France / Politique

A la chasse avec Frédéric Nihous

Temps de lecture : 20 min

Fusil à l'épaule dans la campagne béarnaise, le candidat à l'élection présidentielle n'est pas que cet ovni portant le bouc. Ayant fait ses armes au RPR puis à Bruxelles, il démontre une vraie connaissance du milieu politique.

Frédéric Nihous et Ucha, son chien / Loïc H. Rechi
Frédéric Nihous et Ucha, son chien / Loïc H. Rechi

Il n'aura pas fallu plus d'un mail et d'un coup de fil pour que je me retrouve à arpenter les routes sinueuses aux alentours de Monein, une petite commune des Pyrénées-Atlantiques, dans la caisse de Frédéric Nihous.

Le candidat du parti Chasse Pêche Nature et Traditions (CPNT) à l'élection présidentielle affectionne revenir sur cette parcelle au cœur des vignobles du Jurançon, là où il s'est installé il y a une dizaine d'années en emménageant dans la région. Il y a gardé quelques habitudes de chasse. Les poches pleines de cartouches, son fusil Benelli sous le bras –«un semi-automatique spécial chasse aux migrateurs»– et Ucha, son fidèle épagneul aux avant-postes, Nihous m'a emmené à la chasse à la palombe, traditionnellement pratiquée des Pyrénées occidentales du Pays basque jusqu'au Béarn.

Tous les ans, pendant environ six semaines autour du mois novembre, nombre de gaillards du cru sont contaminés par «la fièvre bleue», référence à leur obsession pour le plumage bleuté des palombes.

Tous le savent, les Pyrénées représentent une barrière difficilement franchissable pour les oiseaux. Les passages empruntables sont rares et connus des chasseurs qui exploitent intensivement les sites en questions.

Pour chasser ce piaf qu'on appelle «pigeon ramier» partout ailleurs, il existe plusieurs techniques, les uns privilégiant l'utilisation de filet horizontaux ou verticaux –les pantes et les pantières– là où les autres préfèrent trouer les bestioles avec du bon vieux plomb.

«J'aime toutes les chasses»

Frédéric Nihous, lui, est plutôt du genre adepte du «tir au pigeon». Au moins deux fois par semaine, ce juriste de formation aujourd'hui adjoint au maire de Baudreix –un bled d'à peine 500 habitants– embarque son calibre à l'arrière de son utilitaire pour assouvir «son instinct de prédation», pour «méditer» aussi.

La chasse, tradition héritée de son paternel, il la pratique depuis son enfance, sans modération, avec addiction même et il ne s'en cache guère.

«J'aime toutes les chasses, je les pratique toutes. Le problème c'est le vendredi soir quand on commence à se dire: "À quoi vais-je aller demain? Au canard? Au sanglier? À la palombe ou à la grive?" C'est selon l'humeur du moment, l'envie, selon le gibier, le fait qu'il y ait du passage ou pas. Le principal dans la chasse, ce n'est pas la prise, c'est la traque, l'attente du gibier, puis le fait d'aller le chercher.»

Et puis en déconnant à moitié, il ajoute:

«Vous voyez on peut avoir des armes sans être délinquant.»

C'est sûr que dans la quiétude des terroirs du sud-ouest de la France, on est bien en peine de s'imaginer le bruit des balles de kalachnikovs qui claquent de temps à autres dans les cités marseillaises.

En débarquant en gare de Pau la veille au soir, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. J'avais lu les rares et courts entretiens que la presse lui avait consacré récemment. J'avais aussi eu l'occasion de le regarder répondre à l'un de ces questionnaires ridicules exclusivement réservées au web, auxquels les candidats acceptent de se soumettre aujourd'hui, privilégiant visiblement une approche médiatique quantitative.

À ce stade, Frédéric Nihous était pour moi le seul homme politique de premier plan osant arborer une pilosité faciale en forme de «bouc», un candidat se distinguant par la défense d'une ligne politique anecdotique, un personnage tantôt sympathique avec ses interlocuteurs, tantôt capable de se montrer assez cassant.

Le premier contact balaie franchement cette impression sèche qu'il peut parfois donner. On sent l'homme plutôt facile d'accès, patiné de la sincérité de cette frange de politiques encore en lien avec les réalités du quotidien.

Alors qu'on était encore dans sa voiture en direction de Monein, une de mes premières interrogations tenait à ses ses attaches territoriales, lui le déraciné qui a vécu et milité la majeure partie de sa vie dans le département du Nord.

Honnête –presque amène– il élude rarement les questions personnelles et en plaisante:

«Je suis un Ch'ti du Béarn mais je n'oublie pas d'où je viens

La notion d'attache territoriale, d'appartenance identitaire est omniprésente dans la genèse du discours nihoussien.

Chaque matin, le candidat de Chasse Pêche Nature et Traditions lit quatre journaux, invariablement dans le même ordre. La République et Sud-Ouest, les gazettes du coin tout d'abord. L'Équipe ensuite. C'est que le Nihous est un grand amateur de football –supporter du RC Lens, même en ces temps de disette. Ces trois-là, il les lit invariablement dans un petit troquet de Baudreix et en profite pour consulter les doléances de ses administrés, qui ne manqueraient pas de laisser des petits mots à son attention au patron du bar.

Puis, une fois installé à son bureau, il termine sa revue de presse en consultant l'édition en ligne de La Voix du Nord, moyen de rester dans le coup de ce qui se trame du côté de ses terres natales, même à distance.

Mais si notre chasseur parle de ça, ce n'est pas tant pour détailler le planning de ses journées que pour souligner qu'il est ostracisé par les grands médias ethnocentrés, ce qui l'oblige à travailler au corps la presse régionale pour s'assurer une présence médiatique correcte.

Au temps de son engagement pour Chirac

Si Frédéric Nihous use d'une technique vieille comme le monde en criant à l'excommunication médiatique –précisément pour qu'on parle de sa candidature– il est indéniable qu'il est un petit candidat.

Derrière les apparences se planque pourtant un mec qui en connaît un rayon sur la politique, et pas la locale cette fois, celle avec un grand «p».

Après notre session de chasse sur laquelle je reviendrai plus tard, Frédéric Nihous m'a emmené à la Pergola, un restaurant posé au-dessus d'un complexe de pelote basque, le genre d'endroit où les convives se régalent de ces petites cassolettes de spécialités culinaires de l'Euskadi.

On a eu l'occasion de revenir sur son parcours singulier, jalonné de personnages et d'appareils politiques inégaux. Avant de rejoindre CPNT, parti dont il est aujourd'hui le patron incontesté, Nihous a bourlingué sur des sentiers moins bucoliques, ceux du Rassemblement pour la République (RPR) de Jacques Chirac.

Après des années de militantisme et de progression dans l'échelle de la droite classique, il devient directeur de la fédération du Nord entre 1992 et 1995; l'année de la première élection de Jacques Chirac à la présidence, il fait d'ailleurs partie du staff de campagne du président dans le Nord.

Frédéric Nihous se revendique gaulliste et, il ne s'en cache pas, il connaît très bien les rouages de la politique politicienne. Alors qu'il aurait pu s'assurer une carrière de petit général au sein du parti majeur de la droite gouvernementale, il fout tout en l'air en 1997, à une époque où la droite maudit Chirac d'avoir perdu honteusement sa majorité gouvernementale, à la suite de sa dissolution hasardeuse de l’Assemblée nationale.

Au même moment donc, Nihous et quelques politiques du coin s'opposent à la volonté de la fédération nationale du RPR de parachuter une liste en vue des élections régionales de l'année suivante. En réaction, les rebelles nordistes montent une liste dissidente, ce qui leur vaut de tous se faire virer du parti. En vertu d'accords obscurs, certains finissent par être réintégrés mais Nihous, lui, jure de ne plus jamais faire de la politique.

Déjà fortement impliqué au sein d'associations de chasseurs qu'il fréquente depuis le début des années 1990, il décide de s'y investir encore plus maintenant qu’il a davantage de «temps libre».

Et puis, l'intronisation de Dominique Voynet –patronne des Verts et réputée très anti-chasse– au rang de ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement dans le gouvernement de Lionel Jospin l’agace au plus haut point.

Les écolos sont les ennemis jurés de Nihous, vraisemblablement depuis toujours. Il en parle systématiquement avec une hargne non dissimulée, qui va au-delà de la simple posture politique, un sentiment possiblement hérité de son père.

Dans l'imaginaire du personnage, les véritables écologistes seraient les chasseurs, des êtres à l'écoute de la nature, capable de savoir par leur connaissance du terroir ce qui est bon pour l'environnement immédiat, alors qu'à l'inverse, les Verts seraient les chantres d'une «écologie punitive» comme il se délecte à le marteler, des êtres abjects tout juste bons à faire de «l'écologie de salon».

Et soudain, le téléphone sonne...

Durant les deux années suivantes, Frédéric Nihous gagne sa vie grâce à un poste de secrétaire général à la mairie d'Arleux, une commune du Nord de 2.800 habitants réputée pour être «la capitale de l'ail fumé et de la chasse au gibier d'eau» dixit le Ch'ti du Béarn entre deux bouchées d’une omelette aux cèpes.

En parallèle de son poste de permanent, il se consacre essentiellement à sa nouvelle fonction de lobbyiste zélé au service des chasseurs.

Jusqu’à ce matin pas comme les autres où son téléphone sonne. Jean Saint-Josse, le patron historique de CPNT, est à l'autre bout de la ligne. Lui-même ancien du RPR, il raconte à Nihous qu'il a entendu parler de lui à nombreuses reprises pour sa fibre associative, pour son action lobbyiste aussi. En bien évidemment. Saint-Josse l'appelle parce qu'il a besoin d'un mec couillu pour représenter le parti des chasseurs dans le Nord, à l'occasion de l'élection européenne de 1999.

Nihous fait mine de s'y opposer, argue que «la politique, c'est fini» pour lui. Mais l'autre n'en a que faire. Il lui pose un ultimatum.

«T'as deux minutes pour me donner une réponse

L'assurance du co-fondateur du parti plaît au père Nihous.

«Je lui ai dit "D'accord, mais je veux être à mon numéro de département dans la liste, je veux la cinquante-neuvième position." Il m'a dit "Ok, t'es le patron du Nord."»

Avec des revendications aussi maigrichonnes, tu m'étonnes, l'autre n'allait pas refuser.

Revigoré par ce retour pas planifié, Nihous fait «une campagne d'enfer», dixit lui-même, dans le canton de sa mairie, obtenant plus de 40% des suffrages. Au niveau national, Chasse Pêche Nature et Traditions obtient 6,78% et gratte 6 des 87 sièges en jeu en France.

À la mairie d'Arleux, les collègues félicitent Frédéric pour cette campagne menée avec brio, mais on lui demande aussi de faire ses valises. C'est que la mairie est du RPR.

Et voilà que son téléphone sonne de nouveau. Au bout du fil? Jean Saint-Josse évidemment. Le bougre se doute bien qu'après une telle campagne, Nihous s'est fait bouter hors des murs de la municipalité. Il lui propose donc le poste de secrétaire général du groupe CPNT au Parlement européen.

Pour la première fois de sa carrière politique, Nihous quitte son Nord adoré, direction Bruxelles. Il y passera trois ans.

Là-bas, l'homme apprend beaucoup sur les rouages politiques de l'Europe. Il en parle comme «d'une super expérience au pays des "technos" et des lobbyistes».

L'apparatchick du terroir

Foncièrement Nihous n'est pas anti-Européen. Comme pas mal de souverainistes, il s'abrite derrière ce discours qui avance que «la construction européenne a permis la paix, la reconstruction, de donner à manger à tout le monde [et que] c'est inestimable», mais il se revendique Français avant tout, hein.

Et pour lui, l'homme de territoire, l'apparatchik du terroir serais-je presque tenté de dire, le Parlement européen est aussi «un truc de dingue où on est complètement hors-sol, ce qui, en tant que gaulliste et souverainiste, n'a pas de sens».

À Bruxelles, il retrouve ses vieux potes écolos, mais en vrai, ça ne le fait que moyennement rire, «le lobby écolo étant super puissant là-bas». Quelque part, ces trois années, c’est un peu «Nihous au pays des technocrates», l’histoire d’un mec qui se retrouve aspiré dans un Parlement assommé par les débats relatifs à l'extension de l'Union européenne à vingt-cinq pays, ce qui a le don de lui faire péter quelques câbles.

Pour lui et les siens, l'élargissement à ce stade est une folie, considérant que l'Europe ne marche déjà pas à quinze, et que c'est la porte ouverte à nombre de concurrents et de plombiers polonais.

On le sait, ce sera peine perdue. En se marrant, il se remémore avoir eu le sentiment de passer trois piges à chercher où se planquaient les peuples et les élus dans ce condominium peuplé de froids techniciens spécialistes de la chose publique.

Ces trois années de service ne sont pourtant pas une perte de temps, loin de là même. Elles lui permettent de se familiariser avec la machine CPNT, d'en tâter un peu les entrailles et surtout de gagner la confiance totale de Jean Saint-Josse, toujours à la tête du parti.

C’est dans ce contexte qu’il devient son directeur de campagne pour la présidentielle de 2002, un succès énorme. Noël Mamère et ses 5,25% pour le compte des Verts sont certes devant, mais en obtenant 4,23 % des suffrages, soit plus de 1,2 million de voix, les chasseurs ont clairement visé dans le mille.

Dans la foulée, le valeureux candidat à la présidentielle décroche un siège de député dans le Béarn et Nihous, en fidèle écuyer, vient s'installer dans les Pyrénées-Atlantiques pour assurer un taf d'assistant parlementaire.

Puis, en 2006, Saint-Josse estime qu'est venue l'heure de rajeunir l'image du parti et, fort logiquement, il entame la passation de pouvoir avec son poulain. Le 2 septembre 2006, au cours d'une réunion à Cerny dans l'Essonne, 82,94% des délégués du Conseil national de Chasse, Pêche, Nature et Traditions le désignent pour personnifier l'appareil à l'élection présidentielle de 2007.

Cette fois, les rôles sont inversés et Jean Saint-Josse joue les directeurs de campagne. Mais au bout du compte, le résultat n'est pas fameux. Nihous ne récolte qu'un maigre 1,15% des suffrages. En nombre de voix, la chute est vertigineuse, avec seulement 420.000 bulletins, soit deux tiers de moins que cinq ans plus tôt. Et pas de lot de consolation non plus, les Verts –conduits par sa chère et tendre Dominique Voynet– se sont certes pris une sacrée branlée aussi, mais finissent encore une fois devant à 1,57%.

Après neuf mois d'une campagne effrénée qui l'a conduit aux quatre coins du pays, lui a valu la plus grande émotion de toute sa vie politique avec un dernier meeting chez lui, devant tous ses proches, dans le Nord, il finit complètement carbonisé.

Le chasseur le plus célèbre de France a pris douze kg à force de bouffer n'importe comment et déprime un peu; c'est que revenir bosser à la mairie de son village de 500 habitants après avoir embrassé le destin de son pays, ça fout une tarte.

Entre 2007 et aujourd'hui, Nihous a eu le temps de reprendre ses esprits. Il a aussi définitivement pris les rênes du parti en janvier 2008.

En cinq années à la tête de CPNT, il a largement ancré le parti –traditionnellement composé de tendances politiques faisant le grand écart– dans le paysage de la droite; en s'alliant sous l'étiquette Libertas avec Villiers pour les Européennes de 2009, en rejoignant le parti de la majorité présidentielle pour les régionales en 2010.

Après avoir pris ses distances, estimant qu'on ne l'écoutait pas suffisamment du côté de l'UMP, il a logiquement été de nouveau intronisé pour représenter la grande confrérie des amateurs de fusils et de gueuletons à base de gibiers.

Confronté à l'échec de sa candidature de 2007, il revient aujourd'hui avec un discours qui a évolué, qui ambitionne de ratisser plus large; Nihous sera le candidat de la ruralité.

Ne me piquez pas mes idées

L'idée n'est pas conne, loin de là. S'il n'avance pas encore trop d'idées concrètes –«de peur qu'on [le] pille», dit-il– son argument choc tient autour d'une formule qui l'est tout autant. Nihous veut être le père d'un «Plan Marshall de la ruralité». Fort de quinze millions d'électeurs potentiels avec son idée, il veut replacer les campagnes au centre du débat:

«La ruralité doit être un des grands cheval de bataille du prochain quinquennat. La ruralité, c'est des valeurs, une histoire, une culture, des territoires. Les gens qui vivent à la campagne ne sont pas des Français de seconde zone.»

Et c'est quand il parle de la sorte que Frédéric Nihous donne le meilleur de lui-même. Le peu de temps dont il bénéficie dans les médias nationaux ne lui laisse pas souvent l’occasion de le prouver, mais ce mec est doté du gène rare des bons politiciens. Le parti qu'il représente en fait nécessairement un bœuf idéologique dans la psyché commune, mais la vérité est qu'il est capable de faire preuve d'un sens acéré de l'analyse politique, des forces en présence et des valeurs qui portent aussi.

Et justement, à ce propos, le candidat entend bien appuyer son apologie à coups d'éléments de langage fondé sur «la solidarité», «le travail, un vecteur de croissance» ou encore «une économie de proximité». Et quand, on lui demande s'il n'a pas peur de s'aliéner les quarante-cinq autres millions d'électeurs, il a déjà une réponse toute faite:

«La ruralité, c'est un fonctionnement sur un mode de quartier. Ce que je prône, on peut le refaire en ville aussi. Il y a des quartiers périphériques –et je ne parle pas des banlieues– qui disparaissent au profit de l'hyper-centre

Parlez-lui de la banlieue justement, et il devient virulent, exprime son profond ressentiment à l'égard de politiques et de médias qui n'ont de yeux que pour les quartiers à problèmes, parce que c'est bien plus impressionnant. On sent que l'argumentaire est rôdé.

Parmi ses cibles favorites, il y aussi les «néo-colonialistes urbains». Avec ceux-là, il ne rechigne jamais à leur caler une petite bastos entre les deux yeux, parce que ces mecs qui viennent vivre à la campagne tout en réclamant un service équivalent à celui des villes, semble-t-il dire, faudrait un peu qu'ils atterrissent.

Et puis, de manière presque drôle, on en revient toujours aux Verts, et avec eux, plus on en parle et moins il prend de quartier. Je le revois bien, en train de fumer sa clope sur un tronc d'arbre, avec l'air mi-agacé, mi-trop content de pouvoir balancer une vacherie, qu'il prend quand on commence à le titiller un peu:

«Nos ennemis intimes et héréditaires, ce sont les Verts, c'est toute la mouvance écolo-extrême type Allain Bougrain-Dubourg, Fondation Brigitte Bardot, FNE, WWF, etc. Eux, ils disent clairement dans leurs programmes qu'ils veulent interdire la chasse, qu'ils veulent des restrictions sur l'agriculture, sur le monde rural. Ils veulent vitrifier le monde rural! Mais ce qu'on oublie, c'est que tout ça, ce sont des zones naturelles certes, mais aussi un espace de vie pour 15 millions de Français. Nous, on y vit. Ce n'est pas des zoos à ciel ouvert, on ne va pas faire une réserve d'indiens et de temps en temps on va venir nous jeter des cacahuètes en disant "Allez le bon peuple amusez-vous et taisez-vous". C'est pour ça qu'on est en opposition frontale, eux et nous.»

Nihous a raison de bâtir une grosse partie de son discours sur ce socle solide. La ruralité est une idée politiquement porteuse et le bonhomme en connaît un rayon sur la question.

Le 22 avril 2007, au soir du premier tour de l'élection présidentielle, Nihous, «fort» de son pourcent et quelques, annonce qu'il ne donnera pas de consigne de vote dans l'immédiat. De modestes tractations pour lui arracher un appel au vote s'engagent alors en coulisses.

Un émissaire de Ségolène Royal –probablement Jean-Louis Bianco ou François Rebsamen mais il n’est plus sûr– est le premier à dégainer le mardi suivant. Tel qu'il le raconte, le coup de fil est un peu surréaliste. Le type lui aurait dit:

«Bon vous votez pour Ségolène Royal d'accord?

- C'est tout?

- Oui c'est tout, il ne faut pas que Sarkozy passe au pouvoir.»

Nihous préfère en rire aujourd'hui. Côté UMP, c'est Brice Hortefeux qui se charge du boulot. Il appelle Saint-Josse qu'il connaît bien pour l'avoir côtoyé du temps du RPR et propose, en échange d'un appel au vote, une mission gouvernementale sur la ruralité en France, en cas d'élection.

Le choix est vite fait, Nihous appelle à faire barrage à la gauche. Sarkozy une fois élu tiendra parole. Et si le candidat est autant à fond sur la ruralité aujourd’hui, c'est aussi parce qu'il considère que ses recommandations n'ont pas été suivies.

Mais derrière ce créneau à fort potentiel, il a toujours un boulet à tirer, celui de la chasse.

Dans une France tiraillée par des fantômes économiques répondant aux noms de «crise», «chômage», «pouvoir d'achat» ou effrayée par l'épouvantail en carton «perte du triple A», imaginer que des types puissent déterminer leur vote uniquement à travers le prisme d'une passion pour la chasse est une pure utopie.

Au détour d'un sondage Ifop publié fin novembre 2011, on apprenait que parmi l'électorat chasseur –officiellement 1,4 million de personnes– Marine Le Pen arrivait comme la candidate numéro 1 avec 25% d'intentions de vote, devant François Hollande (22%) et Nicolas Sarkozy (16%). Nihous, lui, pointait très loin avec 7%.

Évidemment, il a eu vent de la chose. Mais il a beau pointer la temporalité ou accuser les vieux démons, le malaise est palpable:

«Il y a une colère chez les chasseurs, notamment contre l'écologie punitive, soit portée par les Verts, soit par un ministère de l'Ecologie qui est devenu le ministère des écologistes [...] Par rapport à ce sondage, on est dans le vote contestataire. Or on sait que le vote contestataire se cristallise dans les tout derniers temps de la campagne. Si ce sondage dit que 30% des chasseurs sont tentés par le Front national, il dit aussi que près de 50% des chasseurs ne savent pas encore véritablement pour qui ils vont voter au mois d'avril. Donc tout peut encore changer.»

Sociologiquement, la chasse est une pratique ancrée dans l'ADN de la France rurale. Avec 1,4 million de détenteurs de permis, l'Hexagone est en fait le premier pays cynégétique d’Europe.

Dans une société française on ne peut plus sclérosée, où les études, le travail et les catégories socioprofessionnelles ont tendance à cimenter les relations amicales, la chasse a cette vertu qu'elle permet la rencontre d'individus de milieux quasiment antagonistes, un peu à l'instar de ce qui se produit en Angleterre dans les pubs.

Et ce ciment social qui fait un bout de la personnalité de Nihous, cette manière de garder pied avec la société, il s'en gargarise à fond et ça le rend attachant.

«La chasse, c'est un vrai mélange social, une passion commune. Dans le Nord, quand je partais chasser à la hutte avec mon équipe, il y avait moi le politique, mon père, dentiste, un troisième qui était routier et un quatrième, agriculteur. Ici, dans mon équipe, l'un est artisan garagiste, un autre est ouvrier dans une entreprise de maçonnerie et le dernier est soudeur. Et même pour la battue –les chasses collectives– il y a de tout aussi, c'est l'égalité. Y a pas Monseigneur qui arrive et qui dicte sa loi!»

«C'est comme ça la chasse»

C'était pour m’approcher de cette logique de relations sociales destructurées que je suis allé à la chasse, sur ses terres, avec Frédéric Nihous. Parce qu'un mec n'est jamais aussi à l'aise, en mesure de donner un aperçu de toute l'étendue de son potentiel, que sur son propre terrain.

À des fins d’authenticité, j’aurais préféré qu’on fasse ça avec son équipe; le truc se sera passé entre quatre yeux, le fusil posé le long d'un arbre la majorité du temps. Paraît que c'est tristounet la chasse à la palombe cette année, qu'en y a eu peu parce «qu’y a plus de saison», «qu'il n'y a pas eu un coup de froid», «pas de bons vents». «C'est comme ça la chasse», a-t-il ajouté.

Les spécialistes du coin s'interrogent d'ailleurs très sérieusement sur la fin programmée d'une vieille pratique. Autrefois opulente, les chasses sont aujourd'hui maigrichonnes. Et la cause ne serait même pas une histoire de disparition de l'espèce.

Grâce à des petites balises dont ils les ont équipés, les biologistes ont découvert que ces piafs qu'on a longtemps pris pour des migrateurs ne le seraient pas tant que ça. Et ils ne passeraient même plus la barrière pyrénéenne. Avec le réchauffement climatique, certains resteraient tout simplement sur leurs lieux de nidification, en Pologne ou au sud du Portugal.

Et pied de nez ultime, de plus en plus de palombes s'installent en ville, notamment à Paris. Du coup, pendant que nos bestioles supplantaient les pigeons des villes à Paname, ma partie de chasse à Monein tombait complètement à l'eau. Jusqu'au dernier moment, j'y ai cru, tentant d'exorciser l'inaction par la parole:

«Dis donc, il ne se passe pas grand-chose là...

- Non, aujourd'hui on voit rien voler, rien du tout, c'est la catastrophe absolue.

- Bon, et on est où là?

- Là, techniquement on est sur un reposoir à palombes. Quand il y a de la palombe dans le coin, elles viennent se percher dans les arbres et on les tire. Et si elles se posent plus loin on essaie de s'approcher pour pouvoir les tirer dans de bonnes conditions.

- Et là le chien, il sert à quoi?

- Il sert pas à grand-chose dans ce type de chasse, le chien, juste à aller récupérer le gibier. Mais il prend l'air.

- ...

- Ouais, c'est Waterloo, morne plaine.»

Bilan de la chasse, pas un coup de feu tiré. Mais ça, j'imagine que l'ami Nihous s'y attendait, la palombe, traditionnellement, c'est de toute façon une chasse qui se pratique plus tôt dans l'année.

Quelque part, pour avoir de l'action, mieux vaut aller chasser avec un type comme Vladimir Poutine. Lui au moins, il s'arrange pour que les bêtes soient disposées à se faire dégommer, histoire d'honorer ses hôtes quoi.

Vladimir Poutine lors d'une partie de pêche (RIA NOVOSTI / REUTERS). Retrouvez Poutine l'aventurier en photos grand format ici.

Le roi d'Espagne a eu le bonheur de pouvoir shooter un ours bourré à la vodka, ce qui avait beaucoup amusé la presse espagnole en 2006.

Nihous a moins cette qualité, il ne triche pas. «En France, on peut perdre mais en restant debout c'est l'esprit français. Faut en chier», se plaît-il à dire. Et en chier, c'est bien ce qui risque de lui arriver à ce bon Frédéric Nihous.

Parce que la réalité, c'est que le vote chasseur ne veut plus rien dire en 2012, il ne correspond plus à aucun standard. Même le nom du parti qu’il défend paraît sorti d'une autre époque. Chasse, Pêche, Nature, Traditions, il faut quasiment attendre le quatrième mot pour avoir un début de manifeste politique. Et encore, méfiance avec les «traditions», les esprits tordus pourraient vite y voir l'image d'une France rétrograde, pour ne pas en dire plus.

Dès lors, comment pourrait-on sincèrement imaginer encore aujourd'hui que des types puissent voter pour un parti seulement parce que leur petit plaisir de la semaine consiste à aller tirer sur des lièvres, des chevreuils ou des canards, ripailler un bon coup et s’envoyer deux trois rasades de gnôle le dimanche? Sur ce point-là, même Nihous ne se fait pas d'illusion et concède à demi-mot que l'amour de la gâchette de certains ne lui assure plus un vote aussi automatique qu'une rafale d’AK47.

«Il y a peut-être une évolution par rapport à la fin des années 1990 et les gros scores de CPNT à l'époque. Il y a effectivement tout un tas de considérations qui intervient sur le vote et pas seulement la chasse. La sécurité, le chômage, l'immigration, etc. Mais je ne me fais pas trop de souci, une fois que la campagne aura véritablement démarré, que j'aurai accès aux médias, je pourrais exposer mes idées, mes revendications en matière de chasse et il n'y aura pas photo.»

Dans les années à venir, Nihous risque sans doute d'avoir un choix à faire. Dans une France où on nous bassine avec un retour des citadins vers les campagnes depuis quarante piges –l'idée fait long feu, Houellebecq l’a même recyclée pour en faire la théorie assumée de son dernier ouvrage– son sacerdoce, sa volonté d'embrasser la défense de la ruralité en guise de pénitence est nécessairement guidée par la croyance qu’il est sur le bon sentier.

Mais, Frédéric Nihous, aussi malin soit-il politiquement, ne pourra tirer parti de tout son potentiel que s’il se défait de l'archaïsme de tout un système de valeurs qui ont fait les meilleures heures d'un parti qui a sans doute besoin d'être réformé. Son élévation passera par-là.

Loïc H. Rechi

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