Si le virus H1N1 se répand dans le monde – 8 829 cas recensés au 18 mai, il se répand aussi sur le Net. Bien plus vite. Sur ce point, deux écoles s'affrontent. D'un côté, Evgeny Morozov, du Foreignpolicy.com, dit que le Net et les réseaux sociaux sont pollués par des messages d'ignares sur la grippe A (ou nord américaine, ou porcine, c'est selon) qui parlent sans savoir et ne font que provoquer la panique chez les internautes. De l'autre côté, les défenseurs du Web participatif, comme le journal «Wired» ou Tim O' Reilly, assurent que plus les internautes sont informés des risques, plus ils feront attention se laver les mains et à utiliser un mouchoir pour éternuer ou tousser. Et reconnaître ainsi les symptômes avant d’aller encombrer les services d’urgence.
Entre nécessaire information et risque de panique, difficile pour moi de trancher. Mais une chose est sûre : si vous entrez dans Google les signaux de votre état de forme du moment (exemple : nez bouché, mal de crâne, mal au dos), on va voir si, à la lecture des résultats, vous n’allez pas trouver que ce cocktail — oui, vous avez un petit rhume qui vous a empêché de bien respirer cette nuit et donc de bien dormir — ne ressemble pas aux symptômes de la grippe. On peut même renverser le principe : tapez l'expression «grippe porcine» dans le même moteur, et on va voir si, à la lecture des résultats, vous ne vous mettez pas soudain à tousser et à sentir d'étranges courbatures...
Cette dernière démonstration peut paraître simplette, mais elle a été vécue par la majorité d' internautes qui ont un jour cherché sur le Net le nom d'une maladie, bénigne ou non. Simple ulcère, vrai cancer ou maladie chronique, plus vous lisez de témoignages en ligne, plus vous vous voyez à l'hosto en phase terminale. Ne dites pas le contraire, c’est humain.
L'incompréhension humaine du jargon médical
Aller fouiner sur Internet pour un problème de santé répond à l’angoisse de ne pas savoir de qui se passe dans votre corps. C'est le cas de la très grande majorité de la population, mises à part les quelque 202.000 personnes en France qui travaillent dans le domaine de la santé. Et encore.
Imaginez qu'on vous diagnostique une «embolie pulmonaire», un «zona» ou une «occlusion intestinale». A les lire ainsi, ces mots vous disent quelque chose. Mais pas assez pour savoir exactement de quoi il retourne ni quelles conséquences cela a ou aura sur votre quotidien. C'est là qu'un tour en ligne s'impose. «De nombreux patients vont sur Internet une fois qu'on leur a posé un diagnostic», m’explique le chef de clinique d'un hôpital parisien. «C'est moins fréquent mais il arrive aussi que certains viennent, pour une première consultation, avec un diagnostic en tête, fait par eux-mêmes en fonction des informations qu'ils ont trouvées sur le Net - et souvent faux».
En général, les patients ont tort. La faute aux dix ans de médecine qu'ils n'ont pas derrière eux. «Ils ont parfois de bonnes intuitions, mais ils ne savent pas interpréter des données ni voir la nuance qu'il peut y avoir dans leur cas, reprend notre chef de clinique. Pour une même maladie, il peut y avoir tout un échantillon, allant de la forme la plus légère à la plus forme la plus lourde.» Il va sans dire que les internautes choisissent en général de s'auto-attribuer la forme la plus sévère.
«En cherchant des informations sur son problème, le patient ne va pas tomber que sur de l'institutionnel, il va trouver beaucoup de résultats communautaires, c'est-à-dire des informations qui viennent d'autres patients», ajoute le docteur Dominique Dupagne lors d'un débat sur l'e-santé. Selon lui, malgré les 8,8 millions de visiteurs uniques de Doctissimo.fr et l'impressionnante facilité d'Eurekasante.fr, sorte de Vidal en ligne, c'est Wikipédia qui, globalement, contient «l'information la plus pertinente et la moins trafiquée» sur la santé.
Changement de donne entre médecin et patient
Conséquence: les informations récoltées par les patients sur le Net ont métamorphosé la relation qu'ils ont avec leur médecin. Schéma classique de la révolution Internet. Désormais, l’homme à la blouse blanche n'est plus le sage qui distribue le savoir, mais presque un égal, à qui le patient n'hésite pas à raconter ses découvertes. «Nous avons intérêt à parfaitement maîtriser le dossier, à mieux connaître le sujet que lui et à être plus précis dans les explications qu'on lui donne», confie notre docteur. Une rupture avec le passé, où les médecins pouvaient se permettre de tenir des discours moins affûtés. «Les médecins ont trop longtemps été habitués à ne pas être remis en question. Or désormais, nous ne sommes plus tout puissants, souligne notre chef de clinique, âgé d’une trentaine d’années. Les vieilles générations ne le supportent pas. C'est vrai que c'est parfois agaçant d'avoir à convaincre à notre patient du bienfondé de notre diagnostic, mais ce n'est pas plus mal. Nous avons une obligation de résultat, on nous la réclame».
Quant aux hypocondriaques, le Net ne les arrange pas. «Ils s'inventent douze maladies qu'ils n'ont pas, viennent même parfois roder dans les couloirs pour prendre une brochure sur la maladie qu'ils pensent avoir». Un besoin d'informations insatiable que les laboratoires pharmaceutiques connaissent bien. S'ils n'ont pas le droit de faire de la publicité pour des médicaments, ils peuvent en revanche monter des sites sur une maladie pour sensibiliser les internautes et répondre aux premières questions. C'est le cas de www.sousle7.com, un site sur le diabète, élaboré par l'Association Française des Diabétiques, l'ALFEDIAM, en partenariat avec le labo Sanofi-Aventis. Là-dessus, tout le corps médical est d'accord: au final, le patient est mieux pris en charge. A condition que le Net n'empêche pas la consultation. «Internet ne peut pas remplacer un médecin. Aucun logiciel ne pourrait permettre à un patient de répondre à une grille de questions et d'avoir un diagnostic fiable», conclut le corps médical.
Cyril Chabrier
Photo: Dans les rues de Mexico Reuters