Économie

L'arrivée de Free Mobile est-elle bonne pour les consommateurs?

Temps de lecture : 7 min

Depuis le lancement des offres de Free Mobile, le 10 janvier dernier, c'est un véritable déferlement. De questionnements, mais aussi, bien souvent, d'accusations à l'encontre du nouvel entrant.

REUTERS/Toby Melville
REUTERS/Toby Melville

Free mobile a-t-il vraiment investi dans son réseau à hauteur des obligations qui lui ont été imposées? Son réseau couvre-t-il vraiment 27% du territoire, comme il l'affirme? Ou est-il en train de casser les prix grâce au réseau d'Orange qu'il utilise largement? Avec ses offres à bas prix, le trublion n'est-il pas le fossoyeur de l'emploi et des investissements dans un secteur où la France, après avoir longtemps excellé, est désormais à la peine?

Depuis le lancement des offres de Free Mobile, le 10 janvier dernier, c'est un véritable déferlement. De questionnements, mais aussi, bien souvent, d'accusations à l'encontre du nouvel entrant.

Rien, bien évidemment, que de très normal: tout comme Bouygues Telecom, en son temps, avait dynamisé un marché jusqu'alors contrôlé par France Telecom et SFR, le quatrième opérateur vient bousculer les habitudes –et les marges– de ses trois prédécesseurs. Et ceux-ci, tout aussi légitimement, rétorquent par le verbe autant que par la mise en place d'une nouvelle politique commerciale.

Mais, plus étonnant, le débat est aussi médiatique (avec une mise en cause inhabituelle du low cost) et politique: en demandant une expertise complémentaire à l'agence nationale des fréquences, le ministre Eric Besson met ouvertement en doute les calculs de couverture effectué par le régulateur des télécoms (l'Arcep), qui vérifie pourtant le respect d'un cahier des charges... rédigé par l'Etat!

Alors qui a raison, qui a tort?

1. Free répond-il à ses obligations de couverture?

oui Ses équipements réseau —fourni par Nokia Siemens Networks— permettent bien de couvrir 28% de la population française fin février, contre 27% en décembre, alors que Free devait arriver au pourcentage de 27% fin décembre.

Ce calcul a été réalisé par l'Arcep, le régulateur des télécoms, et son président, Jean-Ludovic Silicani, a longuement explicité les modalités de réalisation de ce contrôle devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée le 28 février dernier.

Free respecte donc son cahier des charges, et si critique, malgré tout, il y a, elle devrait porter... sur le cahier des charges lui-même.

2. Les abonnés Free utilisent-ils majoritairement le réseau d'Orange, partout?

oui Le réseau de Free ne couvrant que 28% du territoire, le reste de la couverture est assuré par l'accord dit d'«itinérance» conclu avec Orange. Mais visiblement, une grande partie des communications passées dans les zones couvertes par Free utilisent malgré tout le réseau d'Orange. Au total, plus de 85% voire plus de 90% du trafic passerait par les antennes d'Orange. Et pour cause: le téléphone se «branche» sur le meilleur réseau, celui d'Orange.

Free a-t-il volontairement «bricolé» son réseau pour être tout juste capable de respecter son cahier des charges, comme l'en accusent certains? Il est tout à fait possible que Free ait attendu d'avoir un nombre suffisant d'abonnés pour peaufiner son réseau et accélérer ses investissements. Mais il est également certain qu'Orange, grâce à son ancienneté et au nombre de ses clients, a un réseau bien mieux dimensionné et plus solide que le nouveau venu et mieux à même, pour l'instant, d'acheminer le trafic.

3. Cela va-t-il changer?

oui Progressivement. Maintenant qu'il a engrangé, paraît-il, un million et demi voire deux millions de clients mobiles —le groupe se tait pour l'instant–, Free a tout intérêt à accélérer ses investissements réseaux: non seulement son cahier des charges le lui impose (75% de couverture du territoire à l'horizon 2015, 90% en 2018), mais ceci lui coûtera moins cher à terme que de louer les capacités d'Orange.

Le prix d'utilisation du réseau d'Orange par Free dépend en effet de l'utilisation réelle faite par Free du réseau d'Orange: autrement dit, Free gagnerait à l'utiliser moins. Investir dans son propre réseau, c'est du reste la stratégie que l'opérateur a toujours appliquée dans l'ADSL (le haut débit fixe) où il a favorisé le «dégroupage» —il gère alors lui-même la ligne conduisant à l'abonné— plutôt que la simple location du service à France Télécom. Cela lui a permis de mieux gérer ses marges, mais aussi d'uniformiser les services qu'il propose à ses abonnés.

Il restera, pour le mobile, bien évidemment longtemps dépendant d'Orange dans les zones où il n'assure encore aucune couverture, mais il est vraisemblable qu'une part de plus en plus importante du trafic des zones «Free» passera à l'avenir par son propre réseau.

4. Le réseau Free sera-t-il d'aussi bonne qualité que celui de ses concurrents?

ben... Pas forcément, mais les données seront publiques.

La panne, début mars, est, pour l'instant, un épiphénomène. De telles mésaventures sont du reste arrivées à ses concurrents —notamment à Bouygues Telecom, victime en 2004 d'une panne informatique. Mais, comme l'a précisé le président de l'Arcep, que Free remplisse ses obligations de couverture ne présage en rien de la qualité de la couverture.

Celle-ci fait en effet partie intégrante de l'offre des opérateurs, qui en font un argument commercial et un élément de différenciation. Certains préfèrent payer plus cher pour une meilleure qualité, d'autres acceptent quelques défaillances en contrepartie d'un tarif plancher.

Il en va du reste de même dans la téléphonie fixe où l'arrivée de la téléphonie sur ADSL, incluse dans les «box», a permis une baisse des coûts mais aussi signifié une détérioration (plus ou moins importante selon les cas) de la qualité de service.

Dans le mobile, le consommateur peut choisir en connaissance de cause: l'Arcep réalise chaque année une enquête de qualité des services mobiles, dont les résultats sont abondamment utilisés par les intéressés. Free Mobile sera donc à l'avenir également testé à cette aune.

5. Orange a-t-il bien fait de conclure son accord avec Free

oui Les salariés d'Orange se sont émus de l'accord d'itinérance conclu par leur entreprise avec Free. L'opérateur ne s'est-il pas mis en situation de se mettre lui-même en difficulté?

Rappelons tout d'abord que les opérateurs en place étaient dans l'obligation de conclure un accord d'itinérance avec Free au moins pour la 2G (autrement dit, pour le trafic voix) pour permettre à Free de lancer son offre.

En remportant ce marché, et en l'élargissant à la 3G, Orange s'est ménagé une période de transition: les revenus perçus grâce à cet accord lui permettent de compenser temporairement la perte d'abonnés et la diminution prévisible de ses marges.

Le montant de ce contrat est (théoriquement) secret, mais Stéphane Richard, patron d'Orange, reconnaît qu'ils devraient être supérieurs au milliard d'euros sur six ans évoqués. Même à 167 millions d'euros par an, ceci représente un chiffre d'affaires équivalent à celui généré par environ 445.000 abonnés moyens Orange (fin 2011, le revenu annuel par abonné atteignait 375 euros). Pour l'instant, Orange n'a perdu qu'à peu près 200.000 clients. Il reste donc gagnant, d'autant que pour engranger les revenus versés par Free, il n'a pas à débourser de frais marketing ni à subventionner de terminaux.

Bien sûr, ceci n'est qu'un palliatif transitoire. D'autant que l'arrivée de Free contraint l'opérateur à diminuer ses marges. Mais ceci aurait été le cas, de toutes façons, avec ou sans accord d'itinérance.

Orange, du reste, est, depuis l'ouverture du marché des télécommunications à la concurrence, un important opérateur de «gros»: autrement dit, il revend les capacités de ses réseaux à ses concurrents.

Ceci représente environ 4,45 milliards d'euros de son chiffre d'affaires fixe en France, soit 34,6%. Pour le mobile, le chiffre est moindre. Le chiffre d'affaires dégagés avec les MVNO (opérateurs mobiles virtuels, comme Virgin Mobile) aurait été d'environ 570 millions d'euros en 2011 selon Antoine Pradayrol, analyste à Exane.

Orange, comme ses concurrents du reste, gagne aussi (un peu) à l'accroissement du trafic généré par Free Mobile: à chaque appel passé par un abonné Free à un abonné Orange (ou SFR, ou Bouygues) ce dernier perçoit une terminaison d'appel. Même si leur tarif, régulé, est de plus en plus bas, cela aurait cependant étoffé l'an dernier le chiffre d'affaires d'Orange d'environ 500 millions d'euros selon Antoine Pradayrol.

5. Les prix de Free sont-ils un danger pour le secteur?

Trop tard! En faisant baisser les prix des abonnements, Free met-il le secteur sous pression? «De toute façon, souligne Antoine Pradayrol, le secteur est déflationniste partout en Europe!» Autrement dit, le mouvement de baisse des prix semble inéluctable. Et pourquoi en serait il autrement puisque les réseaux les plus anciens sont amortis, le coût des nouveaux investissements a diminué des deux tiers en dix ans, tandis que les tarifs d'interconnexion diminuaient drastiquement?

Ses concurrents, Orange et SFR notamment, peuvent résister: ils affichent des marges importantes, et leurs coûts (d'investissements en équipements réseaux, en interconnexions, etc...) ont bien baissé ces dernières années. Ils disposent aussi, du reste, et particulièrement Orange, d'une assise financière d'un tout autre ordre de grandeur que celle de Free.

Orange propose du reste de verser un dividende pour 2011 de 1,4 euro par action, contre 0,80 en 2010. Ils peuvent aussi mettre en avant la qualité de leur réseau et celle de leurs services clients, l'accès à la hotline n'ayant jamais été le point fort de Free. Les MVNO eux, sont bien plus fragiles, et ne disposent pas de beaucoup de marges de manœuvre pour aligner leurs prix.

Une concentration dans ce secteur est donc à prévoir. Et l'arrivée de Free ne fait donc que confirmer la tendance.

Côté équipementiers, le secteur est en France en très mauvaise posture depuis bien des années et Free Mobile n'y est pour rien. Du reste, il a plutôt choisi «européen» que chinois, en élisant Nokia Siemens Networks pour équiper son réseau.

Les distributeurs ont sans doute le plus à craindre, une bonne part des achats de forfaits se faisant désormais sur Internet. En revanche, le développement de l'usage du mobile peut éventuellement contribuer à faire naître des vocations et des start-up côté services mobiles. Si, bien entendu, des entrepreneurs arrivent à en profiter. Selon Jean-Ludovic Silicani dans son audition devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée, le secteur de l’économie numérique emploie aujourd’hui 400.000 personnes de plus que l’ancien secteur équivalent, il y a quinze ans. Reste à savoir cependant ce qui dépend ou non sur seul secteur des télécommunications.

Catherine Bernard

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