Culture

La K-pop, tête de pont du soft power sud-coréen

Temps de lecture : 6 min

[LE SOFT POWER ASIATIQUE 2/3] En quelques années, la Korean pop, ou K-pop, est devenue le symbole de la Corée du Sud dans le monde, diffusant l'image d'une démocratie ouverte, volontariste et innovante. L'année 2012 marque une offensive claire vers les marchés européen et américain… avec un risque de perte d’identité.

Le groupe de K-pop Girls' Generation durant les Korean Pop Culture and Art Awards à l'Olympic Hall de Séoul, le 21 novembre 2011. REUTERS/Jo Yong-Hak.
Le groupe de K-pop Girls' Generation durant les Korean Pop Culture and Art Awards à l'Olympic Hall de Séoul, le 21 novembre 2011. REUTERS/Jo Yong-Hak.

Douze mille fans —en grande majorité des filles—, des cris, des chorés et des lighsticks, malicieusement croqués par Yann Barthès dans le Petit Journal... Le 8 février dernier avait lieu à Paris Bercy le Music Bank, un festival de pop coréenne qui a trouvé un assez grand écho médiatique.

La Korean pop, ou K-pop, est déjà près de chez vous. Ce genre musical apparemment lointain s’est globalisé ces derniers mois vers les scènes européenne et nord-américaine, avec des tournées internationales et un engouement massif sur les réseaux sociaux et les sites de partages de vidéo, où il réalise des chiffres à l’américaine grâce à une fanbase très active: 65 millions de vues sur YouTube pour le clip de Gee des Girls Generation ou plus de 730.000 followers sur Twitter pour Kim Jaejoong, chanteur du groupe JYJ, considéré comme l'un des plus beaux hommes d'Asie.

La K-pop tire désormais vers le haut tout le secteur culturel sud-coréen, qui est passé de 5 millions de dollars de bénéfices à l’export en 1997 à 268 millions en 2005 et 793 millions en 2011.

Apparu dans le marasme de la crise asiatique

Le genre trouve ses racines au sein du mouvement de diffusion à l’étranger des biens culturels, le Hallyu («vague» en coréen), qui a contribué à refaçonner en profondeur l'image de ce petit pays au marché domestique étriqué, colonisé jusqu’en 1945 puis séparé en deux depuis la guerre de Corée, et coincé entre deux géants, le Japon et la Chine.

C'est il y a une quinzaine d'année, dans le marasme de la crise asiatique, qu'apparaissent les fondements de l'Hallyu. Sa première incarnation, au début des années 2000, est le phénomène des dramas, séries télé produites en quasi flux tendu: Sonate d'hiver, une série de vingt épisodes sur la perte du premier amour, en est le symbole absolu, provoquant l'hystérie au Japon et dans le reste de l'Asie et voyant affluer les touristes en pèlerinage sur les lieux de tournage.

A travers l'exportation massive de ces séries, le visage et les codes de beauté coréens gagnent petit à petit du terrain en lieu et place des canons de beauté occidentaux. La Corée du Sud devient une destination de référence pour le tourisme esthétique: on veut le nez, les yeux, la peau de Kim Tae Hee, beauté de référence. L’industrie cosmétique profite de cet appel d’air ainsi que le tourisme, l'architecture et l'art de vivre.

Modèle idol-centré et structure familiale

Dès 2006, cette première Hallyu semble avoir vécu: les exportations baissent et elle est critiquée à l’étranger comme culturellement invasive, son ampleur étant parfois mal vécue, notamment, par l'ancien colonisateur japonais. Une seconde vague, musicale, va prendre le relais, avec des résultats à l'échelle du monde cette fois-ci: la K-pop.

Hybride culturel, elle croise pop japonaise (ou J-pop) et pop américaine et se structure selon un modèle «idol-centré», du nom des stars de la pop nipponne, et suscite un même culte autour de leur personne. Elle produit peu d'artistes solos, mais des groupes à la stricte hiérarchie. Une structure familiale: une figure paternelle, le leader, une maternelle, un benjamin, le «bébé» dont on prend soin, bref une véritable bulle à l'intérieur de laquelle on se prodigue constamment des marques d'affection, souvent source d'hystérie et de spéculations sans fin de la part des fans.

Une offre aux multiples visages et styles, du look garconne au look sexy, du mec marrant au beau prince ténébreux, visant une cible bien sûr plutôt jeune et féminine, mais loin de l'être exclusivement: les garcons coréens aiment beaucoup Girls Generation ou la très jeune chanteuse IU.

Le son travaille pop, hip-hop et électro sans aucun complexe, de manière ludique et colorée. Parfaitement rodés, recrutés sous contrat dès l’âge de 12-13 ans pour devenir des triple threats, danseurs, chanteurs et acteurs, les filles et les garcons coréens ont ce qu'il est convenu d'appeler du swag.

La K-pop est addictive car la musique n'en est qu'une composante: les chanteurs jouent dans les dramas, animent des shows, font du mannequinat —le créateur Jeremy Scott est d’ailleurs fan du groupe 2ne1 et notamment de sa leader CL, parfois surnommée la Lady Gaga asiatique. Il a ainsi participé en guest star avec elle à la version coréenne de Project Runway, télé-réalité pour futures stylistes.

En clair, de l'entertainment total. Mais relativement chaste: si la K-pop est synonyme d’outrance visuelle et de tenues courtes, l’absence de réelle nudité et la valorisation visuelle de l'androgynie, gommant la présence d’attributs sexuels trop évidents, en font au final une bien plus acceptable fréquentation que les productions américaines, rassemblant d'ailleurs de nombreux fans au Moyen-Orient et jusqu'en Iran.

Un fabuleux marché pour Séoul

Grâce à la Kpop, la Corée du Sud, qui utilise à l'occasion cette dernière dans sa guerre psychologique avec son voisin du Nord, est devenue la petite démocratie cool de l'Asie, ouverte (comprendre: plus ouverte sur le monde que le Japon) et créative (comprendre: pas l'atelier du monde d'une Chine qui définitivement ne rassure pas). Là ou la J-pop a manqué le train des réseaux sociaux, elle a fédéré un public de digital natives qui adoptent de façon naturelle la beauté et le style coréen et s’intéressent à la langue, le hangeul.

Un fabuleux marché pour Séoul, qui prévoit d’investir cette année plus de 33 milliards de wons (22 millions d’euros) dans le secteur culturel. Les liens entre l’Etat, les chaebols (grandes compagnies sud-coréennes) et industries du divertissement sont connus et d'ailleurs très visibles. Tous tenus de participer à l'effort de développement: la K-pop est un bien d'exportation culturel et le visage du pays.

LG et Samsung, second fabricant de téléphones au monde, utilisent ses stars pour promouvoir leurs produits au Japon, où les marques coréennes marchent très fort auprès des 20-30 ans: LG a par exemple sous contrat le groupe Kara, qui y connait un succès phénoménal pour promouvoir sa gamme de smartphones Optimus.

Le genre sert aussi de relais culturel et diplomatique: le 5 février dernier, Kim Jaejoong accompagnait en Turquie le président coréen Lee Myung Bak pour une rencontre avec les fans locaux, afin de promouvoir les échanges culturels et l'apprentissage du coréen. Les places sont parties en 30 minutes. Le président s'est éclipsé sur une blague («C'est Jaejoong la vraie star») pour laisser son invité échanger avec ses fans.

Derrière ce succès et cette apparence cool, on ne se relâche pas. La K-pop, tout comme les dramas, promeut des valeurs fondées sur la famille, la solidarité, le groupe, le respect des anciens, le travail. Nul doute que Lady Gaga et Justin Bieber sont de gros bosseurs, mais il est assez rare d'entendre de la bouche de leurs fans leur admiration pour leurs nuits sans sommeil passées à apprendre des chorégraphies, chose assez commune dans les communautés de fans de K-pop, et ce jusqu'en France. Du fun et du stakhanovisme.

En Corée du Sud, on pointe d’ailleurs depuis plusieurs années les failles potentielles et la rudesse d'un système qu'on dit frappé de systématisme. Une page semble s'etre tournée avec le déclin relatif de stars solo telle que la chanteuse Boa et le départ en octobre dernier de Rain, le roi du genre dans les années 2000, pour accomplir son service militaire obligatoire de deux ans.

Ce soft power culturel du futur peut-il prospérer sans diversité ni individualités fortes, sans être autre chose qu’un pari à courte vue? Les mois à venir devrait apporter un début de réponse à cette question à un milliard de wons, avec l’arrivée du genre aux portes des marchés musicaux dits «gardés», Europe et surtout Etats-Unis. Les majors coréennes, principalement la SM Entertainment, la YG et la JYP, semblent tester un peu toutes les recettes pour percer et multiplier les appels du pied vers les marchés internationaux.

Risque de dilution

On a ainsi vu récemment les Girls' Generation, petites princesses d'Asie, promouvoir un morceau, The Boys, en anglais au Late Show de David Letterman, une première historique, puis au Grand Journal de Canal+.

Leur prestation, pourtant soigneusement recalibrée, a déclenché parmi certains non-fans des réactions très souvent amusées, sceptiques, voire agressives. Un vrai choc culturel dont la page Facebook du Grand Journal se souvient encore... Big Bang, un groupe de cinq garcons produit par la plus urbaine YG Entertainment, montre depuis ses débuts plus de naturel dans le maniement des codes nord-américains, condition jugée indispensable pour le succès.

Les producteurs américains ont désormais pris l'initiative, à l'image de will.i.am et de sa collaboration avec 2ne1 et de Swizz Beatz, producteur de Chris Brown et Lil Wayne, qui a annoncé le 20 février avoir conclu un partenariat avec une agence média coréenne pour promouvoir une interpénétration des deux marchés, allant meme jusqu'à évoquer des perspectives de duo avec Rihanna.

La K-pop semble avoir déjà gagné, solidement arrimée à un statut de scène pop alternative, mais la question est de savoir si elle va tocher le jackpot ou si le risque d'une transition trop brutale, d'un recentrage, va la diluer dans un ensemble culturellement indistinct et anglophone. Entre reflet d’un particularisme culturel national et produit universel, la K-pop aura fort à faire pour conserver son «K» en 2012.

Claire Solery

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