Après des mois de rumeurs, ça y est, le 1er février, Facebook a déposé son dossier d’entrée en Bourse. Faut-il immédiatement aller acheter un matériel de survie en vue d’une future crise boursière qui nous laissera seulement nos ondes wifi pour pleurer?
D’abord, précisons que Facebook gagne effectivement des sous. Son chiffre d’affaire pour 2011 est environ de 3,7 milliards de dollars (pour un milliard de bénéfice net). Ce qui, en soi, est fort honnête.
Le tout vient essentiellement des encarts de pub sur le site, certes assez discrets (si Mark nous collait des pop-ups partout, il sait que les utilisateurs se barreraient immédiatement). Mais ils valent tout de même cher parce qu’ils sont personnalisés. Facebook propose effectivement aux annonceurs de cibler, par exemple, les femmes citadines françaises de trente ans. La petite taille de la pub est alors compensée par la pertinence de son ciblage.
En outre, Facebook se développe de plus en plus en signant des accords avec d’autres entreprises. En effet, Mark Zuckerberg a eu l’intelligence d’encourager les développeurs extérieurs, un peu comme Apple le fait avec l’iPhone. Ainsi, Zynga, la société qui a entre autres créé le jeu Farmville, reverse 30% du produit de ses transactions à Facebook.
Magie de la virtualité et de la spéculation
Mais il ne vous aura pas échappé que, d’un chiffre d’affaire de 3,7 milliards de dollars, on passe à une valorisation boursière à 100 milliards. Magie moderne de la spéculation.
C’est là que cette histoire d’introduction en Bourse est un exemple parfait de ce qu’on peut qualifier de «vaste-n’importe-quoi-spéculatif-le-monde-est-devenu-fou». La valorisation boursière de Facebook n’a rien à voir avec sa valeur réelle et ça n’a pas l’air de déranger grand monde. D’abord, les investisseurs parient sur le potentiel du site. Avec un fort effet psychologique du type: «Mark Zuckerberg est un génie, il va réussir à monétiser encore plus son entreprise, on sait pas trop comment mais on y croit très fort».
Ce qui vaut de l’or chez Facebook, c’est la combinaison de deux éléments: les données personnelles des utilisateurs, c’est-à-dire tous les renseignements que Facebook a sur nous, multipliées par le nombre de ses utilisateurs, soit environ 845 millions (chiffres de décembre 2011). C’est un trésor pour les publicitaires et les entreprises mais un trésor qui reste largement virtuel. A chaque fois que Mark a tenté de se servir plus précisément de ces données (notamment en modifiant les règles de confidentialité des données sur le site), les utilisateurs ont réagi violemment en menaçant de quitter le réseau et Zuckerberg a dû reculer.
«La route va se terminer»
Mais pour la Bourse, un trésor, même virtuel, reste un trésor sur lequel on peut spéculer. Et là, on rentre dans le deuxième effet psychologique. Si potentiellement l’entreprise peut valoir très cher, alors il faut absolument acheter dès son introduction en Bourse des actions. Une loi de l’offre et de la demande qui fait mécaniquement grimper la valeur de l’action. Et c’est comme ça qu’on atteint des sommets qui sont totalement déconnectés de la réalité.
L’année dernière, Duff MacDonald, journaliste à Fortune, avait calculé qu’avec la valorisation de Facebook à 100 milliards, il faudrait six ans pour rentabiliser un investissement dans le réseau (et encore, il était optimiste puisqu’il tablait sur un chiffre d’affaire qui doublerait chaque année). Ce qui l’amenait à la conclusion suivante:
«La seule raison de payer quelque chose approchant la valeur boursière de Facebook et de Twitter serait de supposer que quelqu’un d’encore plus fou que vous attend au bout du chemin pour vous acheter vos actions. Ah oui, la méthode de l’investisseur le plus fou. Elle est sûre, sauf si vous êtes le fou qui se retrouve avec le sac quand la route prend fin. Et la route va se terminer.»
C’est là que la magie opère. On n’achète pas des actions Facebook une blinde de thune parce qu’on se dit que l’entreprise va bientôt multiplier ses bénéfices par dix, mais parce qu’on pense qu’on va trouver quelqu’un qui sera prêt à les acheter encore plus cher, cette personne voulant les acheter parce qu’elle-même pense qu’elle pourra les revendre à une autre qui pensera qu’elle-même etc. Bref. Vous avez saisi le concept général.
Moment de retour à la réalité
C’est précisément ce qu’on appelle une bulle. Et c’est en gros ce qui s’est passé en 2000 avec la première bulle internet.
En général, dans ce mécanisme, il y a toujours un moment de retour à la réalité où les investisseurs finissent par regarder le vrai chiffre d’affaire de l’entreprise et se rendre compte que la valeur boursière est au-delà de la surcote. Du coup, ils paniquent et se mettent à vendre au rabais, d'où éclatement de la bulle, comme en mars 2000 (pour mémoire, en 1999, la valorisation boursière de eBay était 8.600 fois supérieure au montant de ses bénéfices de l’année précédente).
En définitive, ça ressemble un peu à ça:
Mais ne soyons pas pessimistes. En l’occurrence, même si Facebook créait une nouvelle bulle, elle n’affecterait pas l’ensemble des entreprises web comme en 2000, elle se limiterait sans doute aux réseaux sociaux. Et encore… pas tous, puisque, tapi dans l’ombre, Google+ attend son heure.
C’est l’un des nombreux dangers qui guettent Facebook. Pour continuer à augmenter les bénéfices de son entreprise, Mark Zuckerberg va devoir prendre des risques vis-à-vis de ses utilisateurs. S’il modifie trop le fonctionnement du site, il pourrait inquiéter et/ou dégoûter une partie des internautes et Google+ est là, prêt à accueillir les déçus de Facebook au premier faux pas de l’entreprise.
Titiou Lecoq