Alors que la justice américaine a condamné à 386 jours de prison Richard Franco, qui harcelait l’actrice Halle Berry depuis le mois de juillet 2011, le «stalking», un type de harcèlement, reste un phénomène mal connu de notre société, et contre lequel la France ne dispose d’aucune loi.
Téléphone qui n’en finit plus de sonner, messagerie qui explose, courriers et cadeaux plein la boîte aux lettres. L’agresseur est là, au coin de la rue, assis au café d’en face ou posté devant la fenêtre. De sa «proie», il connaît tout, jusqu’au moindre détail de son emploi du temps. Il décide. Elle subit.
Un enfer qu’a vécu Marie, 45 ans, harcelée pendant deux ans par son ex-mari. «Une vie à fleur de peau, remplie de peurs et d’anxiété, agitée de nombreux cauchemars, raconte-t-elle. De quoi devenir folle.»
Bien connu des services de police, ce type de harcèlement porte un nom: le «stalking», ou «traque furtive». Aucune statistique ni étude ne permettent d’évaluer l’ampleur exacte du phénomène. Parfois, un inconnu choisit sa «proie» au hasard, au détour d’une rue. Mais c’est rare. Le plus souvent, il s’agit d’un ex-conjoint qui supporte mal une rupture et qui se lance dans une traque sans fin, dans un désir confus de vengeance et de réconciliation.
12% à 16% des femmes en danger
Littéralement, le mot «stalking» se réfère à l’approche furtive qu’ont les chasseurs pour tuer le gibier. Aux Etats-Unis, le terme prend un sens juridique dans les années 1990 lorsque l’actrice Rebecca Schaeffer est assassinée en Californie, par un fan. L’assassin, Robert John Bardo, l'inondait de lettres d’amour depuis plusieurs mois.
Dans la décennie suivante, d’autres meurtres, toujours précédés de tentatives de plainte pour harcèlement, ont entraînés l’adoption de lois anti-stalking dans tous les Etats américains. Seul le Maine n’a pas encore légiféré.
Lorsque le stalking est dirigé à l’encontre de personnalités, «on a affaire à des profils érotomanes», explique la criminologue Murielle Anteo, membre de l’association AJC (contre les violences intra-familiales et le stalking), quelqu’un «qui vit dans l’illusion délirante d’être aimé par une personne».
Dans l’Hexagone, Mylène Farmer a été harcelée par un fan qui, le 14 décembre 1991, est allé jusqu’à tuer une standardiste pour l’approcher. Plus récemment, Marie Drucker, Virginie Effira et Marion Cotillard ont été victimes de cette forme de harcèlement.
Mais ces quelques cas, largement médiatisés, n’ont pas suffit à alerter les pouvoirs publics puisque le stalking reste absent des dictionnaires français et du code pénal.
En se basant sur des études faites en Autriche et en Allemagne, Solène Pasquier de Franclieu, psychiatre au service médico-légal de l’Hôtel Dieu, évalue pourtant que 12 à 16% des femmes et 4 à 8% des hommes sont susceptibles d’être concernés.
«Les chiffres peuvent varier d’un pays à l’autre en fonction de leur définition du stalking», précise-t-elle. «En France, le phénomène est très difficile à chiffrer à cause de l’absence d’études.»
Première femme à avoir présenté le cas aux Entretiens de Bichat de 2010, la psychiatre se fie aux études étrangères et à sa propre expérience pour affirmer que «80% des stalkers sont des hommes alors que 80% des victimes sont des femmes».
Des femmes pour qui les conséquences psychologiques sont souvent terribles. Marie n’a pas pris de traitement ni suivi de thérapie. «J’ai surtout perdu deux ans de ma vie, témoigne-t-elle, car il y a beaucoup de choses que je n’osais plus faire.»
Peu de victimes s’en sortent ainsi. Sur le forum de l’association AJC, Agathe* explique qu’elle a dû suivre une thérapie de cinq mois, après avoir été intensément harcelée par son ex-mari. Le temps nécessaire pour comprendre qu’elle était la victime et non le «bourreau», comme le lui laissait entendre son ex.
«Je ne me suis jamais sentie aussi humiliée et malheureuse qu’à cette époque, écrit-elle, il jurait qu’il allait me pourrir la vie, que je ne serais plus jamais tranquille.»
Victimes isolées, stalkers sans limites
Le docteur Pasquier de Franclieu affirme que la plupart des victimes souffrent de stress, de dépression, ou même d’idées suicidaires. Les conséquences psychologiques ne sont pas systématiques, mais le stalking provoque d’inévitables troubles psychiques et gâche la vie des victimes.
«Ce genre d’agression isole énormément, ajoute Murielle Anteo, la victime se sent persécutée, elle bascule dans la quatrième dimension, c’est un sentiment qui rend fou.»
Du côté des stalkers, tous n’ont pas un passé psychiatrique. Les profils sont très hétérogènes, poursuit-elle:
«Certains ont des troubles mentaux avérés mais ce n’est pas une majorité, explique la psychiatre, d’autres ont un profil de prédateur sexuel et risquent plus facilement de passer à l’acte. D’autres encore peuvent souffrir d’une déficience intellectuelle et se transformer en stalkers parce qu’ils n’ont pas de repères.»
La variété de ces profils rend la prise en charge difficile pour les équipes médicales. A moins que le stalker lui même ne demande de l’aide. Ce qu’a fait Anna*, 26 ans, après avoir traqué un ex-petit ami pendant un an.
Lorsqu’Anna rencontre Franck* au cours de l’été 2009, elle a 24 ans et n’a jamais eu de relation avec un homme. Il est déjà en couple. Elle est sa maîtresse pendant près de six mois. Lorsqu’elle lui demande de choisir entre elle et «l’autre fille», il coupe les ponts.
Ne supportant pas la rupture, la jeune femme se lance alors dans un harcèlement intense. Coups de téléphone incessants, mails, aller-retour Pas-de-Calais/Essone «sur un coup de tête», tout était bon pour rester proche de lui.
«J'ai failli faire de grosses bêtises, raconte-t-elle, j'étais rongée par mes émotions: l'obsession, la folie, la dépression, le désir de mort envers moi, et envers lui. Et puis il y a eu l'autodestruction, ajoute-t-elle, et les scarifications. Je me suis gravé des mots au cutter sur le ventre.»
Mais lorsqu’elle est menacée de perdre son travail, l’agent de tourisme décide de réagir. Un traitement à base d'antidépresseurs ainsi qu’une longue thérapie lui permettent peu à peu de s’en sortir. «J’ai repris 15 kilos et j’ai retrouvé le goût de vivre, conclut-elle, je suis très fière d’avoir pris une telle décision.»
Une initiative rare chez les stalkers. L’ex-compagnon de Marie par exemple, a mis la vie de sa victime en danger à plusieurs reprises. D’abord, en s’introduisant illégalement chez elle. «Il a tout cassé et m’a menacée de mort, se souvient-elle, j’ai dû m’enfuir pour appeler la police.»
Puis une seconde fois, en la poursuivant en voiture, l’obligeant à rouler à plus de 170km/h sur une nationale. «Il était comme un fou, raconte-t-elle, il voulait me tuer.» Violation de domicile et dégradation de biens avec menace, Marie peut finalement porter plainte. Jugé, son ex-mari se voit imposer un traitement et un suivi psychiatrique. Depuis, le harcèlement a cessé.
«La justice attend-elle que je sois morte pour agir?»
«Le passage à l’acte est toujours possible, affirme Murielle Anteo, mais aucun psychiatre ne s’aventurera à dire à quel moment, comment et pourquoi.» Les études du bureau de Justice américain sont alarmantes: 36% des agressions aggravées contre les femmes, 53% des viols et 22% des homicides seraient commis par des stalkers (1).
«Attendre et redouter ce moment est ce qu’il y a de plus angoissant pour les victimes», dit le docteur Pasquier de Franclieu. D’autant plus lorsque l’on sait que le harcèlement dure en moyenne entre 28 et 30 mois, soit plus de deux ans sans savoir à quoi s’attendre.
Sandrine, victime d’un ex-petit ami violent, raconte:
«Je n’ai jamais baissé les bras, j’ai écrit au préfet chaque fois que je portais plainte, et au procureur. Je leur demandais si la justice attendait que je sois morte pour agir. Ils me répondaient de faire le 17 en cas de danger.»
Car face à ce phénomène, la police et la justice françaises ne peuvent pas grand chose. Stéphane Lievin, représentant du personnel au syndicat Unité police, et homme de terrain, dit être régulièrement confronté à ce type de situation:
«On se déplace autant que l’on peut pour assister les victimes dans leur démarche, mais nous sommes désarmés car il nous manque tout un arsenal juridique.»
Marie confirme avoir été prise en charge «par des gens très bien, qui se sont déplacés à chaque appel». Mais ses cinq mains courantes n’ont servi à rien. C’est seulement lorsque son ex-mari s'est introduit chez elle et l’a poursuivie en voiture après des mois de harcèlement qu’elle a pu déposer plainte et obtenir que son dossier soit examiné par le procureur.
Aujourd’hui, la loi française reconnaît le harcèlement moral et le harcèlement sexuel au travail. Depuis peu, elle reconnaît aussi le harcèlement moral au sein du couple, puni depuis la loi du 9 juillet 2010. Avant cette loi, seules les violences physiques conjugales étaient punissables.
Depuis 2010, le législateur considère le harcèlement psychologique entre personnes mariées, pacsées, concubines ou séparées, comme un délit passible d’une peine de prison et d’une amende. Cette nouvelle loi pourrait protéger les victimes harcelées par un ex-conjoint mais elle est peu appliquée.
Certainement «parce qu’il est très difficile de prouver que l’on est victime de stalking», explique Laurent Hinker, avocat spécialisé sur les questions de harcèlement. «La loi prévoyait un rapport sur la formation de tous les professionnels pour le mois de juin 2011, ajoute-t-il, mais les formations n’ont jamais eu lieu. Comment alors traiter efficacement d’un problème pour lequel personne n’est formé?»
Difficile aussi de quantifier la dose de harcèlement «nécessaire» pour qu’une victime soit prise au sérieux. Actuellement les spécialistes français, comme Murielle Anteo ou Solène Pasquier de Franclieu, considèrent qu’il y a stalking à partir de dix messages ou tentatives d’approches quotidiens pendant un mois.
Certains pays prévoient, dans leur code pénal, un nombre d’actes minimum pour qu’un stalker puisse être jugé. Au Royaume-Uni par exemple, un individu signalé à deux reprises à la police peut être inquiété pénalement. Sur l’île de Malte, il suffit d’un seul appel.
Policiers et associations contraints d’improviser
Législateurs, spécialistes et avocats ne savent expliquer les raisons de ce retard français. Le stalking n’intéresse-t-il donc personne dans notre pays?
Le 17 mai 2010, un groupe de sénateurs a déposé une proposition de loi, relative au harcèlement criminel. Elle vise à punir pénalement «les actes tels que les appels téléphoniques ou les courriels incessants, la surveillance du domicile ou du travail, les comportements menaçants quels qu'ils soient, les intimidations répétées, etc», des spécificités non prévues par la loi de 2010. Sylvie Goy-Chavent, sénatrice à l’origine de cette initiative, constate avec amertume que le gouvernement n’a pas inscrit cette proposition à l’ordre du jour des assemblées.
«Aujourd'hui, il faut attendre qu'un délit ou qu'un meurtre se produise pour que la police puisse enfin intervenir, déplore-t-elle, la France est un pays très conservateur dans ce domaine.»
En attendant qu’un cadre législatif permette de prévenir ces comportements, avocats, policiers, psychologues et associations improvisent. A l’AJC, on propose par exemple aux victimes d’avoir un sifflet autour du coup, «pour se faire remarquer en cas de danger», justifie Murielle Anteo.
«De notre côté, on les renvoie vers la gendarmerie, commente Laurent Hinker, mais il n’y a jamais de suivi.» La criminologue et l’avocat dénoncent une politique du chiffre qui selon eux, dirige les commissariats. «Ces affaires sont impossibles à résoudre, estime Laurent Hinker, personne ne veut les traiter parce qu’elles ne donnent aucun résultat.»
Une analyse confirmée par l’officier Lievin qui évoque néanmoins le manque de moyens des policiers:
«Nous courons d’urgence en urgence en fonction de l’actualité puis, faute de moyens, nous laissons tomber pour nous concentrer sur autre chose.»
Les victimes n’ont pas d’autre choix que celui d’attendre que le harcèlement cesse, en tout cas tant que le stalker ne passe pas à l’acte. Même lorsque les policiers se déplacent, cela ne suffit pas toujours. «Une intervention de la police suffit à en effrayer certains, dit l’officier Lievin, mais face à quelqu’un qui connaît ses droits, on ne peut rien faire. On ne peut pas empêcher quelqu’un de se promener sur la voie publique.»
Seule solution pour les victimes, déposer des mains courantes. Face à un ex ou un inconnu planté sous la fenêtre à toute heure du jour et de la nuit, il est impossible de faire quoique ce soit. «Si le harceleur est un inconnu total, on tente le flagrant délit, précise tout de même Stéphane Lievin, mais ça peut durer des mois et parfois, c’est un traumatisme irréparable.»
Le retard de la France en la matière est d’autant plus grave que l’arrivée des réseaux sociaux change la donne. «Les nouvelles technologies facilitent la tâche du stalker, explique la psychiatre Pasquier de Franclieu, il n’a plus besoin d’affronter sa victime et se sent tout puissant.»
La Pologne, dernier pays en date à avoir légiféré sur la question en juin 2011, a ainsi prévu de sanctionner les internautes qui créent de faux profils sur les réseaux sociaux dans le but de nuire à la réputation d’une personne.
Jeudi 8 décembre 2011, la première clinique destinée à prendre en charge les stalkers a ouvert ses portes à Londres. «L’objectif est de traiter ces personnes plutôt que de les punir», rapporte le quotidien anglais The Independent. Autrement dit, pendant que nos voisins avancent sur la gestion d’un phénomène de plus en plus fréquent, la France stagne.
Amandine Briand
*Les prénoms ont été changés
(1) Le stalking. De la
prédation tolérée par la société / Murielle Anteo - AJC. Retour à l'article.