Tout l'article était dans son titre. Le chroniqueur James Pethokoukis, fan de graphiques et faiseur d'opinion pour l'American Enterprise Institute, commençait par une mise en garde:
«Comment les Républicains peuvent-ils gagner même si la situation économique s'améliore?»
Comment peuvent-ils gagner? Pethokoukis a-t-il perdu les droits de ses anciens papiers, comme «En 2012, Obama se prépare au scénario du pire» et «Si Obama perd, ce sera uniquement à cause de ce graphique»? D'un coup d'un seul, le voilà qui élabore les plans de bataille républicains sur la base de contingences, en concluant que le parti «pourrait bien» gagner si la situation n'évolue pas.
Les Américains vivent actuellement au rythme de la drôle de guerre des primaires républicaines. La remontée de Barack Obama dans les sondages n'étonne personne. La plus grosse inquiétude des républicains, c'est qu'il préside une économie solide, ce qui leur ferait revivre la tragédie de Bob Dole, battu de près de dix points par Bill Clinton en 1996. Ce n'était pas ce qui était prévu.
Ce nouveau pessimisme républicain est-il universel? Difficile à dire: le pessimisme a de nombreuses facettes. En ce moment, dans une accalmie riche en bonne nouvelles économiques et en sondages favorables à Obama, on peut identifier quatre sortes de pessimisme, toutes présentes la semaine dernière à la Conservative Political Action Conference (CPAC), l'événement qui marque chaque année le coup d'envoi des hostilités républicaines. L'humeur n'y avait pas été aussi morose depuis 2008.
On peut y voir quelque chose de sain, et même de désirable. «Obama a toujours eu beaucoup de chances de remporter un second mandat, comme la plupart des candidats se présentant à leur propre réélection», explique Ramesh Ponnuru, rédacteur en chef de la conservatrice National Review, qui tient ce discours depuis à peu près un an. «Les conservateurs étaient trop optimistes sur sa défaite pendant quasiment tout 2011 et aujourd'hui, à mon sens, ils sont un peu trop pessimistes.»
Mais le pessimisme est là et il ne cesse de croître. Pour simplifier les choses, je vais en distinguer quatre strates, en me servant des niveaux d'alerte qu'utilise le Comité des chefs d'États-majors interarmées lorsqu'une guerre se profile à l'horizon.
DEFCON 4
Tout le monde est pessimiste, sauf moi
Ce qui a occupé ce mois-ci les discussions mondaines de la droite, c'est la surprenante endurance de Barack Obama, couplée à la pas si surprenante obstination des électeurs républicains à prolonger cette campagne dans des proportions ubuesques. Sur la plate-forme de paris InTrade —qui ne veut pas dire grand-chose, à part que l'équipe de campagne de Romney y a récemment vu la preuve que leur candidat battra Santorum—, les chances de victoire d'Obama oscillent autour des 60%. «La twitterisation de la politique», écrit John Podhoretz, rédacteur en chef du magazine Commentary, «pousse vraiment les gens à exagérer.»
Pour Podhoretz, ce nouveau pessimisme est un «sophisme classique», facilement explicable. «Quelques bonnes nouvelles en février, combinées à l'aberration de la campagne républicaine, ne seront significatives pour les résultats de novembre que si ces quelques bonnes nouvelles précèdent une amélioration économique quasiment ininterrompue et si l'aberration de la campagne républicaine ne prend jamais fin. Dans les deux cas, c'est peu probable, et les cris de joie émanant de certains faubourgs libéraux frisent le ridicule.»
Ed Morrissey, blogueur en chef du site conservateur HotAir.com –qui roule pour Rick Santorum– n'accorde que peu de crédit à ce nouveau pessimisme: pour lui, ce sont des pleurnicheries aigries d'avant-match. «Je l'entends chez les soutiens de Rick Perry, de Newt [Gingrich, NDLR] ou de Romney. Ce pessimisme, c'est celui qu'on entend chez ceux qui n'ont pas parié sur le bon cheval.»
DEFCON 3
La situation économique s'améliore, mais on va pouvoir s'en sortir
Dans son discours au CPAC, qui marquait le début de la conférence, le sénateur Jim DeMint a reconnu que l'économie commençait à aller mieux. Le président –ce tricheur!– essayait de s'en attribuer «la moindre parcelle de crédit». Une semaine plus tard, en route pour le Michigan, Rick Santorum a admis qu'il se passait «de bonnes choses dans tout le nord du Midwest». Ce jour-là, selon un sondage de Public Policy Polling, le président Obama devançait n'importe quel républicain dans le Michigan.
La crainte, exprimée par de nombreux militants conservateurs au CPAC, c'est que les républicains s'en soient trop bien sortis: ils ont commencé à remettre le pays d’aplomb et le président pourrait s'en attribuer tout le crédit. Les républicains ont fait élire de nouveaux gouverneurs dans le Wisconsin, l'Iowa, le Michigan, l'Ohio et la Floride, tous partisans de l'austérité. Un redressement économique serait une bonne chose pour eux, mais ils ne seront pas présents au scrutin de 2012.
«Si l'économie reprend des couleurs, ce sera plus difficile, sans aucun doute», déclare Jennifer Rubin, du blog Right Turn, hébergé par le site du Washington Post [1]. «Mais je pense quand même que ce spleen est exagéré. Peut-être cela évite-t-il [aux électeurs républicains] de prendre l'électibilité en compte. Si vous allez perdre, vous pouvez voter avec votre cœur, et pas avec votre tête.»
DEFCON 2
On est en train de tout foirer
Certains de ces nouveaux pessimistes s'en font depuis des mois pour cette élection. Ils se sont projetés sur le gouverneur du New Jersey Chris Christie, puis sur le représentant du Wisconsin Paul Ryan. La chronique du néo-conservateur Bill Kristol, dans le Weekly Standard, est devenue la rampe de lancement de campagne la plus nulle du monde —aucun de ces types n'a jamais décollé.
«Je pense que la base du parti, la base "reaganienne", est dépitée et consternée parce que, pour eux, aucun des candidats n'a tous les "éléments" nécessaires à la victoire», explique Christopher Ruddy, PDG du site Newsmax. «Mitt a l'argent et l'organisation, mais il n'enflamme pas la base. Newt a ce charisme, mais peu d'organisation et des ressources financières limitées. Santorum ne parle qu'à une partie de la base, et il en pâtira toujours.»
Certains potentiels réformateurs du parti sont d'accord avec ce constat, et ils sont écœurés. «Je dirais que les chances de voir le président Obama réélu dépassent les 50-50», déclare Reihan Salam, journaliste pour la National Review et analyste politique. «Et je pense que la nature même de la course à l'investiture républicaine a encore amélioré ses probabilités de réélection. Santorum, en particulier, est un candidat qui, si on met de côté ses qualités et ses défauts intrinsèques, représente un exutoire pour l'avant-garde, les professionnels des médias et beaucoup d'autres personnes influentes capables d'orienter le vote des gens.»
Pour la base, cette théorie —parfaitement calibrée pour un éventuel désastre en novembre— s'énonce comme suit: l'élection n'a jamais été vraiment gagnable, et le mouvement pourra s'en prendre à l'élite si Obama gagne encore. Mais la base n'est pas la seule à le penser. «Je reviens juste d'une conférence auprès des membres de la Federalist Society, à la faculté de droit de Houston», déclare Ponnuru. «Quand l'un d'entre eux m'a posé la question, j'ai répondu qu'Obama avait l'avantage. Il ne m'a pas traité de fou. Personne ne l'a fait, récemment –du moins sur ce sujet-là».
DEFCON 1
On est foutus
Pour la frange la plus sombre des nouveaux pessimistes, l'élection est jouée depuis quatre ans. Les décisions d'Obama étaient conçues pour améliorer l'économie, et pour lui donner un coup de fouet à ce moment précis de la campagne électorale; la diminution des charges salariales –qui vient tout juste d'être prolongée cette semaine– est le dernier de ces coups de fouet.
«Avec son absence de vision claire, convaincante et réellement alternative de la gouvernance, Romney est foutu face à Obama», déclare Nick Gillespie, rédacteur en chef de la plate-forme libertarienne Reason.com [2]. «Remarquez-bien que je ne parle pas du charisme, je parle de la vision: à quoi ressemblera le pays sous la présidence Romney? Tout le monde sait que ce sera grosso modo la même chose qu'aujourd'hui, hélas. Parmi les candidats républicains toujours en lice, Ron Paul offre une alternative claire au statu quo démocrate comme au statu quo républicain, mais il n'a pas réussi à enflammer les électeurs comme je l'avais espéré.»
Globalement, les électeurs de Paul sont les représentants les plus apocalyptiques de ce nouveau pessimisme républicain. Leur candidat est le nouveau Thomas Jefferson, le futur sauveur de la République. Nous pouvons l'élire, ou nous pouvons dire adieu à l'Amérique. Si les républicains se décident pour un autre candidat, de nombreux soutiens de Paul quitteront les rangs du parti. Et un point de plus pour le nouveau pessimisme!
David Weigel
Traduit par Peggy Sastre
[1] Slate.com appartient au groupe Washington Post, qui détient également 17% du capital de Slate.fr. Revenir à l'article
[2] Dave Weigel est lui-même un collaborateur de Reason.com. Revenir à l'article