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La guerre, c’est affreux, OK, mais ça n’a pas besoin d’être sale en plus. Depuis quelques années déjà, les équipementiers militaires, tout comme leurs clients, réfléchissent à la manière dont la technologie peut aider à faire du combat une activité «durable», au sens où son projet de base –tuer des gens, prendre le contrôle d’un territoire et de ses ressources― n’entre pas en contradiction trop flagrante avec un objectif plus vaste de protection de la planète.
La bombe à neutrons, dès la fin des années 1960, allait d’ailleurs être une première étape dans ce changement de paradigme en permettant, à l’inverse des armements nucléaires classiques, de limiter l’impact d’un bombardement aux seules personnes physiques, aisément remplaçables, et d’épargner infrastructures et environnement.
Mais le recours au nucléaire demeure finalement assez marginal dans la résolution des conflits et c’est vers la production de munitions conventionnelles plus «vertes» que le complexe militaro-industriel s’est orienté ces derniers temps, avec l’arrivée de balles intégralement débarrassées de leur plomb ―un métal extrêmement toxique pouvant rendre un champ de bataille à peu près inutilisable une fois l’ennemi écrabouillé.
Et à quoi bon transformer un tank en tracteur la paix revenue si même les OGM ne poussent plus sur une surface agricole contaminée?
A l’échelon international, la prise de conscience de ces enjeux s’est traduite par l’entrée en vigueur, en 1978, de la convention onusienne ENMOD (Convention on the Prohibition of Military or Any Other Hostile Use of Environmental Modification Techniques) qui prévoit notamment que «les attaques contre l'environnement naturel à titre de représailles sont interdites», la guerre devant être conduite «en veillant à protéger l'environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves».
Hum, certainement louables, ces objectifs ont parfois tendance à rester à l’état de vœux pieux, essentiellement pour des réflexes budgétaires court-termistes dont les États rechignent à se débarrasser, spécialement en période de faible croissance et de réduction des déficits publics: oui une cartouche au tungstène coûte plus cher à l’achat qu’une cartouche au plomb, mais son effet de friction moindre réduit considérablement l’usure du canon et autorise donc à amortir un fusil-mitrailleur sur une durée plus longue!
Même Eva Joly en conviendrait, qui fonde sa proposition de suppression du défilé du 14-Juillet sur les coûts de remise en état du bitume sur les Champs-Elysées après le passage des colonnes de chars.
Tuer des méchants en économisant de l’essence!
Mais c’est justement du côté des chars qu’il faut regarder pour se réjouir de ces changements de mentalité. Et si c’est parfois de la recherche militaire que naissent les avancées technologiques civiles les plus remarquables (saviez-vous que le petit hélicoptère radiocommandé que vous avez offert à votre fiston pour Noël n’aurait jamais décollé sans l’invention de «drones» capables de bombarder un hôpital ou une école sans même risquer la vie d’un pilote!), le contraire est parfois vrai.
Ainsi, c’est au britannique BAE Systems (très populaire pour son Non-Line-of-Sight Cannon, un produit permettant de tirer à l’aveugle mais avec précision tout de même) et à son partenaire américain Northrop Grumman (champion de l’attaque discrète avec son B-2 Stealth Bomber) que l’on doit le tout premier char hybride, c’est-à-dire le tout premier véhicule de combat équipé d’un moteur inspiré de celui d’une Toyota Prius!
Le GCV (Ground Combat Vehicle, dont vous pouvez voir un diaporama ici) est équipé de deux moteurs électriques alimentés par un pack de batteries au lithium, ainsi que de deux moteurs diesels utilisables séparément ou simultanément en fonction du terrain et des circonstances. De fait, les performances du GCV sont mêmes supérieures à celles d’une Prius, deux puissants générateurs lui évitant d’avoir à chercher une prise de courant ou une station Autolib’ pour recharger ses accus en plein théâtre d’opération. Mieux, ses batteries peuvent être utilisées par les membres de l’équipage pour alimenter leurs propres équipements individuels, qu’il s’agisse d’un fusil-laser, très gourmand en énergie, ou d’un iPod ou d’un Kindle, accessoires très prisés des militaires ayant besoin de faire un break entre deux assauts (voire d’écouter la charge des Walkyries tout en arrosant l’ennemi de napalm).
La presse spécialisée fait d’ailleurs l’éloge du GCV («Army getting new hybrid tank that shoots baddies while saving gas» [«L’armée se dote d’un nouveau tank qui tire sur les méchants tout en économisant de l’essence»]), dont la dimension écologique ne se met heureusement pas en travers de la performance militaire proprement dite: il est doté d’une tourelle à canon automatique de 25 mm et d’une mitrailleuse de 7,62 mm lui fournissant le même pouvoir destructeur que ses concurrents moins «environmentally friendly».
Pour le moment proposé à quelque 11 millions de dollars l’unité, ce véhicule reste relativement cher et, dans un premier temps, réservé aux «early adopters» fortunés n’ayant pas peur de montrer la voie. Bah, la Prius a elle aussi commencé par être le signe extérieur de conscience sociale favori des stars de Hollywood avant d’être plébiscitée par les chauffeurs de taxis parisiens ―lesquels ne sont pourtant pas les professionnels les plus notoirement concernés par le bien-être de leurs frères humains.
Des armées intégralement équipées de bombes propres, de munitions sans plomb et de chars électriques, ce n’est sans doute pas pour tout de suite, loin s’en faut, mais la tendance est là. Certainement pas de quoi nous réconcilier avec la guerre, qui reste une activité fort déplaisante quoi qu’on en dise, mais le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous, des militaires aux générations futures.
Hugues Serraf