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Avec l'entrée en Bourse de Facebook, Zuckerberg va disposer d'un pouvoir stupéfiant

Temps de lecture : 5 min

Catégories d'actions, nomination des administrateurs, transmission du capital: tout a été fait pour renforcer la mainmise du fondateur de l'entreprise.

Barack Obama et Mark Zuckerberg, lors d'une rencontre au siège de Facebook, le 20 avril 2011. REUTERS/Jim Young.
Barack Obama et Mark Zuckerberg, lors d'une rencontre au siège de Facebook, le 20 avril 2011. REUTERS/Jim Young.

Au moment de son entrée en Bourse, Facebook fera l'expérience d'une dictature d'entreprise quasiment sans précédent pour une société aussi importante et prestigieuse.

Toutes les grandes entreprises sont, évidemment, dirigées par de puissants PDG. Et quand le PDG est aussi le fondateur de l'entreprise, son contrôle a tendance à être magnifié. Mais formellement parlant, ce sont les actionnaires qui possèdent les entreprises, et c'est un conseil d'administration qui, du moins en théorie, est censé veiller aux intérêts des actionnaires.

En pratique, c'est souvent difficile. Prenez l'exemple d'ExxonMobil, l'entreprise la plus importante d'Amérique, et vous verrez qu'aucune entité n'en détient plus de 4,19%. De plus, l'actionnaire en question —le groupe Vanguard— est une société de gestions d'actifs, tout comme le sont State Street, BlackRock, la Banque de New York Mellon, et FMR– les autres principaux actionnaires. Les cinq actionnaires les plus importants d'Apple, deuxième plus grosse entreprise des Etats-Unis, sont FMR, Vanguard, State Street, T. Rowe Price et Black Rock.

Voilà comment fonctionnent en général les mastodontes américains. La propriété est dispersée et les actionnaires les plus importants sont des sociétés d'investissement détenant des parts dans toutes les grosses entreprises du pays, sans aucune expertise sectorielle spécifique. Vanguard n'est pas un double génie de l'électronique et du pétrole, c'est juste un énorme réservoir d'argent qui possède un bout de toutes les entreprises américaines les plus importantes.

Actionnaires éparpillés

Et c'est dans la distribution de la propriété qu'on retrouve un problème classique de la gouvernance d'entreprise à l'américaine: les actionnaires sont tellement éparpillés qu'il leur est difficile d'exercer leur influence sur des conseils d'administration largement contrôlés par les PDG et leurs alliés.

Facebook projette de pousser cette logique jusqu'à son extrême. Elle la débarrassera de ces éléments les plus subtils et vous dira le plus naturellement du monde que vous, ou n'importe qui d'autre, aurez beau mettre la main sur toutes les actions Facebook que vous voudrez, ce sera toujours l'entreprise de Mark Zuckerberg.

Après son ouverture de capital, Zuckerberg ne possédera environ que 28% de Facebook, mais l'entreprise sera structurée de telle manière qu'elle aura deux types d'actions, les actions de catégorie A et celles de catégorie B. Chaque action de catégorie B équivaudra, en termes de poids de vote, à 10 actions de catégorie A. Ajoutez les actions de catégorie B que possède Zuckerberg aux mandataires qu'il contrôle, et c'est 57% des droits de vote de l'entreprise qui lui reviennent.

Des actions qui se transforment

Distinguer deux catégories d'actions est une chose assez courante, surtout pour des entreprises qui ont une gestion familiale, comme le Washington Post [1], mais qu'une seule personne ait la majorité absolue dans une entreprise aussi importante est un phénomène extrêmement rare. Même Bill Gates contrôlait moins de 50% de Microsoft après son ouverture de capital.

Et vous n'avez pas encore tout vu. Si un actionnaire de catégorie B vend ses actions à quelqu'un d'autre, elles se transforment comme par magie en action de catégorie A. Ce qui signifie que si un autre actionnaire de catégorie B liquide ses parts, Zuckerberg ne fera qu'asseoir encore plus sa domination.

Mais vu que Zuckerberg contrôle personnellement une majorité des voix, il n'y a pour le moment aucun avantage à posséder des actions de catégorie B, et personne n'a vraiment intérêt à s'y cramponner. Ce qui, au final, veut dire que lorsque les partenaires de Zuckerberg auront quasiment tout liquidé, il pourra vendre bon nombre de ses actions de catégorie B sans sensiblement diminuer son contrôle personnel de l'entreprise.

Et Zuckerberg, à long terme, a clairement l'intention de garder les choses en l'état, comme en témoigne la structure de gouvernance inhabituelle proposée pour Facebook. En règle générale, il faut qu'une majorité des membres du conseil d'administration d'une entreprise américaine soit des «indépendants», et pas des dirigeants de la société. Il faut aussi qu'un comité spécial d'administrateurs existe pour statuer sur la rémunération des dirigeants et la nomination de nouveaux administrateurs.

Même la mort n'y peut rien

Mais Facebook, en tant qu'«entreprise contrôlée», peut déroger à ces règles –des dérogations dont elle a bien l'intention de profiter. En particulier, elle a déclaré que son conseil d'administration n'aura pas de fonction de nomination indépendante et qu'elle se réserve le droit de se dispenser des administrateurs indépendants comme d'une commission spéciale.

De plus, la métamorphose des actions de catégorie B en actions de catégorie A souffre d'une exception «à des fins de planification successorale» et précise que «dans le cas où M. Zuckerberg contrôle notre entreprise au moment de sa mort, le contrôle pourra être transféré à une personne ou une entité désignée par lui comme son successeur».

Pour le dire en deux mots, rien, absolument rien —et pas même la mort— n'ôtera à Zuckerberg le contrôle de sa société.

En tant que proposition d'investissement, tout cela est rudement risqué. On peut facilement se moquer de Zuckerberg quand il proteste que «ce n'est pas une question d'argent», mais il mérite d'être pris au sérieux. Si, après son ouverture de capital, Facebook voit sa cotation ne jamais atteindre ses objectifs boursiers, ce sera une catastrophe pour ses actionnaires, mais Zuckerberg restera toujours immensément riche. Il a déjà fait d'énormes donations aux bonnes oeuvres, et il est tout à fait plausible que d'autres choses lui tiennent aujourd'hui davantage à cœur que l'augmentation de ses revenus: le pouvoir, la gloire, l'autonomie, et l'estime de ses concitoyens sont des objectifs existentiels parfaitement raisonnables.

Résolument du côté casino

Il y a quelque-chose de glorieusement honnête et réel dans le nouvel empire de Zuckerberg. La ligne de démarcation entre l'investissement boursier et le jeu d'argent a toujours été un peu floue, mais Facebook choisit aujourd'hui de se tenir résolument du côté casino de la frontière. Acheter une action Facebook, c'est parier qu'à un moment quelconque du futur, une quelconque future personne voudra vous la prendre pour plus cher.

Mais vous n'obtiendrez même pas une part fictive du contrôle de l'entreprise. Absolument rien n'empêchera le PDG d'acheminer les profits de Facebook directement dans sa poche plutôt que dans la vôtre. Et on ne cherche même pas à vous baratiner et vous promettre qu'il essaiera de maximiser la valeur de votre investissement. Il a créé l'entreprise, il contrôle l'entreprise, il contrôlera toujours l'entreprise et il vous permet gracieusement de lui donner une partie de votre fonds de roulement.

En un sens, c'est déjà comme ça que l'investissement fonctionne aujourd'hui. Les fonds de gestion active sont un mauvais placement pour les investisseurs, tout comme le sont les hedge funds et les fonds de capital-investissement. Mais si vous investissez sur des indices diversifiés, en suivant l'avis général, alors vous abandonnez par définition toute possibilité de contrôler les entreprises que vous «possédez» nominalement. Autant remettre votre argent à Zuckerberg.

Matthew Yglesias

Traduit par Peggy Sastre

[1] Maison-mère de The Slate Group, qui regroupe plusieurs publication dont Slate.com, le Washington Post est également actionnaire à hauteur de 20% de Slate.fr. Revenir à l'article

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