La
proposition de François Hollande de taxer à 75% la part des revenus personnels
dépassant 1 million d'euros annuels par foyer fiscal est à la fois totalement
impraticable et extrêmement utile.
Impraticable, parce
que personne, parmi les très rares personnes concernées, n'acceptera sans fuir
le pays de se voir confisquer ainsi les trois quarts (en fait, les quatre
cinquièmes) de ce qu'il gagne au delà du million d’euros, que cela soit
justifié ou non; parce qu'on ne taxerait ainsi que la réussite, et non la
fortune héritée; et parce que, pour en arriver à ce ratio d'impôt sur les
revenus les plus élevés, il faudrait augmenter massivement l'impôt sur tous les
revenus, à partir d'un niveau très bas.
Mais extrêmement
utile, aussi, parce que cette proposition révèle que, en raison de l'extrême
gravité de la situation des finances publiques françaises, tout le monde devra
être massivement mis à contribution. Autrement dit, c'est parce que le Président
sortant n'a pas maîtrisé les dépenses publiques, et parce qu'il a diminué avec
entêtement les impôts des plus riches, à coups de niches fiscales, que son
successeur sera obligé de prendre des mesures brutales.
Les vraies données
budgétaires du pays ne sont d'ailleurs pas connues et, comme le montre le cas
espagnol, où beaucoup de dépenses ont été masquées et retardées par l'Etat, il
y a fort à parier que les finances publiques françaises sont dans un état bien
plus désastreux encore qu'on ne le dit: on se réveillera sans doute, au
lendemain du 6 mai, en un moment de vérité, avec une situation
désastreuse, que les marchés, c'est-à-dire nos prêteurs, s'empresseront de nous
faire sentir.
A mon sens, pour
tenir les modestes objectifs annoncés par les principaux candidats (un
équilibre budgétaire à la fin du prochain mandat présidentiel), il faudra
trouver au moins 20 milliards en 2012 et 30 milliards en 2013. Cela
exigera des économies intolérables, des hausses d'impôts considérables et la
disparition de la plupart des niches fiscales.
Les
unes et les autres ne pourront pas ne pas concerner toute la population,
frappant seulement les plus hauts revenus ou les plus grandes fortunes. Mais —et
c'est l'élément le plus révélateur dans cette situation— quoi que l'on fasse
pour réduire la dette publique (effrayer les entrepreneurs par des impôts très
lourds, pénaliser les plus pauvres en réduisant les dépenses sociales,
matraquer la consommation, diminuer les investissements publics), cela aura
inévitablement un impact négatif sur la croissance, qui est pourtant la seule
solution durable au chômage et à l'endettement.
Il est donc urgent de
réfléchir en termes non plus de réduction de la dette publique, mais de relance
de la croissance. En termes de réduction de la pauvreté et non de sanction de
la richesse. Et, pour y parvenir, le nouveau Président n'échappera pas à trois
actions d'urgence.
› Commanditer,
sans doute à la Cour des comptes, un audit des finances publiques, pour qu'on
sache vraiment, objectivement, au plus vite, l'ampleur de la rigueur
nécessaire.
› Relancer au
plus vite toutes les réformes de structure porteuses de croissance,
parfaitement identifiées, mais qui n'ont pas été mises en œuvre parce qu'elles
remettent en question des intérêts particuliers aujourd'hui très puissants.
› Proposer un
saut vers un fédéralisme européen, seul moyen de financement sain de grands
investissements porteurs de croissance.
Jacques Attali