean-Laurent Cassely