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A Singapour, les ministres millionnaires acceptent des réductions de salaire

Temps de lecture : 4 min

Le Premier ministre de la deuxième nation la plus riche d’Asie après le Japon reste le dirigeant le mieux payé du monde.

Nouvel an chinois à Singapour, en janvier 2012. REUTERS/Edgar Su
Nouvel an chinois à Singapour, en janvier 2012. REUTERS/Edgar Su

En pleine austérité, accepter une baisse de salaire de 36% en étant Premier ministre, c’est a priori s’ériger en parangon de la vertu –d’autant plus quand on est à la tête du Wall Street asiatique. Pourtant, en suivant les recommandations du comité de révision des salaires sans même les discuter, le chef du gouvernement singapourien Lee Hsien Long pensait plutôt faire passer à la trappe les discussions sur sa fiche de paie. C’était oublier qu’avec ses 2,2 millions de dollars singapouriens annuels (1,3 million d’euros), il reste de toutes façons le leader le mieux payé du monde.

A la base, c’était une promesse électorale: avec un salaire médian à 2.700 SGD (1.630 euros) et un écart entre le plus riches et les plus pauvres qui ne cesse d’augmenter à Singapour, le Premier ministre avait promis en mai dernier la mise en place d’un comité indépendant pour réviser les émoluments des haut fonctionnaires.

Même si Singapour est la deuxième nation la plus riche d’Asie après le Japon, son salaire représentait en 2010 40 fois le montant du PIB par habitant! Heureusement pour lui, personne n’a encore eu l’idée ici de mettre en place ce petit instrument, qui permet aux Américains de calculer en combien de temps le candidat républicain millionnaire Mitt Romney empoche leur salaire.

Quatre fois plus payé qu’Obama pour 5 millions d’administrés

Le dit comité s’est finalement basé sur les mille salaires du privé les plus élevés, puis a opéré une réduction de 40% au nom de «l’éthique publique». Résultat, Lee Hsien Long reste toute de même en tête du classement des dirigeants les mieux rémunérés (pour repère, Nicolas Sarkozy se classe lui 5e), et il est payé quatre fois plus qu’Obama ou huit fois plus que le Premier ministre britannique, David Cameron – pour administrer une cité-état de cinq millions d’habitants seulement.

Quant à ses ministres, ils subissent une coupe de 37% en moyenne, avec des salaires qui commencent à 600.000 euros et varient selon leurs échelons administratifs. Et l’effort consenti devient tout relatif lorsqu’on se rappelle que les salaires ministériels avaient, il y a cinq ans seulement, justement été augmentés de 60%.

Car c’est le septième débat sur le sujet sur les trente dernières années de vie politique. En 1994, Lee Kuan Yew, le père de la Nation (et aussi père de l’actuel premier Ministre) avait tranché : il fallait aligner les salaires du cabinet sur ceux du secteur privé.

En s’appuyant sur trois arguments – qui sont toujours les même vingt ans plus tard: un ministre bien payé est un ministre moins facilement corruptible ; le service public doit rester compétitif face au secteur privé pour être capable d’attirer les cerveaux nécessaires à une bonne gouvernance; un ministre doit penser à «son avenir et celui de ses enfants», sachant qu’il est «difficile» de trouver des débouchés après avoir servi la nation.

Je ne m’aventurerai pas à commenter le premier point, je pourrais y risquer mon visa. Le deuxième point peut lui être objectivement contesté lorsqu’on découvre le salaire du président de la république Singapourienne – qui se limite à un petit rôle de représentation… un salaire de 930.000 euros après avoir été réduit cette semaine de 51%.

Quant au troisième point, qui a l’air d’être une préoccupation universelle chez les hommes politiques, il semble que les Singapouriens parviennent à repasser dans le privé tant bien que mal. Le leader du parti de la Réforme, Kenneth Jeyaretnam, raconte dans son blog comment George Yeo, l’ancien ministre des Affaires étrangères, sacrifié lors des dernières élections, a retrouvé un boulot dans une entreprise immobilière.

Un débat géant sur les motivations du service public

Reste que Lee Hsien Long a tenu sa promesse… et qu’il a immédiatement accepté la proposition du comité début janvier, avant même qu’elle ne soit soumise au parlement il y a quelques jours. Même s’il est assez difficile de savoir ce qu’en pensent réellement les Singapouriens, le sujet a monopolisé les débats et les Unes des médias du pays pendant plusieurs jours. Il faut dire que depuis mai, l’opposition est un peu plus présente, et du coup, pas moins de trente députés, tous partis confondus, ont débattu tour à tour.

Le Parti d’Action Populaire au pouvoir depuis 45 ans, a sans cesse cherché à marginaliser la position de l’opposition; cette dernière a tenté de replacer la notion de service publique au cœur du débat démocratique, et ses partisans l’ont défendue becs et ongles dans la sphère publique – en l’occurrence, Internet, la seule sous laquelle le débat politique est pour l’instant toléré.

Reste que dans ce pays libéral à l’extrême, qui s’est construit sur le modèle des Etats-Unis, il n’y a pas de tabou sur les hauts salaires… et c’est presque sans surprise que le Parti des Travailleurs ait lui proposé des salaires mensuels s’étalant entre 18.000 et 30.000 euros pour les ministres – avec une méthode de calcul qui semble un peu plus transparente, omettant les bonus alambiqués.

Cela donne en tous cas à réfléchir sur la voie dans laquelle l’Asie s’engage: le deuxième leader le mieux payé du monde est également asiatique, il s’agit de Donald Tsang, à la tête de Hong Kong. Même s’il est loin derrière Lee Hsien Long, une tendance s’esquisse.

Certains hommes politiques des pays voisins en ont profité pour citer Singapour en exemple dans leurs propres pays et appeler de leurs vœux un alignement sur ces salaires. Comme le vice président indonésien Boediono: il a repris les arguments de bonne gouvernance lors d’une grande réunion de la fonction publique à Djakarta il y a quelques jours.

Carrie Nooten (à Singapour)

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