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Pourquoi les gens votent

Temps de lecture : 5 min

Le fait d'aller voter paraît une évidence, mais dépend pourtant d'un calcul coût-avantages où comptent de nombreux facteurs.

L'extérieur d'un bureau de vote à Pau lors du premier tour de la présidentielle 2007. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.
L'extérieur d'un bureau de vote à Pau lors du premier tour de la présidentielle 2007. REUTERS/Jean-Paul Pélissier.

A lire également: «Pourquoi les gens ne votent pas»

Défiance envers la politique, positionnement des candidats, vacances scolaires… Après chaque élection, les hypothèses se multiplient pour expliquer la montée de l’abstention, mais une question n'est posée que trop rarement: qu’est ce qui explique que la grande majorité des électeurs se déplacent encore pour voter, du moins pour l'élection présidentielle, alors que 40% des Français disent ne pas s’intéresser à la politique et que 83% d’entre eux considèrent que leur avis n’est pas pris en compte? Pourquoi continuent-ils à aller glisser leur bulletin dans l’urne alors qu’ils pourraient aller à la pêche?

N’en déplaise aux commentateurs politiques, la participation électorale n’est pas une évidence. Pour décider de leur passage ou non dans l’isoloir, les électeurs, supposés rationnels, effectuent un calcul, mettent en balance le coût de leur participation électorale et les bénéfices espérés du vote. S’ils considèrent que le gain potentiel de leur participation est supérieur aux coûts, ils iront voter.

Qu’est-ce que ça coûte d’aller voter?

Au-delà des frais de transport jusqu’au bureau de vote, le principal coût lié au vote tient au fait de s’informer pour choisir son candidat. Pas tant le coût économique de l’information (même si sa baisse, grâce aux tracts, journaux gratuits, sites internet... peut avoir un impact) que le temps passé à s’informer: «Le temps consacré à l’acquisition d’informations est coûteux car c’est du temps qui ne sera pas utilisé pour faire autre chose. Travailler, se divertir…», souligne Abel François, chercheur à l’Université de Strasbourg.

Une baisse du coût de l’information favorisera donc la participation électorale. Par exemple, le fait que les politiques concentrent leur campagne sur des thèmes peu nombreux et des prises de position très tranchées (de la guerre contre la finance à la défense des «valeurs») facilitera la prise d’informations car l’électeur est à la recherche d’éléments qu’il va pouvoir assimiler rapidement. «Les prises de position clivantes, qui permettent des raccourcis cognitifs, ou les grands repères idéologiques (par exemple, chanter l'Internationale dans un meeting de gauche) sont des signaux simples à envoyer et peu coûteux à s'approprier pour les électeurs», explique Abel François.

Le niveau d’éducation influe aussi sur ce coût: les électeurs peu éduqués devront théoriquement consacrer plus de temps à l’acquisition d’informations pour être en mesure de faire un choix. Les électeurs les plus éduqués, eux, participent plus aux élections car il leur est moins coûteux de s’informer, au vu de leurs connaissances politiques déjà acquises.

Qu’est-ce que ça apporte de voter?

L’électeur va comparer le temps consacré à récolter son information, et accessoirement le prix de cette information, aux bénéfices espérés. La satisfaction du «sens civique», par exemple, qu’Abel François définit comme «la satisfaction de s’intéresser à la politique et de participer à une action collective». Autrement dit, les électeurs se déplaceraient en partie parce qu’ils aiment voter.

Ou parce que ne pas le faire serait mal vu, ce qui explique que les zones rurales sont généralement plus mobilisées que les zones urbaines: «L’élection est une mobilisation collective. Les individus s’entraînent mutuellement via des incitations ou des micro-pressions», explique Jean-Yves Dormagen, professeur de sciences politiques à l’université de Montpellier.

Et ces incitations sont plus marquées dans les petites communes: «On est moins anonyme quand on ne va pas voter. Ce n’est pas vraiment du domaine du privé.» Vu que l’abstention est toujours considérée comme socialement peu valorisante, les électeurs seront plus tentés d’aller voter en sachant que, s'ils ne le font pas, cela risque de se savoir.

Par ailleurs, pour Jean-Yves Dormagen, «la famille a généralement une grande force mobilisatrice». Dans son livre La Démocratie de l’abstention, le chercheur explique que «les couples ont tendance à voter et s’abstenir ensemble». En effet, le fait de vivre sous le même toit permet de diminuer le coût lié à l’information.

Une activité de riches et de fonctionnaires

Certains électeurs éprouvent également plus de motivation que d’autres à aller voter s’ils considèrent que les élections peuvent influer positivement ou négativement sur leur situation. Les détenteurs de patrimoine, notamment les propriétaires immobiliers, étant soumis à une abondante législation, un changement électoral peut être synonyme pour eux de gain ou de perte.

Selon une étude menée par François Facchini et Abel François, «ils ont pour premier réflexe de traduire en termes de prix et de valeur de leur patrimoine la parole des candidats» et seront donc particulièrement motivés par l'élection.

Les fonctionnaires participeront généralement fortement car un changement de politique occasionnera des changements sur le budget de leur ministère ou collectivité locale, leurs salaires et leurs conditions de travail. Même chose pour les agriculteurs, très dépendants des subventions, ou pour les médecins, indirectement tributaires des remboursements de la Sécurité sociale.

Quand les sondages sont serrés...

La combinaison d'une information abondante, d'enjeux supposés grands et d'une pression civique plus forte expliquerait donc que l'élection présidentielle fasse généralement l'objet d'une participation importante. Mais si celle-ci peut varier fortement (de 72% à 85% au premier tour depuis 1965), c'est que des éléments plus conjoncturels, propres à la campagne électorale, influent également.

Les sondages d'intentions de vote de premier et de second tour, par exemple: quand les scores sont serrés et que «le scrutin est caractérisé par une forte incertitude, les électeurs vont se mobiliser beaucoup plus pour faire gagner leur candidat, note Abel François. Aux Etats-Unis, en raison du décalage horaire entre les différents Etats, on voit que les sondages sortie des urnes parus dans la nuit peuvent encourager ou décourager les électeurs restants à aller voter».

En France, le record de participation sous la Ve République date d'ailleurs du second tour de 1974, quand Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand étaient donnés à 50-50 par les sondages, avec 87,3% de votants. Et pourtant, rappelle Abel François, «la probabilité d’être l’électeur décisif est infinitésimale»: cette année-là, l'élection s'était jouée à 425.000 voix...

L'offre de candidats, en revanche, a des effets ambigus. Selon le chercheur, «les électeurs ont une appétence pour la variété. Plus il y a de candidats, plus ils vont pouvoir exprimer finement leurs préférences» et donc se tourner vers les urnes.

Mais l’abondance de candidats peut également nuire à la participation en augmentant le coût du vote: l’électeur devra faire plus d’efforts pour s’informer et il risque d’être perdu. Pour encourager au vote, il faut que l’offre politique soit assez diversifiée pour satisfaire le maximum de citoyens, sans être trop nourrie (seize candidats en 2002!) pour ne pas que l’acquisition d’informations devienne trop coûteuse.

La stratégie Obama

La dégradation de la situation économique est un autre facteur de mobilisation électorale. «Cela joue sur la participation car les électeurs veulent sanctionner négativement la gestion du Président sortant », indique Abel François. En ce sens, une dégradation des indicateurs économiques peut avoir une incidence positive sur la participation.

Les partis, enfin, ont aussi un rôle important à jouer pour mobiliser. «Les dépenses électorales ont un impact sur la mobilisation, confirme Abel François. Les nombreux meetings et tracts réduisent le coût de l’acquisition d’information et ont un effet mobilisateur sur les électeurs.» Mais cet effet reste marginal par rapport à celui de l'environnement direct d'un individu.

Lors de sa campagne de 2008, Barack Obama avait d'ailleurs, en plus de ses meetings et déplacements, encouragé ses sympathisants à faire du porte-à-porte pour prêcher sa bonne parole. Les électeurs potentiels ont ainsi eu plus facilement accès à l’information et se sont sentis directement mobilisés: «Il vaut mieux convaincre par le voisinage, l’entourage, que par le candidat lui-même», assure Abel François. Cette année, le PS lance d'ailleurs le 17 mars une grande opération de porte-à-porte, avec un objectif de 5 millions de foyers visités.

Emmanuel Daniel

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