Culture

La sage relève du cinéma allemand

Temps de lecture : 5 min

Après une longue traversée du désert, le cinéma d'outre-Rhin a su reconquérir un public international ces dix dernières années. Pour combien de temps?

Christoph Walz reçoit un prix d'interprétation à Potsdam, en 2009. REUTERS/Thomas Peter
Christoph Walz reçoit un prix d'interprétation à Potsdam, en 2009. REUTERS/Thomas Peter

Nombreux sont les critiques qui ont accolé l'étiquette de «nouvelle vague allemande» à la génération de cinéastes qui réalisent aujourd'hui des films à succès, avec pour figures de proue Wolfgang Becker, Florian Henckel von Donnersmarck et Fatih Akin.

Un clin d'œil au Neuer Deutscher Film, la «Nouvelle Vague» allemande, inspirée par le cinéma de Godard et Rohmer, et dont la première pierre fut posée il y a tout juste 60 ans par un groupe de jeunes cinéastes, lors du Festival international du court-métrage d'Oberhausen.

En signant le Manifeste d'Oberhausen, déclaration de guerre au «cinéma de Papa», les 26 réalisateurs coupaient le cordon avec le cinéma pittoresque et gentillet d'après-guerre, lançant avec aplomb que «le futur appartient à ceux qui ont prouvé qu'ils parlent une nouvelle langue filmique. Le vieux film est mort. Nous croyons en un nouveau cinéma.»

Jeune génération de cinéastes visionnaires

Durant les années 1960 et 1970, le cinéma allemand renoue avec la splendeur des années 1920, porté aux nues par une jeune génération de cinéastes visionnaires, celle de Rainer Werner Fassbinder, Werner Herzog et Wim Wenders. Fassbinder meurt trop jeune. Le 7e art perd l'une de ses plus belles étoiles, le charme se rompt.

La relève, terne en comparaison avec ses aînés habités d'utopies, s'enlise alors dans des comédies de mœurs grand public, les Beziehungskomödien (comédies relationnelles) à la Doris Dörrie, qui font beaucoup rire les Allemands mais effacent l'Allemagne de la carte du cinéma d'envergure internationale.

«A cette époque, les films allemands n'avaient pas du tout d'importance à l'étranger, ils n'étaient pas invités dans les festivals, pour des raisons compréhensibles, se souvient Jan Schulz-Ojala, critique de cinéma au quotidien Der Tagesspiegel. Il y a un complexe Fassbinder, un complexe Volker Schlöndorff, un complexe Werner Herzog, un complexe Wim Wenders. On a toujours attendu qu'un nouveau Fassbinder arrive, ça a créé un complexe chez les Allemands, l'idée qu'on ne sera plus jamais capables de répéter la gloire d'antan.»

La traversée du désert durera deux décennies. Elle sera brièvement éclairée par le film de Tom Tykwer Cours, Lola, cours en 1998. Mais c'est Wolfgang Becker, avec le succès inattendu de la comédie dramatique «Good Bye, Lenin!», 6,5 millions d'entrées en Allemagne et 1,5 million en France, qui changera la donne.

«Entre 25 et 40 films allemands sont aujourd'hui diffusés chaque année à travers le monde, indique Mariette Rissenbeek, directrice générale de l'agence de promotion German Films. Mais sur les 119 films qui ont été produits en 2010, seuls dix d'entre eux, Soul Kitchen de Fatih Akin en tête, ont été diffusés en France. Une grande partie de la production allemande reste donc invisible à l'étranger.

Hollywood à Berlin

Mais il est tout de même loin le temps où Marlene Dietrich, à un journaliste qui lui demandait à la fin de la guerre si elle comptait rentrer de son exil hollywoodien, lançait, cinglante: «Deustchland? Nie wieder!» («L'Allemagne? Plus jamais!») Car c'est désormais Hollywood qui vient à cette dernière. En accueillant le tournage du film de Tarantino Inglourious Basterds dans les mythiques studios Babelsberg, près de Berlin, l'Allemagne a également fait beaucoup parler d'elle à sa sortie en 2009.

«“Inglourious Basterds” est un exemple de la nouvelle attention dont profitent l'Allemagne et Berlin sur le plan international, estime Linda Söffker, directrice de la section Perspektive Deutsches Kino, dans laquelle sont présentés les films de jeunes réalisateurs pendant la Berlinale. Après la sortie du film, l'acteur Christoph Walz a reçu beaucoup d'offres pour jouer dans des productions internationales. Mais cela a aussi des conséquences manifestes sur place: le lieu de production Allemagne est en plein développement, et de plus en plus de gens travaillent dans le domaine du cinéma.»

Les productions à trame historique cartonnent

Fait frappant, les productions allemandes qui ont le plus cartonné à l'étranger ces dernières années, à l'exception de Le Parfum (900.000 entrées en France), s'ancrent dans l'histoire récente du pays: la Chute du mur et l'ex-Allemagne de l'Est avec Good Bye, Lenin! et La Vie des autres (1,5 million d'entrées en France), qui rafla d'oscar du meilleur film étranger en 2007; la deuxième Guerre mondiale avec La Chute (900.000 entrées en France).

Au risque d'être prisonnières de leur histoire et de jouer avec les clichés: «La période nazie est bien sûr très intéressante sur un plan filmique, mais c'est comme si chaque pays devait produire les films qu'on attend de lui, que les films tournés en Bosnie devaient parler de la guerre et que dans les films mongols on devait voir un mouton sur un paysage vide», estime le jeune cinéaste Dietrich Brüggemann, dont la comédie Cours, si tu peux, qui met en scène une relation triangulaire entre un paraplégique, son auxiliaire de vie et une jeune femme, a été présentée en 2010 à la Berlinale.

«Beaucoup de réalisateurs travaillent encore et toujours sur la Seconde Guerre mondiale, sur ce traumatisme allemand qui est à l'intérieur de chaque personne, explique Linda Söffker. La Chute du Mur fait partie de notre histoire récente, il y a donc également de nombreux cinéastes qui s'intéressent aux histoires personnelles qui s'y rattachent et dont le cours a changé avec cet événement. Cette trame historique est un cadeau pour les réalisateurs. »

Succession

A côté des grands cinéastes comme Fatih Akin ou Andreas Dresen (Septième Ciel) se pose la question de la succession de cette génération désormais établie. De jeunes réalisateurs se positionnent peu à peu sur l'échiquier cinématographique, à l'instar de Maren Ade (L'Arbre qui cache la forêt), Christoph Hochhäusler (Le Bois lacté) ou Ulrich Köhler (La Maladie du sommeil).

Ils portent à l'écran les préoccupations de leur génération, plus centrée sur la sphère intime, note Linda Söffker:

«Les jeunes réalisateurs allemands parlent souvent de ce qui les touche personnellement, de leur vécu. La famille, les amis, le père, comment est-ce qu'on se détache de ses parents... Ils quittent aussi de plus en plus le pays pour raconter des histoires qui se passent ailleurs».

Sans que pour autant se dessine une ligne commune. Le critique Jan Schulz-Ojala regrette lui que cette nouvelle garde soit «trop sage»: «Aujourd'hui il n'y a pas de groupe de jeunes réalisateurs qui disent: “C'est nous la jeunesse”. On attendrait parfois des films qui choquent, mais il n'y en a pas.»

Le complexe Fassbinder dont parle Jan Schulz Ojala risquerait-il de se transformer à la longue en complexe Fatih Akin? La jeune génération ne semble pas trop effrayée. Perspicace pour les uns, désenchantée pour les autres, elle tisse sa toile sans complexes:

«Cela ne me pose pas de problème de me démarquer d'eux, bien qu'estime énormément certains de leurs travaux, explique Dietrich Brüggemann. Ma génération est plus encline au cinéma de genre, aux comédies, à l'auto-ironie. Nous n'essayons pas de penser le cinéma en opposant l'art et le commerce, mais plutôt en termes de pop-culture, c'est-à-dire à la fois en termes d'art et de commerce. Quand on fait comme moi de la comédie, on est facilement rangé dans la catégorie “jeunes talents”, et pas pris au sérieux. Je ne vois pas quelle stratégie adopter pour lutter contre ça. Certainement qu'il faut simplement continuer.»

Annabelle Georgen

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